Réforme du travail: comment Matignon s'est imposé à la manoeuvre

Manuel Valls et Myriam El Khomri, le 22 février. - Sébastien Bozon - AFP
A chaque étape de l'avancée du projet gouvernemental de réforme du Code du travail, l'équipe de Manuel Valls était à la manoeuvre, quitte à doubler la validation présidentielle. Et la bisbille entre l'Elysée et Matignon sur le sujet a commencé dès le 17 février, rapporte le Canard Enchaîné.
Passage en force
Ce jour-là, la ministre du Travail, Myriam El Khomri, donne une interview aux Echos, dans laquelle elle doit présenter son projet de réforme. Ses propos sont retranscris et transmis à l'Elysée et à Matignon, pour la relecture d'usage et les éventuelles corrections. Le cabinet de Manuel Valls est le plus rapide: la copie est débarrassée de toutes les références aux propos du président de la République.
En revanche, une phrase a été subtilement ajoutée dans la réponse à la dernière question de l'entretien, celle portant sur le recours éventuel à l'article 49-3 de la Constitution. "Nous prendrons nos responsabilités", a ainsi ajouté l'équipe de Manuel Valls, ce qui laisse imaginer que le gouvernement n'hésitera pas à user de l'article en cas de blocage parlementaire.
De son côté, l'Elysée fait aussi parvenir sa copie corrigée, uniquement sur des détails de forme. Mais François Hollande tient à relire lui-même l'interview. Ses corrections tardent à arriver, et l'heure du bouclage approche, pour Les Echos. Selon le Canard Enchaîné, Matignon profite alors de ce retard du palais présidentiel pour faire passer sa version en force, avec la fameuse modification sur le 49-3.
Colère de Hollande
Ce n'est que le lendemain, en lisant Les Echos. que le président de la République découvre la manoeuvre. Furieux, il attend quelques jours et la fin du sommet européen avant de lâcher, dans l'avion l'emmenant en Polynésie: "Le mieux serait de trouver une majorité. Cette majorité sera à trouver dans la discussion, dans le débat...". Une allusion non voilée à la menace de Manuel Valls, qui montre leur désaccord sur la question d'un passage en force.
Plusieurs ministres, parmi les proches du président, prennent ensuite le relais. Ségolène Royal notamment ("On ne réforme pas bien un pays avec des tensions", déclare-t-elle sur Europe 1), mais aussi Jean-Marc Ayrault et Marisol Touraine. Au micro de RTL, la ministre de la Santé relaie la parole présidentielle: "Cette loi El Khomri doit rassembler une majorité. Le débat parlementaire doit jouer son rôle".
L'équipe Valls dans l'ombre
Et l'épisode est loin d'être isolé. Selon le Canard Enchaîné, l'équipe de Manuel Valls aurait tenté d'imposer ses arbitrages à plusieurs autres reprises. Une première fois en annonçant à la présidente de la Commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, Catherine Lemorton, que l'examen du texte de réforme ne passerait pas devant sa commission, dont c'est pourtant la mission, mais devant une "commission spéciale". Une procédure qui n'est pas sans rappeler celle utilisée pour la discussion du projet de loi Macron. L'intéressée est directement allée s'en plaindre auprès de l'Elysée.
Par ailleurs, une source au sein du ministère du Travail explique que le texte de réforme est arrivé tout prêt sur le bureau de Myriam El Khomri, dont la marge d'action a été quasi-inexistante. "C'est le directeur de cabinet de la ministre, Pierre-André Imbert - imposé par l'équipe Valls -, qui a tout géré", résume cette source.