TOUT COMPRENDRE. Prêts accordés au RN: pourquoi le parti est-il visé par une enquête?

Le président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella, à la sortie de Matignon, à Paris, le 30 avril 2025 - Bertrand GUAY / AFP
Le Rassemblement national est visé par une enquête pour des prêts accordés par des particuliers au parti d'extrême droite, a indiqué le parquet de Paris mercredi 14 mai. L'enquête n'est toutefois pas récente, elle a été lancée en juillet 2024, après un signalement émis en 2023.
• De quels prêts parle-t-on?
L'affaire est révélée au début du mois de mai par le magazine Challenges. L'hebdomadaire économique rapporte que 23 particuliers ont effectué des prêts de façon récurrente au RN. Le montant total est estimé à plus de 2,3 millions, couvrant une période allant de 2020 à 2023. Selon le journal, le RN tarde à rembourser ses créanciers.
Ces prêts, qualifiés de "suspects" par l'hebdomadaire, font l'objet d'un signalement émis en 2023 par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).
• Qu'est-il exactement reproché au RN?
L'emprunt d'argent auprès de particuliers n'a rien d'illégal, le RN fait d'ailleurs régulièrement appel à la générosité de ses sympathisants pour bénéficier d'une aide financière.
Cependant, ces prêts doivent répondre à un certain nombre de règles, spécifiées par la CNCCFP. "Les personnes physiques peuvent consentir des prêts à un candidat dès lors que ces prêts ne sont pas effectués à titre habituel", indique notamment la Commission qui précise également que "la durée de ces prêts ne peut excéder cinq ans".
Autre obligation, les partis ont l'obligation de rembourser ces prêts et d'adresser "chaque année" à la commission "un état du remboursement du prêt".
Mais selon la CNCCFP, "23 personnes physiques" ont "prêté des sommes sur au moins deux exercices différents et pour un montant supérieur à 100.000 euros", ce qui pourrait être considéré comme un prêt "effectué à titre habituel", interdit par la loi.
• Où en est l'enquête?
Si l'ouverture d'une enquête visant le RN n'a été rendue publique que mercredi, les investigations ont débuté depuis des mois. En effet, après le signalement émis par la CNCCFP en 2023, des investigations ont été lancées en juillet 2024.
Une information judiciaire a été ouverte le 3 juillet 2024 pour des soupçons d'escroquerie au préjudice d'une personne publique, pour faux et usage de faux.
Elle a ensuite été élargie au cours du mois de juillet 2024 aux chefs de prêt à titre habituel d'une personne physique à un parti politique, acceptation par un parti de ces prêts, versement de don annuel supérieur à 7.500 euros par une personne physique à un parti politique et acceptation par un parti politique de ces dons.
• Comment réagit le RN?
Le président du RN Jordan Bardella a assuré jeudi avoir "découvert" l'affaire dans la presse, a dénoncé une "opération de harcèlement" et une "volonté de mort financière" visant son parti.
"On est en train de reprocher au Rassemblement national - à qui toutes les banques ont refusé d'accorder des prêts lors des dernières élections présidentielles - notamment d'être allé chercher des prêts à des particuliers, (qui) sont encadrés, font l'objet de contrats et sont parfaitement légaux", s'est-il défendu.
Selon Challenges, Jordan Bardella avait répondu à la CNCCFP en récusant toute irrégularité et en dénonçant même une saisine "abusive" de la part du procureur de la République.
"Il n'y a aucun texte législatif ou réglementaire permettant de définir le terme 'habituel'", a-t-il déclaré à propos de la règle interdisant les prêts "à titre habituel".
• Pourquoi cette affaire tombe particulièrement mal pour le RN?
Ces investigations surviennent alors que le RN est dans le flou concernant son candidat ou sa candidate pour l'élection présidentielle de 2027. Marine Le Pen, déjà candidate à trois reprises, fait en effet l'objet d'une peine de cinq ans d'inéligibilité avec application immédiate, après sa condamnation en mars à quatre ans de prison dont deux fermes et à 100.000 euros d'amende pour détournement de fonds publics.
La patronne des députés RN a été reconnue coupable d'avoir rémunéré des assistants parlementaires qui travaillaient en réalité pour le parti par des fonds européens. Elle a fait appel, espérant une décision avant le scrutin de 2027.
Ce n'est pas la première fois que le RN est visé une nouvelle enquête financière. En 2024, le parti a été condamné à 250.000 euros d'amende pour recel d'abus de biens sociaux dans l'affaire dite "des kits de campagne".
Il lui était reproché d'avoir eu recours à un montage financier complexe pour détourner des remboursements de frais de campagne accordés à ses candidats aux élections législatives de 2012 pour son microparti Jeanne.
Selon un sondage Ifop daté du 5 mai dernier, Marine Le Pen et Jordan Bardella obtiendraient sensiblement le même score au premier tour de l'élection présidentielle, avec entre 32 et 35% des voix selon les configurations, avec un léger avantage pour l'eurodéputé, donné au coude-à-coude avec l'ancien Premier ministre et fondateur du parti Horizons Édouard Philippe.