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Sébastien Lecornu à Paris le 10 septembre 2025

THIBAUD MORITZ / AFP

"Faire de l'anti-Bayrou"? Entre négociation et câlinothérapie, comment Sébastien Lecornu va tenter de durer à Matignon

Fraîchement nommé Premier ministre, l'ancien ministre des armées négocie en coulisses pour parvenir à obtenir la bienveillance des socialistes et du Rassemblement national. En nommant ce fidèle d'entre les fidèles, Emmanuel Macron, très fragilisé politiquement, abat sa dernière carte.

Un amateur de whisky, de bonne chair, de bons mots. Sébastien Lecornu a été choisi ce mardi par Emmanuel Macron pour succéder à François Bayrou, alors que le précédent Premier ministre a été renversé après le vote de confiance lundi dernier.

Contraint d'obtenir la bienveillance des socialistes ou des troupes de Marine Le Pen, l'ex-ministre des Armées va devoir être extrêmement habile pour espérer obtenir un budget à l'automne et ne pas devoir faire à son tour ses cartons.

"Lecornu, c'est le mec qui est avenant, qui parle à tout le monde, y compris à ceux avec qui il n'est d'accord. Et le président sait qu'il ne lui fera pas de coups dans le dos. C'est déjà beaucoup par les temps qui courent", résume un pilier macroniste auprès de BFMTV pour expliquer le choix de l'Élysée.

"Roublardise" et oreille d'Emmanuel Macron

Après des années à attendre son tour, celui dont le nom était revenu avec insistance ces dernières années pour devenir chef du gouvernement, a finalement réussi à s'imposer comme une évidence. Si le chef de l'État a pour habitude de se laisser le temps - il avait pris quasiment deux mois à nommer Michel Barnier à Matignon après le fiasco de la dissolution à l'été 2024-, cette fois-ci, tout a été différent.

En décembre dernier, Sébastien Lecornu, qui reste quasiment inconnu du grand public, se voyait pourtant déjà nommé. Las: en apprenant que le ministre des Armées l'avait coiffé au poteau, François Bayrou avait sauté dans un avion depuis Pau pour arracher sa nomination à Emmanuel Macron. Cette fois, il n'était pas question pour Sébastien Lecornu d'enregistrer un nouvel échec.

Emmanuel Macron (D) et Sébastien Lecornu (G) à Hanoi (Vietnam) le 26 mai 2025
Emmanuel Macron (D) et Sébastien Lecornu (G) à Hanoi (Vietnam) le 26 mai 2025 © Ludovic MARIN © 2019 AFP

Quelques jours avant la chute inéluctable du centriste, celui qui n'a jamais eu d'autre métier que la politique depuis ses 19 ans a fait chauffer son téléphone en appelant notamment les socialistes. Sans eux, la stabilité politique semble impossible dans les prochains mois.

"En gros, il nous a dit que si c'était lui à Matignon, il ferait des gestes dans notre sens. Ça lui a probablement permis de dire à l'Élysée qu'il arriverait là où François Bayrou avait échoué", décrypte un hiérarque du PS. De quoi finir de convaincre Emmanuel Macron de le nommer, lui qui appelle désormais son camp à "travailler avec les socialistes".

"Sébastien Lecornu est assez roublard", lâche, acide, un député LR, "et jamais à court de vous dire ce que vous avez envie d'entendre".

"Faire de l'anti-Bayrou"

Avec un succès évident: à peine 24 heures après la chute du patron du Modem, le voilà déjà nommé. Sans grande surprise: quelques heures plus tôt, le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand a déjà éventé le secret, en expliquant devant des dirigeants des LR que Sébastien Lecornu était en "train de composer son gouvernement".

"J'espère qu'Emmanuel Macron est vraiment sûr de lui. Si ce n'est pas le bon cheval, la pression va très revenir sur lui et une nouvelle dissolution sera inéluctable", reconnaît un député macroniste issu de l'aile gauche.

Au lendemain de sa nomination, direction Matignon pour la passation de pouvoir. Après quelques échanges en privé avec François Bayrou, le nouveau chef du gouvernement donne le ton sous l'œil des caméras.

