Incendie à Rouen: le gouvernement change de ton

Les ministres de la Santé et de la Transition écologique, Agnès Buzyn et Elisabeth Borne, le 27 septembre 2019 à Rouen - AFP - Lou Benoist
"Une communication d'un autre âge", titrait L'Opinion. Dans les jours qui ont suivi l'incendie qui a embrasé l'usine Lubrizol de Rouen, le gouvernement s'est vite vu reprocher une forme de légèreté coupable dans sa manière de répondre aux inquiétudes des Français vivant aux alentours. Comme s'il s'agissait d'un banal problème de sécurité civile.
Les cris d'orfraie ont redoublé d'intensité depuis que, mardi, la préfecture de Seine-Maritime a révélé que 5253 tonnes de produits chimiques s'étaient consumés dans le brasier, s'évaporant ainsi, vraisemblablement, dans le nuage qui a survolé la zone.
Durant la nouvelle formule des Questions d'actualité à l'Assemblée nationale (deux heures au lieu d'une, avec droit de réplique des députés), plusieurs ministres se sont vus malmener par l'opposition. En particulier Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique, vivement interpellée par le député La France insoumise François Ruffin. Elle a reconnu que les autorités étaient confrontées à "une catastrophe industrielle, une crise grave", avant d'assurer que "parmi les polluants recherchés, aucun n'est présent dans l'air que respirent les Rouennais".
Élisabeth Borne auditionnée
Ces affirmations, pour rassurantes qu'elles se veulent, ne privent pas la ministre d'une audition ce mercredi à la commission du Développement durable de l'Assemblée nationale. "Les parlementaires veulent jouer leur rôle, et c'est bien normal, de contrôle de l'action du gouvernement", a prévenu la présidente (La République en marche) de la commission, Barbara Pompili.
Dès vendredi, Élisabeth Borne s'est rendue, avec sa collègue ministre de la Santé Agnès Buzyn et le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, à Rouen. La veille, jour du drame, c'est le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner qui était sur place. Trois jours plus tard, lundi 30 septembre, c'était au tour du Premier ministre Édouard Philippe de s'y rendre après avoir assuré vouloir faire la "transparence totale" sur l'événement.
"Surenchère" des oppositions?
Trop tard. Le sentiment diffus d'une certaine désinvolture de la part de l'exécutif était déjà présent, renforcé par les rodomontades efficaces des oppositions de gauche. "Envoyer quatre ministres sur place dans les premières 24 heures pour expliquer que tout va bien, ce n'était peut-être pas la meilleure idée", souffle un député LaREM auprès de BFMTV.com.
Pour cette source, "le bug vient surtout de la déportation de l'attention sur la mort de Jacques Chirac au moment des faits". "Et puis, il y a tout de même une orchestration savante de l'opposition, notamment chez les socialistes", ajoute l'élu, pointant du doigt "la surenchère" de Christophe Bouillon, député PS de la circonscription rouennaise, qui a demandé l'ouverture d'une commission d'enquête parlementaire. Ce sera le cas au Sénat, là où l'Assemblée nationale se contentera de créer une mission d'information.
"Il y a un défaut dans la gestion de crise. Aujourd’hui, il y a l’existence des réseaux sociaux, l’information va vite. Il y a un décalage entre une communication bien rodée et la perception des habitants", a déclaré l'élu de Seine-Maritime lundi sur Europe 1.
"Le gouvernement aurait dû reconnaître la gravité"
Depuis mardi, le gouvernement amorce un changement de pied dans sa manière d'adresser le sujet. Au Sénat en début d'après-midi ce mercredi, Édouard Philippe a reconnu que les pouvoirs publics ne savaient pas encore tout des conséquences de l'incendie de l'usine.
"Les analyses sont en cours et (...) il va falloir les poursuivre et pendant longtemps. (...) Ce que nous savons, d'ores et déjà, sur la qualité de l'air, c'est que tous les prélèvements dans l'air dont nous disposons à cette heure et qui sont publics font apparaître un état habituel de la qualité de l'air", a-t-il déclaré dans l'hémicycle de la Chambre haute.
L'heure est donc à la modestie. De quoi rassurer un parlementaire LaREM, d'après qui "le gouvernement aurait dû immédiatement reconnaître la gravité de l'incendie, s'engager sur la transparence totale et demander calmement aux Français de lui laisser trois jours pour faire toute la lumière".
Autre mot d'ordre, semble-t-il, celui consistant à louer le travail des pompiers et des services de l'État sur place. Au Sénat, Élisabeth Borne - qui subit là son baptême du feu, sans mauvais jeu de mot - a fait référence à la fuite de gaz qui a émané de l'usine Lubrizol en 2013, avec des mauvaises odeurs senties jusqu'à Paris et en Grande-Bretagne.
"Dans une catastrophe telle que celle que nous avons connue à Rouen, nous aurons encore à progresser. Nous aurons à examiner (...) pourquoi cet incendie s'est déclaré, dans un site qui est pourtant très surveillé: 39 inspections ont été réalisées depuis 2013, 10 au cours des deux dernières années. Mais forcément, cet incendie n'aurait pas dû se produire", a reconnu la ministre de la Transition écologique et solidaire.