TOUT COMPRENDRE - Tribune de militaires: que contient le texte contesté?

Des militaires pendant le défilé du 14 juillet 2020 à Paris. - THOMAS SANSON / AFP
"Pour un retour de l’honneur de nos gouvernants". Dans une tribune publiée mercredi sur le site de Valeurs Actuelles, plusieurs militaires, dont 20 généraux, pointent du doigt le "délitement" de la France. Elle serait signée par "une vingtaine de généraux, une centaine de hauts-gradés et plus d'un millier d'autres militaires", selon l'hebdomadaire.
Le texte a été soutenu par la présidente du Rassemblement National, qui a invité les signataires à la rejoindre pour la présidentielle, dans une lettre publiée vendredi. Il a en revanche choqué une bonne partie de la classe politique, et la ministre des Armées Florence Parly l'a taxé "d'irresponsable", assurant par la suite que "des sanctions tomberont" pour les signataires.
· D'où vient cette tribune?
La lettre a dans un premier temps été publiée le 14 avril, sur le site Place d'Armes, tenu par Jean-Pierre Fabre-Bernadac, qui se présente comme rédacteur du texte. Il s'agit d'un ancien capitaine de Gendarmerie, comme le note le journal de la gendarmerie L'Essor, qui rappelle son penchant pour l'extrême droite.
La tribune est présentée comme une "lettre ouverte" qui semble être régulièrement actualisée depuis sa parution avec l'ajout des noms des nouveaux signataires.
Sur ce point, la ministre des Armées avait assuré dimanche que le texte était "uniquement signé par des militaires à la retraite, qui n'ont plus aucune fonction dans nos armées et ne représentent qu’eux-mêmes".
Elle a également rappelé ce mardi sur France Info le cas du général Christian Piquemal, ancien patron de la Légion étrangère et également signataire de la tribune, qui a été radié en 2016 des cadres de l'armée pour avoir participé à une manifestation interdite contre les migrants à Calais.
Libération a de son côté décortiqué la liste des généraux signataires, notant que la plupart sont politisés, et certains affiliés de près ou de loin au Rassemblement National ou à des mouvements d'extrême droite.
· Que dénoncent les signataires?
Le texte dénonce trois "délitements actuels". D'une part celui "d'un certain antiracisme", qui pointe du doigt les personnes qui "parlent de racialisme, d’indigénisme et de théories décoloniales, mais à travers ces termes c’est la guerre raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques". Il est mentionné dans ce passage ceux qui "s'en prennent aux statues", une référence aux débats cet été concernant le retrait de statues de personnalités historiques associées à l'esclavage.
Le deuxième point évoque "l'islamisme et les hordes de banlieue" qui entraînent "le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution", explique le texte. Le troisième "délitement" s'attaque aux manifestations, et critique le gouvernement pour son utilisation des "forces de l'ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires face à des Français en gilets jaunes exprimant leurs désespoirs".
Pour illustrer la dégradation actuelle de la société, il est fait référence à l'assassinat de Samuel Paty, un professeur d'histoire-géographie décapité en octobre dernier après avoir montré des caricatures de Mahomet en classe. "Les périls montent, la violence s’accroît de jour en jour", assure ainsi le texte.
En revanche, hormis un passage sur le fait "d'appliquer sans faiblesse des lois qui existent déjà", aucune solution pour endiguer ces délitements n'est réellement proposée. En revanche, les signataires se disent "disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation".
· Y a-t-il un appel à l'insurrection?
Si rien n'est fait "le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national", est-il écrit. "Demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers".
Ce passage a été lu comme un appel à l'insurrection par plusieurs élus. "Des militaires appellent à une chasse aux sorcières, à une éradication, à défendre des 'valeurs civilisationnelles' à rebours de la République, ça finit sur une menace de guerre civile", a par exemple écrit par exemple le député LFI Eric Coquerel.
La ministre de l'Industrie Agnès Pannier-Runacher (Industrie) a, lundi, "condamn(é) sans réserve cette tribune d'un quarteron de généraux en charentaises qui appelle au soulèvement". "Soixante ans jour pour jour après le putsch des généraux contre le général de Gaulle, tout cela n'est pas gratuit", a-t-elle déclaré sur France Info.
· Qu'a proposé Marine Le Pen?
Le texte était plutôt passé inaperçu la semaine dernière, jusqu'à la publication d'une lettre de Marine Le Pen vendredi, également dans Valeurs Actuelles, intitulée "messieurs les généraux, rejoignez-moi dans la bataille pour la France". "Comme citoyenne et comme femme politique, je souscris à vos analyses et partage votre affliction", déclare la leader du RN, qui appelle les signataires à se "joindre à notre action pour prendre part à la bataille qui s’ouvre, qui est une bataille certes politique et pacifique, mais qui est avant tout la bataille de la France".
Cette réaction a été rapidement fustigée. Pour le député non inscrit (ex-LaRem) Aurélien Taché, "la démocratie française est bel et bien menacée". Cet "appel grandiloquent" de Marine Le Pen "démontre, une nouvelle fois, son incapacité à diriger l'Etat et à commander les armées de la République française. Un chef de parti démocratique ne saurait appeler des militaires à s'engager dans un combat politique", a écrit le député Les Républicains Guillaume Larrivé.
Même du côté de Place d'Armes, la réaction de Marine Le Pen n'est pas spécialement appréciée. "Il est pour le moins maladroit d'effectuer une opération de 'racolage' pour des objectifs électoraux. Elle aurait pu simplement se dire en phase avec nos préoccupations", est-il écrit dans une réponse à la députée publiée samedi. Il est également souligné que Marine Le Pen ne s'adresse dans sa lettre qu'aux généraux, alors que des militaires non gradés sont signataires.
· Les signataires risquent-ils des sanctions?
Jean-Luc Mélenchon et les parlementaires de La France insoumise ont demandé lundi au procureur de Paris "d'engager des poursuites" contre les auteurs et diffuseurs de la tribune. Ils signalent un manquement à la loi, en l'occurrence la "provocation à la désobéissance de militaires".
Après une première réaction samedi, la ministre des Armées a annoncé ce mardi sur France Info qu'elle avait demandé des sanctions contre les militaires signataires, car même "les généraux à la retraite sont astreints à un devoir de réserve". Cette tribune, "est une insulte jetée à la figure de milliers de militaires", déclare-t-elle.
"Et s'il y a des militaires actifs parmi les signataires, j'ai demandé au chef d'Etat-major des Armées d'appliquer les règles qui sont prévues dans le statut des militaires, c'est-à-dire des sanctions, car ce sont des actions qui sont inacceptables", a-t-elle ajouté. "Le recensement est en cours et les sanctions tomberont".
