EDITO - L'impossible paradoxe de la loi de programmation militaire

Un militaire français travaille sur un Mirage 2000D sur la base militaire française de N'Djamena au Tchad, le 12 janvier 2013. - -
Vendredi la Loi de programmation militaire est présentée par le ministre de la Défense en conseil des ministres. À l'automne on en débattra au Parlement, sans grand changement. Cette "LPM" dans le jargon, sera celle de la deuxième réduction budgétaire consécutive depuis celle dite de 2009-2014.
Cette LPM collera de près au nouveau Livre Blanc de la Défense et la Sécurité nationale 2013, qui a soigneusement concilié deux facteurs quasi-contradictoires:
- la réduction des dépenses et des effectifs.
- le maintien de la France au niveau de grande puissance stratégique.
Les auteurs de ces deux textes, qui sont essentiellement les mêmes personnes, pensent avoir réussi. Sur la période 2014-2019 il y aurait 24.000 suppressions de postes en plus des 10.000 déjà promis dans la LPM précédente et qui est toujours en vigueur.
Moins de troupes, bien moins de civils encore. Moins d'éléments de soutien - on ira couper l'équivalent d'une brigade, soit 7 à 8.000 hommes - et davantage de forces spéciales, un millier de plus environ. Des rééquilibrages internes dont le sens échappera au commun des mortels.
Le déclassement stratégique, ultime abomination
Les grandes certitudes: les dirigeants ont désespérément peur du déclassement stratégique de la France, et de source proche du dossier, "nous avons évité ce déclassement". Nous restons dans la ligue États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, Inde, point final.
Ce n'est pas faux: la France dispose de nombreuses bases à l'étranger, d'un porte-avions, de sa propre industrie d'armement (française ou encore franco-allemande). Le cocorico est ici vital: l'armement est question de technologie et de guidage, or l'armement américain n'est pas vendu avec toutes les capacités satellitaires et de guidage - sans parler des pièces de rechange et des "upgrade" (modernisations) ultérieures et indispensables. Armé uniquement d'avions américains, une aviation ne peut attaquer les Américains car les F16 et autres deviendraient aveugles. Les Rafales français voient et agissent sans téléphoner au Pentagone.
Quant à l'arme nucléaire, elle inspire une considération énorme. La France s'est nucléarisée dès 1960, et en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, elle se fait respecter. Nous avons un arsenal nucléaire aéroporté et maritime (sous-marins principalement). Pourtant tout cela se paie: cette "dissuasion" comme on dit élégamment, coûte entre 3 à 4 milliards d'euros par an. On pourrait avoir un deuxième porte-avions, et force drones franco-européens, si on sacrifiait la dissuasion! Toutefois, si on lâchait le nucléaire, on ne le recouvrerait probablement jamais, la course à la technologie étant trop forte à notre époque.
Le désarmement nucléaire n'aurait pas lieu miraculeusement une fois notre dissuasion remisée. Ce n'est que très légèrement injuste pour des États qui voudraient cette bombe, bien qu'ils en soient empêchés par le Traité de non-prolifération nucléaire que ces mêmes ont signé afin d'accéder au nucléaire civil. La France, elle, peut garder son arsenal nucléaire et aucun État militarisé - hors Iran et Corée du Nord - n'y trouve à redire.
Piégée dans la grandeur
Ainsi, la France doit garder toutes ses capacités pour rester elle-même, et perdre une seule pièce de l'ensemble ferait s'effondrer toute notre doctrine stratégique. Nous ne voulons être stratégiquement déclassés. Nous ne pouvons cependant réduire davantage la dépense. Alors que nous sommes sollicités au Mali, en Côte d'Ivoire, en Centrafrique, au Tchad, au Liban, en Libye, en Afghanistan, dans l'Océan indien, et j'en passe. De Gaulle disait: sans la grandeur, la France ne saurait être elle-même. Pour le meilleur ou pour le pire, il avait compris l'équation.
Conclusion: l'administration française va devoir inventer l'armée la mieux gérée du monde, la plus efficace, la moins dépensière. C'est là l'exemplarité mondiale que nous nous sommes imposés. Le rapport puissance-prix le plus réussi de la planète. Bonne chance Monsieur Hollande, et à tous ceux qui pourraient l'aider.