BFMTV
Parti socialiste

"Cahuzac a essayé de montrer l’humain en lui"

En invoquant sa "part d'ombre", Jérôme Cahuzac a tenté de montrer l'humain en lui.

En invoquant sa "part d'ombre", Jérôme Cahuzac a tenté de montrer l'humain en lui. - -

Opération communication pour Jérôme Cahuzac, qui s’est exprimé mardi sur BFMTV. Seul devant Jean-François Achili, l’ancien ministre du Budget a reconnu "une folle erreur". Une intervention préparée, que BFMTV.com a décrypté avec une spécialiste du discours politique.

Visage impassible, ton maitrisé, Jérôme Cahuzac est apparu mardi sur BFMTV, pour la première fois depuis ses aveux. Les silences sont là, les hésitations aussi. Mais rien n’a été laissé au hasard quant aux mots délivrés pendant l'interview. Certains reviennent même à plusieurs reprises, comme pour faire passer un message. Explications avec Mariette Darrigrand, sémiologue spécialiste du discours politique.

Que vous inspire cette intervention?

Je pense que c’est clairement une stratégie de communication. Et en tant qu'objet de communication, cette intervention pose la question de l’image par rapport au langage écrit. Jérôme Cahuzac aurait pu écrire une tribune dans un journal, par exemple. Mais il choisit de venir à la télévision. Il entame un nouvel acte. L’acte I représente les aveux, l’acte II le commentaire des aveux.

Un terme vous a-t-il marquée?

S’il y a, à mon avis, un terme à retenir, c’est "la part d’ombre" en lui. Une expression qui revient à plusieurs reprises pendant son intervention. Cette "part d’ombre" est commune à tous les êtres humains. Vous, moi, tout le monde en a une. Employer ce terme, c’est une façon pour lui de se relier à l’humanité.

Il s’agit ici d’éloigner Jérôme Cahuzac en tant que sujet, en tant qu’individu. C’est l’humain, qu’il veut nous montrer. Il décrit les évènements dont il est accusé comme quelque chose qui lui tombe dessus sans qu’il puisse rien faire, comme quelque chose qui arrive à tout le monde. Une sorte de fatalité – qu'on retrouve aussi dans l’expression "spirale du mensonge". Tout à coup, on est passé de la responsabilité de l’individu à l’inconscient collectif.

Quelles conséquences?

Puisque les aveux sont faits, il doit changer de registre et livrer un discours qui éloigne de lui. On passe de la faute à la condition humaine. On est dans l’universel.

Ce qu’on peut remarquer, c’est que le choix de s’inscrire dans l’inconscient collectif évacue la responsabilité. Elle est effacée au nom de la "folle erreur" pour laquelle il demande pardon. Si Jérôme Cahuzac s’excuse pendant sa prestation, on remarque que le terme de "responsabilité" apparaît peu dans son discours.

Quand on l’entend, on a l’impression qu'un autre que lui a fauté...

Son discours fait effectivement penser à un dédoublement de la personnalité. On croirait presque que tout a été fait à son insu. Mais c'est difficle à juger. C’est même une question qui devient psychologique: est-ce qu’on peut se dédoubler pendant tant d’années? Est-ce possible? Sans défendre à tout prix Jérôme Cahuzac, la question mérite d'être posée à mon sens.

"Ardent", "je me consume de l'intérieur": comment interpréter ces termes?

Ces mots sont choisis, et si on les remarque, c’est parce qu’ils n’appartiennent pas à la langue politique habituelle. Ils appartiennent même au registre littéraire, romanesque. Ils renvoient à l'intime.

Si cela frappe, c’est parce que de nos jours le langage politique est dénué d’ardeur – sauf dans quelques exceptions. Sur le plateau télévisé, on ne voit que le visage impassible de l'expert, dont la voix ne faillit pas.


À LIRE AUSSI:

>> Cahuzac: opération communication réussie?

>> Affaire Cahuzac: les questions encore en suspens

>> Compte à l'étranger, démission, suicide: la vérité de Jérôme Cahuzac

A.K.