François Bayrou et Sébastien Lecornu  à Paris le 10 septembre 2025
François Bayrou et Sébastien Lecornu à Paris le 10 septembre 2025 © TELMO PINTO / NurPhoto / NurPhoto via AFP

"Il va falloir changer, être plus créatifs et sérieux dans la manière de travailler avec les oppositions. Il va aussi falloir des ruptures, et pas que sur la forme, pas que dans la méthode", mais "aussi sur le fond", lance Sébastien Lecornu, crispant au passage le visage du patron du Modem.

"On a tous traduit qu'il allait faire de l'anti-Bayrou", observe un conseiller ministériel.

Il faut dire que les deux hommes ne s'apprécient guère. Le centriste lui a même trouvé un surnom: le "courtisan" pour griffer sa proximité profonde avec le chef de l'État.

"L'un est un solitaire, sûr de son fait, avec des convictions très ancrées sur la dette. L'autre est un homme de bande, toujours en vacances avec son meilleur copain Gérald Darmanin, souple idéologiquement. C'est un peu le jour et la nuit", observe un élu de l'Eure qui le connaît bien.

Opération câlinothérapie

En coulisse, la nouvelle méthode a déjà commencé. Sébastien Lecornu a ainsi appelé Olivier Faure pour lui annoncer en personne sa nomination à Matignon, aux antipodes, là encore de son prédécesseur qui n'a pas échangé un mot avec les socialistes de tout l'été. Séduire la gauche et ses 66 députés pour ne pas tomber, oui, mais d'abord cap sur le socle commun, en proie à des fractures laissées en friche depuis des semaines.

Le nouveau Premier ministre se lance donc dans une opération de câlinothérapie: café et croissants avec les responsables LR et macronistes mercredi soir, consultations plus officielles à Matignon, long rendez-vous avec le président du Sénat Gérard Larcher et son homologue à l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet...

Il y a urgence à s'assurer que les 210 députés Renaissance, Modem, LR et Horizons le soutiendront bien, et pas que du bout des lèvres. François Bayrou n'a ainsi pu compter que sur 27 députés issus du parti dirigé par Bruno Retailleau sur un groupe de 49 pour le soutenir lors du vote de confiance.

Bruno Retailleau et Sébastien Lecornu  à Paris le 16 juillet 2025
Bruno Retailleau et Sébastien Lecornu à Paris le 16 juillet 2025 © MAGALI COHEN / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Et puis, donner quelques gages à la droite ne peut faire de mal pour celui qui, après avoir fait une partie de sa carrière auprès de Bruno Le Maire puis de François Fillon, n'a pas hésité à tourner casaque lors de la présidentielle de 2017. Le trentenaire avait alors rejoint Emmanuel Macron, bien aidé à franchir le Rubicon par Édouard Philippe. Sébastien Lecornu était pourtant le numéro 2 du candidat de la droite à l'époque.

Dernière action pour tenter d'arrondir les angles avec LR: un crochet par les bureaux de Nicolas Sarkozy pour un rendez-vous en tête-à-tête.

"Ça ne fait jamais de mal de resserrer un peu les liens, d'autant plus que le futur budget risque de nous faire un peu grincer des dents si on fait trop plaisir à la gauche", traduit un sénateur LR qui le connaît bien.

Le PS dur en affaires

En effet. Une fois le socle commun rassuré, restent deux autres gros morceaux: les socialistes et le Rassemblement national. Du côté du parti à la rose, Olivier Faure a déjà prévenu: aucun élu de son camp ne rentrera dans un gouvernement dirigé par Sébastien Lecornu. Mais cela n'empêche pas le Premier ministre de croire à un accord de non-censure. François Bayrou y était bien arrivé en janvier dernier en lançant un conclave sur les retraites, avant que ces négociations n'aboutissent à une impasse infranchissable.

Et puis Sébastien Lecornu a déjà laissé entendre qu'il ne comptait pas reprendre le budget proposé par le centriste et ses 44 milliards d'euros d'économies qui ne passait pas du tout chez les socialistes. Suffisant pour obtenir leur bienveillance?

"On ne négociera pas avec Sébastien Lecornu tant qu'il ne nous dit pas exactement ce qu'il souhaite reprendre dans notre proposition de contre-budget", réplique le député Philippe Brun, élu du même territoire que le locataire de Matignon.
Sébastien Lecornu à Paris le 10 septembre 2025
Sébastien Lecornu à Paris le 10 septembre 2025 © THIBAUD MORITZ / AFP

Éventuelle retour du conclave avec une suspension de la réforme des retraites qui crispe déjà les syndicats, taxe portée par l'économiste Gabriel Zucman sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, fin de l'exonération des cotisations patronales sur les bas salaires... Les socialistes ont des demandes précises.

