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Président, questeur, commissions... La guerre des postes-clés à l'Assemblée nationale

Une façade de l'Assemblée nationale qui vient de connaître une nouvelle recomposition, le 10 juillet 2024 à Paris

Une façade de l'Assemblée nationale qui vient de connaître une nouvelle recomposition, le 10 juillet 2024 à Paris - JOEL SAGET © 2019 AFP

Qui de Ensemble pour la République (ex-Renaissance), du NFP ou du RN héritera du poste tant convoité de président de l'Assemblée? Puis celui de vice-président, de questeur ou de secrétaire? En l'absence de majorité, même relative, ces attributions pourraient bien virer au casse-tête.

Une dizaine de jours après les résultats des législatives, c'est une fin de semaine chargée qui attend les députés, à peine installés dans leur nouveau bureau. "L'ambiance est bizarre", résume une source parlementaire à BFMTV.com.

La photographie finale de l'Assemblée reste en effet inconnue alors que les postes-clés doivent être pourvus ce jeudi 18 et ce vendredi 19 juillet. Président, vice-présidents, questeurs, secretaires, présidents des commissions... Chacune de ces fonctions aux avantages multiples attisent les convoitises. Mais sans majorité aucune, le désordre règne dans les négociations.

Côté macronistes, le chef de l'État a convoqué les leaders du camp présidentiel lundi pour trouver des consensus. La fumée blanche a tardé à émerger au Nouveau Front populaire: si les négociations pour Matignon sont à l'arrêt, la coalition de gauche a finalement réussi à s'accorder sur le nom d'une candidature unique pour la présidence de l'Assemblée. Le Rassemblement national et ses alliés, avec 143 députés, comptent bien peser dans les instances, malgré le barrage républicain voulu par certains. Pendant que les LR s'imaginent faiseurs de roi.

La présidence de l'Assemblée, la première des batailles

Jeudi 18 juillet, à partir de 15 heures, l'ensemble des députés, réunis par ordre alphabétique dans l'hémicycle, va se prononcer pour la première fois lors d'un vote à bulletin secret à la tribune afin de désigner le ou la future présidente de l'Assemblée. Ce premier vote est celui qui lancera la XVIIe législature.

Traditionnellement, il appartient à un membre issu du bloc majoritaire de briguer le poste le plus prestigieux du Palais Bourbon, considéré comme le quatrième de l'État. Mais dans un contexte politique incertain, où aucune majorité ne semble se dégager, l’élection du futur président de l’Assemblée nationale pourrait se jouer à la majorité relative, au troisième tour.

En plus de faire respecter le règlement et d'assurer la bonne tenue des débats, le président de l'Assemblée a un pouvoir de nomination et de saisine dans plusieurs grandes instances (audiovisuelles, financières, constitutionnelles, éthiques et juridiques). C'est également un interlocuteur privilégié du chef de l'État. Notamment en cas de dissolution.

Le futur président de l'hémicycle peut compter sur plusieurs avantages pour exercer son mandat. En plus de ses indémnités de député de 7 637,39 euros brut, il touche une indemnité "spéciale" de 7 698,50 euros - soit un total de 15335,89 euros, détaille le site de l'Assemblée nationale. Et s'il le souhaite, il peut résider dans l'illustre Hôtel de Lassay, dans le 7e arrondissement de Paris. Une propriété du 18e siècle accolée par un passage au Palais Bourbon.

Pour ce poste-clé, plusieurs candidatures ont déjà été officialisées.

  • La présidente sortante, la macroniste Yaël Braun-Pivet

La députée Ensemble pour la République (ex-Renaissance) a fait savoir qu'elle souhaitait être le choix du camp présidentiel. Présidente de l'hémicycle entre 2022 et 2024 jusqu'à la dissolution, elle espère une réélection avec le soutien de la droite. "Je suis la mieux placée", a-t-elle déclaré sur notre antenne.

Selon des informations du Figaro, la sortante aurait même poussé les discussions jusqu'au RN. La France Insoumise n'a pas manqué de relayer cette éventuelle alliance macroniste-RN. "Indignité et déshonneur", a ainsi écrit sur X la députée LFI Clémence Guetté, affirmant que Yaël Braun-Pivet "aurait pactisé" en échange d'un "soutien contre des postes".

