Quand un sénateur UMP déclare la guerre à Sniper et Ministère Amer

Le sénateur UMP Eric Doligé a demandé à Manuel Valls de prendre des mesures contre les rappeurs "incitant à la haine". Avec dans le viseur, des groupes comme Sniper, ici en 2003. - Jean-Christophe Verhaegen - AFP
Voilà un souhait qui tombe à pic, en plein débat sur la liberté d’expression. Le sénateur UMP Eric Doligé a demandé, ce vendredi, à Manuel Valls de prendre des mesures contre les rappeurs qu'il accuse d'"incitations au meurtre et à la haine".
Dans une lettre adressée au Premier ministre, le sénateur du Loiret cite "quelques extraits de chansons qui circulent sur le net ou sont en vente en toute légalité", "avec une certaine censure pour ne pas heurter vos oreilles".
"S'il y a légalité, c'est donc qu'il y a couverture par les ministres de tutelle" qui les ont jugés neutres, ajoute-t-il.
Sniper, Salif, ou encore le Ministère Amer dans le viseur
Et de citer plusieurs extraits. Du groupe Sniper: "Faut que ça pète". De Salif: "Les keufs sont lynchés, enfin ça soulage. Faut que Paris crame". De Ministère Amer: "J'aimerais pouvoir brûler Panam au napalm sous les flammes façon Vietnam". De Smala: "On s'est installé ici, c'est vous qu'on va mettre dehors". De Lunatic: "J'rêve de loger dans la tête d'un flic une balle de Glock" et "attends-toi à plus d'un attentat".
"Vous trouverez dans ces propos une partie de ce que nous avons vécu durant des jours insupportables", affirme Eric Doligé. "Tous les actes y sont décrits dans le détail et les textes incitent des populations à passer à l'acte."
"Un double-langage"?
"Vous-même, le ministre de l'Intérieur et le ministre de l'Éducation nationale ont employé des mots forts, utilisé des formules montrant la volonté de surveiller les sites internet, de ne tolérer aucune bavure verbale, ni aucune incitation à la haine, au racisme ou à la violence", souligne-t-il.
"Je ne peux m'empêcher de ressentir comme un double langage", poursuit-il, accusant le gouvernement de couvrir "la violence verbale, l'incitation à la haine et à la violence" "puisqu'il autorise des provocations insupportables conduisant nécessairement à des dérives". "Je souhaiterai savoir quelles mesures vous envisagez pour faire cesser cela au plus vite et pour poursuivre ceux qui incitent à la haine et à la violence", conclut-il.
Des précédents
Ce n’est pas la première fois qu’un sujet de ce type est abordé au niveau du Parlement. Notamment à l’encontre du groupe Sniper. En 2003, Nadine Morano, alors députée, s’était insurgée en pleine séance des paroles de la chanson La France, tirée du premier album du groupe, Du rire aux larmes. Alors en pleine session des Questions aux gouvernements (QAG), l’élue de la majorité avait cité à l’attention du ministre de l’Intérieur de l’époque plusieurs passages incitant, selon-elle, "à la haine, à la violence", accusés de bafouer "les valeurs républicaines de la France".
Le ministre en question, qui n’était autre que Nicolas Sarkozy, avait répondu en tançant des textes "triplement scandaleux": "D’abord, ils sont antisémites, et je ne peux imaginer que quiconque, quel que soit le banc sur lequel il siège, puisse tolérer des textes antisémites. […] Ces textes sont racistes de surcroît, et ils sont injurieux."
Des procès et des condamnations, mais pas pour des textes
Les procès de rappeurs pour "incitation à la haine" n’ont absolument rien de nouveau. Lors d’un concert organisé en 1995 à la Seyne-sur-Mer, le groupe NTM (sigle de "Nique ta mère", faut-il le rappeler) avait, avant de jouer son titre Police, crié sa haine de la justice et de la police en direction des forces de l’ordre présentes ce soir-là pour assurer la sécurité.
Condamné en première instance en 1996 à trois mois de prison ferme et à six mois d’interdiction de se produire, JoeyStarr et Kool Shen écoperont finalement en appel à 7.500 euros d’amende et deux mois de prison avec sursis.
Quand Abdul X voulait "tirer sur les keufs"
Le cas du rappeur Pascal Henry, alias Abdul X, est également intéressant. En 2010, ce dernier s’était attiré les foudres de la justice à la suite de son morceau Tirer sur les keufs, dans lequel il déclarait que, "si y a pas l’choix, j’irai tirer sur les keufs, gros". Peu de temps après la polémique, ce dernier s’était de nouveau illustré en attaquant vulgairement le ministre de l’Intérieur de l’époque, Brice Hortefeux, sur une vidéo postée sur Youtube. Il l'invitait, dans des termes crus, à venir lui pratiquer une fellation.
Le tribunal correctionnel de Paris le condamnera au final en 2012 à 3.000 euros d’amende pour injure publique contre le ministre. Mais il sera en revanche relaxé pour ses paroles jugées "volontairement provocatrices et grossières", mais ne "dépassant par les limites autorisées la liberté d'expression dans un genre musical connu pour une certaine forme d’outrance".