Problème: elles nécessitent toutes de revenir sur des totems de la macronie qui a toujours refusé jusqu'ici de revenir sur la retraite à 64 ans ou d'augmenter durablement la fiscalité sur les plus riches.

L'Élysée prêt à lâcher du lest?

Reste donc à savoir ce que Sébastien Lecornu veut faire évoluer et avec quel coût politique acceptable pour Emmanuel Macron qui n'a jusqu'ici jamais accepté de remettre en cause les marqueurs économiques de ses deux quinquennats. Pour l'instant, Sébastien Lecornu s'est bien gardé de dévoiler son jeu.

"C'est au Premier ministre de mener les discussions" avec les oppositions, se contente d'expliquer sobrement un proche du chef de l'État à BFMTV.

"On a tous acté qu'il faudrait bouger sur la fiscalité des très riches, à l'Assemblée comme à l'Élysée. Après, la question, c'est l'ampleur de notre renoncement", reconnaît cependant un député Renaissance issu des LR.

Sébastien Lecornu pourrait par exemple accepter de rendre pérenne et non plus exceptionnelle la contribution sur les très hauts revenus, lancée sous Michel Barnier et adoptée par François Bayrou.

Emmanuel Macron met une "saine pression" sur Sébastien Lecornu pour rattraper le retard français en matière de drones.
Emmanuel Macron met une "saine pression" sur Sébastien Lecornu pour rattraper le retard français en matière de drones. © Christophe SIMON

Manifestement soucieux de ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, Sébastien Lecornu n'a pas encore invité formellement la gauche à Matignon mais continue d'échanger avec Olivier Faure et l'ancien président François Hollande.

"Quand il le fera, c'est sûrement quand il sera certain qu'ils sont prêts à toper et qu'on a un deal. Le but est d'éviter à tout prix d'avoir des socialistes qui disent à la sortie du rendez-vous qu'ils nous censurent dans la foulée", analyse un élu LR.

"Il ne suffit pas d'une tape dans le dos"

Et les troupes de Marine Le Pen dans tout ça? Sébastien Lecornu est de ceux, plutôt rares dans le camp présidentiel, à entretenir de (plutôt) bonnes relations avec le Rassemblement national.

Le nouveau Premier ministre a dîné à plusieurs reprises avec elle dans un cadre privé. Il était par exemple présent en décembre 2023 lors des agapes entre Édouard Philippe et la cheffe du file du RN au domicile de son ami Thierry Solère, un intime d'Emmanuel Macron.

Resté conseiller départemental de l'Eure après avoir dirigé pendant quelques années le département, il peut aussi se targuer d'avoir noué des contacts de longue date avec les élus de terrain du RN qui compte pas moins de 4 députés sur 5 dans son territoire.

De quoi leur permettre d'obtenir la prise en compte de leurs amendements dans la loi de programmation militaire portée par Sébastien Lecornu lorsqu'il était ministre de la Défense en 2023 - une première pour le parti à la flamme. Mais cela ne sera pas forcément suffisant pour amadouer un mouvement qui réclame une nouvelle dissolution.

"Certes, c'est quelqu'un de cordial et il n'est pas sectaire, pas plus que François Bayrou. Mais il ne suffit pas de nous taper dans le dos pour qu'on signe les yeux fermés un budget", tance ainsi un proche de Marine Le Pen.
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"Plus la prudence que la flamboyance"

Tout comme pour les socialistes, aucune date de rencontre avec Sébastien Lecornu n'a encore été calée, pas plus qu'une éventuelle prise de parole dans un média pour se faire mieux connaître des Français et défendre ses orientations budgétaires. Tout juste se rend-il ce samedi en Saône-et-Loire pour parler "vie quotidienne" et déserts médicaux.

"Sébastien Lecornu, c'est plus la prudence que la flamboyance", reconnaît un sénateur LR.

Devra-t-il se faire violence pour convaincre ou les négociations dans l'ombre suffiront-elles à obtenir un budget et à jouer le rôle de paratonnerre pour Emmanuel Macron?

Pour l'instant, le Normand ne fait pas de miracle. Selon un sondage Toluna-Harris interactive, il récolte le pire score de popularité pour un Premier ministre qui arrive tout juste à Matignon.

Marie-Pierre Bourgeois