L'entourage de la députée dénonce de son côté une "tentative nauséabonde d'une nouvelle polémique" sans "aucun sens". Mais la gauche n'est pas le seul obstacle pour l'Yvelinoise: plusieurs dans le camp présidentiel ne voient en effet pas d'un bon oeil sa réélection.

"Ce n'est pas un bon signal envoyé aux Français. Ça voudrait dire, post-résultats des législatives, 'on ne change rien'", estime un ministre démissonnaire auprès de BFMTV.com.

Face à Yaël Braun-Pivet, le Modem et Horizons envisagent une candidature autonome. Le nom de l'ex-vice-présidente Naïma Moutchou tourne dans les esprits philippistes, selon nos informations.

  • Une candidature unie à gauche avec André Chassaigne

Le NFP a souhaité une candidature unique à la présidence de l'Assemblée. Après plusieurs jours d'attente, le nom d'André Chassaigne a fait consensus. Les quatre partis de gauche se sont mis d'accord sur le nom du président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ce mercredi 17 juillet, a indiqué l'union de la gauche lors d'un point presse.

Après de longues tractations, le député du Puy-de-Dôme a bénéficié du désistement de la candidate écologiste Cyrielle Chatelain. La fraîchement nommée chef des députés écologistes avait notamment le soutien de Marine Tondelier.

Côté Insoumis, le nom de Mathilde Panot circulait également. Les socialistes, eux, avaient évoqué la personnalité de Boris Vallaud.

  • Le député LR Philippe Juvin

La secrétaire générale des Républicains, la députée Annie Genevard avait déclaré lundi être en lice. Première vice-présidente de l'Assemblée de 2017 à 2022, elle estimait avoir fait ses preuves. "Tous les groupes politiques l'ont reconnu. J'ai une certaine fermeté qui n'a jamais empêché la parole de s'exprimer librement dans l'hémicycle", a-t-elle confié à France 3 Bourgogne Franche-Comté ce mardi.

À BFMTV.com, un ténor du camp présidentiel, adepte du "ni LFI ni le RN" l'affirme: "Entre un candidat PS qui n'aurait pas renié LFI et une candidature comme celle d'Annie Genevard, le choix est vite fait. Et s'appelle Annie."

Mais finalement, c'est Philippe Juvin qui sera candidat au perchoir pour le groupe LR, rebaptisé La Droite républicaine, a appris BFMTV de sources concordantes. Le député des Hauts-de-Seine avait fait savoir son intérêt pour ce poste. "La priorité des priorités, c'est de faire en sorte que l'Assemblée nationale ne soit pas présidée par quelqu'un qui vient du camp de LFI", a-t-il déclaré le 12 juillet sur RMC. Annie Genevard sera de son côté candidate à une vice-présidence.

  • Le centriste Charles de Courson

Réélu de justesse pour un huitième mandat, c'est le plus ancien député de l'hémicycle. Charles de Courson, issu du parti Les Centristes et ex-du groupe Liot (Groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires), a annoncé lundi son intérêt pour le poste stratégique.

Lui président de l'Assemblée, il promet d'être le "garant de son bon fonctionnement" dans une "période inédite et chaotique", a-t-il fait savoir dans un communiqué. Passionné de questions budgétaires, le député de la Marne a accédé à une certaine notoriété en s'opposant farouchement à la réforme des retraites en 2023.

Vice-présidence, questure, commissions... Ces autres postes convoités

À 10 heures, vendredi 19 juillet, les présidents des groupes parlementaire se réuniront afin de discuter d'un éventuel accord sur la répartition des fonctions au sein du bureau de l'Assemblée nationale. Il faudra nommer les six vice-présidents, les trois questeurs et les douze secrétaires du Bureau.

En l'absence d'accord, un scrutin sera organisé le même jour, dans l'hémicycle. Enfin, dans la foulée ou le lendemain, ce sera au tour des présidents des huit commissions parlementaires d'être désignés.

  • Les vice-présidences de l'Assemblée

Six vice-présidents composent le bureau. Ils peuvent remplacer le président de l'Assemblée nationale dans certaines de ses prérogatives, notamment pour présider les séances. Ils bénéficient également de 1.099,79 euros bruts en plus de leur indemnité de député.

