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"On fait des lois sur des choses qui existent déjà": pourquoi le gouvernement planche sur un nouveau texte immigration

Bruno Retailleau et Michel Barnier à Mâcon le 28 septembre 2024

Bruno Retailleau et Michel Barnier à Mâcon le 28 septembre 2024 - Alex MARTIN / AFP

Moins de douze mois après un texte sur les questions migratoires, Michel Barnier et ses ministres veulent à nouveau légiférer. Si une nouvelle loi est nécessaire pour allonger la durée en centre de rétention, promise par Bruno Retailleau, plusieurs spécialistes s'inquiètent d'une inflation législative.

Une nouvelle loi à peine un an après avoir adopté la loi immigration portée par Gérald Darmanin. Le gouvernement veut remettre sur le métier un futur texte sur l'immigration au début de l'année prochaine, après avoir fait adopter aux forceps une mouture en décembre dernier. Ces dernières années, les lois sur le sujet ont été très nombreuses.

De quoi agacer une partie de la gauche à l'instar d'Olivier Faure, le patron du PS, qui a regretté "des gages pour Marine Le Pen". Le député insoumis Paul Vannier a, lui, regretté "19 lois immigration ces vingt dernières années". Si son décompte est gonflé, les textes sur les questions migratoires sont bien devenus des classiques de la vie politique.

Barnier contre une nouvelle loi

En moins de deux décennies, il y a eu pas moins de deux lois sous Nicolas Sarkozy, deux sous François Hollande et trois sous Emmanuel Macron si le Parlement se met d'accord sur une future loi immigration.

"On vient de légiférer", "on va appliquer les règles", il y aura des "progrès possibles mais dans le cadre de la loi actuelle", avait d'ailleurs lui-même reconnu Michel Barnier lors de son discours de politique générale début octobre.

Mais cela n'a pas empêché d'annoncer dans la foulée sa volonté de "faciliter la prolongation exceptionnelle de la rétention des étrangers en situation administrative".

"Faire des lois sur des choses qui existent déjà"

Son ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, souhaite ainsi prolonger la durée en centre de rétention jusqu'à 210 jours pour certains migrants qu'il juge "très très dangereux".

"Si vous voulez faire évoluer ce cadre législatif, il faut en passer par le Parlement. Il n'y a pas d'autre choix", remarque Matthieu Tardis, chercheur et ancien responsable du centre migrations et citoyennetés de l'IFRI auprès de BFMTV.com.

Mais plusieurs "mesures" annoncées par Michel Barnier sont déjà appliquées, à l'instar de l'accélération du traitement des procédures d'asile.

"On a tendance à vouloir faire des lois sur des choses qui existent déjà et qui sont parfois pas ou mal appliquées", avance de son côté Patrick Simon, responsable de département à l'Institut des migrations.

Parmi les dispositifs mis en place après la loi de janvier dernier, 1/3 des décrets n'ont ainsi pas été publiés, notamment ceux qui créent un titre de séjour pour les métiers en tension et qui avait crispé à droite et au RN.

Un pacte européen comme justification

Bruno Retailleau a également mis en avant le pacte européen sur la migration et l'asile adopté en mai dernier pour pousser à la création d'une nouvelle loi immigration.

Au menu notamment : l'actualisation des règles relatives au traitement des demandeurs d'asile aux frontières de l'Union européenne.

"On est principalement dans de la transposition du droit européen. On n'a pas besoin de nouveau texte pour faire cela. C'est surtout au niveau de la coordination entre les États européens et sur la question des moyens que cela va se jouer", analyse cependant l'universitaire Matthieu Tardis.

"On peut jouer sur les mots mais on est obligé de légiférer souvent parce que le profil des migrants, les techniques des passeurs et des organisations criminelles évoluent d'année en année", défend de son côté Patrick Stefanini, spécialiste des questions migratoires et ancien secrétaire général du ministère de l'Intérieur sous Nicolas Sarkozy.

Ces dernières années, l'explosion des réseaux de passeurs sur fond d'une très forte déstabilisation politique au Moyen-Orient et en Afrique de l'Ouest a par exemple poussé les autorités à faire évoluer leur réponse législative.

Retailleau en pole position

La loi asile-immigration portée par Gérard Collomb a par exemple élargi les sanctions liées à l'aide et à l'entrée au séjour irrégulier des personnes sans-papiers. La disposition avait largement fait polémique à l'époque.

Au-delà des questions de fond, l'affichage politique est également central. Parmi les dispositions votées lors de la dernière loi immigration, une grande partie provenait des apports du Sénat. Jugées sans lien avec le texte - ce qu'on appelle un cavalier législatif-, elles avaient été dans leur grande majorité censurées.

À l'époque, Bruno Retailleau était le président du groupe LR de la chambre haute et il avait poussé de nombreux dispositifs, comme l'instauration de quotas migratoires fixés par le Parlement, le durcissement de l'accès aux prestations sociales ou encore le rétablissement du délit de séjour irrégulier.

"On ne comprendrait pas que Bruno Retailleau, une fois en capacité de faire au gouvernement, ne s'efforce pas de faire voter une loi qu'il souhaite depuis des années", avance Patrick Stefanini, ex-directeur de campagne de Valérie Pécresse en 2022.

"Un thème très politisé"

Et pour cause : ces dernières années, chaque ministre de l'Intérieur a voulu marquer de son empreinte les questions migratoires. Rares sont les locataires de la place Beauvau à ne pas avoir porté de lois en la matière depuis le passage de Nicolas Sarkozy de 2005 à 2007.

"L'immigration est devenue un thème très politisé ces dernières décennies. L'inflation législative vise à montrer qu'on répond aux préoccupations des Français. Et tant pis si ce n'est pas toujours nécessaire", regrette Patrick Simon, chercheur de recherche au centre d'études européennes.

Jean-Louis Debré, alors président du Conseil constitutionnel et ex-ministre de l'Intérieur, avait lui-même pointé du doigt "une législation médiocre" en matière migratoire lors d'un colloque en 2014

Mais la pression a probablement été trop forte pour Michel Barnier, avec d'un côté le Rassemblement national qui menace de déclencher une censure du gouvernement sans nouvelle loi immigration et en interne, avec le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, tenant d'une ligne très dure sur le sujet.

"Faire une loi pour une loi, sans nous expliquer ce qu'il y aurait dedans, ne me semble pas totalement prioritaire. Faire une loi pour une loi, ça n'a pas de sens", a regretté de son côté Gabriel Attal ce lundi matin.

Marie-Pierre Bourgeois