Traditionnellement, il est d'usage que le premier soit issu d'un groupe d'opposition. Mais en l'absence de majorité claire, ces nominations pourraient virer au casse-tête.

  • Les questeurs, un poste en or

Figures moins connues que la présidence et les vices-présidents, les questeurs sont en charge de la gestion administrative et financière de l'institution et bénéficient également de certains privilèges.

Une résidence dans l'Hôtel de la Questure, 400m2 à deux pas du Palais Bourbon par exemple. Mais également une enveloppe mensuelle de 5300,36 euros, en plus de leur indemnité de député de 7637,39 euros. Soit un total de près de 13.000 euros brut par mois. Ils disposent également d'une voiture avec chauffeur et d'un secrétariat particulier.

Au nombre de trois, deux sont normalement issus de la majorité, un autre de l'opposition. Bien malin qui pourra prédire qui appartient à qui aujourd'hui. Toujours est-il qu'Éric Ciotti, ex-questeur de l'opposition de la dernière mandature compte bien garder sa place. Sur sa route, il trouvera néanmoins le Nouveau Front populaire qui s'oppose à ce que les députés du parti d'extrême droite ou ses alliés accèdent à ces postes-clés.

  • Les présidences de commission

Les commissions sont les instances qui préparent le débat législatif. Tout projet ou proposition de loi est envoyé pour examen devant la commission en rapport avec le sujet. Le Rassemblement national, lui, a d'ores et déjà exprimé son envie de briguer la tête de la prestigieuse commission des Finances. C'est à elle que revient notamment l'examen préalable des indispensables textes budgétaires.

"Nous sommes un groupe d'opposition et par conséquent, nous revendiquons (...) la présidence de la commission des finances parce qu'elle revient à un groupe d'opposition", a affirmé mercredi 16 juillet sur Europe 1 l'ex vice-président de l'Assemblée lors de la précédente mandature, Sébastien Chenu.

Le député mariniste du Nord a par ailleurs reconnu avoir eu des échanges avec la présidente sortante de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet au sujet des "responsabilités" que le RN entend briguer dans l'hémicycle.

Un barrage républicain au sein de l'Assemblée?

Les ambitions de l'extrême droite seront-elles freinées? Les partis de gauche ont exprimé à plusieurs reprises leur refus de voir le parti de Marine Le Pen se normaliser au sein des instances du Palais Bourbon.

"Nous n'avons pas eu mandat de glisser quelque bulletin Rassemblement national dans quelque urne que ce soit", avait indiqué Boris Vallaud le 17 juillet sur notre antenne.

Dans un courrier de ce mardi 16 juillet, les quatre présidents de groupe de gauche ont appelé le camp présidentiel et la droite républicaine à une rencontre pour "aborder ensemble les enjeux de la mise en place de ce barrage républicain à l'Assemblée nationale".

"Le 7 mai 2017, le 24 avril 2022 et le 7 juillet 2024, les Françaises et les Français ont réitéré à trois reprises leur rejet de l'extrême droite. Le barrage républicain, qui a permis l'élection du président de la République ainsi que celle de la majorité des députés, doit continuer lors des votes des 18 et 19 juillet prochains", estime la coalition de gauche.

Nombreux parmi le bloc central s'opposent à cette logique. "Au nom de quoi va-t-on pouvoir justifier leur éviction?", tempète un Horizons auprès de BFMTV.com

"Le front républicain est une logique électorale, l'Assemblée doit respecter le principe de pluralité", abonde un membre du gouvernement démissionnaire.

Un avis partagé par la présidente sortante, Yaël Braun-Pivet. Comme en 2022, "l'ensemble des partis" doit être représenté, a soutenu lors d'une réunion à l'Élysée vendredi 12 juillet, la députée macroniste, selon l'AFP.

À la veille de l'attribution des postes les plus importants à l'Assemblée nationale, aucun consensus clair n'émerge, aucune majorité, aucun cap... Chacun pose ses conditions et donne sa position, mais personne ne sait vraiment où vogue le navire. "En eaux troubles, pour le moment", s'amuse, quoique qu'un peu désespéré, un parlementaire macroniste.

Hortense de Montalivet