Salon de l'agriculture: le Front national de plus en plus populaire chez les agriculteurs

Après la visite catastrophique de François Hollande samedi et celle, plus apaisée, de Manuel Valls ce lundi, Marine Le Pen est attendue ce mardi dans les allées du Salon de l'agriculture. Un déplacement d'importance pour la présidente du Front national: elle a prévu de passer une dizaine d'heures aux côtés des éleveurs de la plus grande ferme de France. Elle participera d'ailleurs à six rendez-vous avec des professionnels du secteur.
Le vote paysan, qui regroupe aussi bien les agriculteurs, leurs familles et les retraités, représente plus d'un million d'électeurs. Le monde agricole est ainsi l'une des cibles du parti d'extrême droite, à un peu plus d'un an de la prochaine élection présidentielle: il représente quelque 8% de l'électorat français.
"Le vote agricole peut faire perdre une élection"
"C'est un enjeu pour le FN comme pour tous les autres partis", analyse pour BFMTV François Purseigle, chercheur associé au Cevipof. "Si, à lui seul, le vote agricole ne peut faire gagner une élection, il peut néanmoins la faire perdre".
L'opération conquête a commencé après l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti. Très vite, la nouvelle présidente a martelé sa volonté d'être "la candidate de la ruralité". "L'agriculture a une valeur symbolique pour le FN, explique sur BFMTV le sociologue Sylvain Crépon, "avec des valeurs comme la terre, les racines." Sans compter que le sujet est plus que jamais à la une des médias. Une aubaine pour le FN. "Certains agriculteurs vivent une situation de malaise profond. Le FN le sait et joue de cette détresse, de ce sentiment de déclassement", ajoute François Purseigle.
36% des agriculteurs prêts à voter Marine Le Pen
De fait, le Front national progresse dans cette tranche du corps électoral. Selon un sondage BVA pour la revue agricole Terre-Net, 36% des agriculteurs se disent prêts à voter Marine Le Pen en 2017. C'est presque deux fois plus qu'en 2012. La candidate avait alors obtenu 19,5% des voix paysannes, soit 1,5 point de plus que son score national, toutes catégories socio-professionnelles confondues, et six points supplémentaires que son père à la présidentielle de 2007.
En 2014, elle est même accueillie sous les applaudissements au Salon de l'agriculture. Mais pour le sociologue et maître de conférences à l'université de Toulouse, l'attrait pour le Front national est récent et jusqu'en 2012, les agriculteurs avaient plutôt fait rempart contre le FN.
"Le parti le plus anti-européen capte ce désamour"
"Un discours populiste sur le malaise peut séduire, d'autant que chez certains agriculteurs, une tentation de repli sur soi avec la crainte de la globalisation se fait parfois sentir", selon François Purseigle. "Marine Le Pen surfe sur ces incertitudes".
Florian Philippot, vice-président du Front national, le déclarait encore sur BFMTV: "Les agriculteurs seraient beaucoup plus heureux et moins embêtés par les normes européennes" sans la Pac. Pour la remplacer, le député européen propose une "politique agricole nationale". Le discours nostalgique sur la France rurale d'autrefois et le protectionnisme anti-Union européenne du FN semblent séduire. "Ils s'intéressent de plus en plus à nous", indique sur BFMTV Edouard Ferrand, chef de file des eurodéputés frontistes à Bruxelles.
"Les agriculteurs ont longtemps voté pour des partis de gouvernement, avec l'idée que la politique européenne les défendait", analyse pour BFMTV Bernard Sananes, président du cabinet d'études Elabe. Mais aujourd'hui, en plus d'un contexte de difficultés économiques nationales et d'un mécontentement généralisé, viennent s'ajouter des spécificités rurales: un sentiment d'abandon, l'impression d'inégalités territoriales. "Le parti le plus anti-européen, le Front national, vient capter ce désamour", ajoute-t-il.
"Le vote agricole doit être conquis"
Mais selon François Purseigle, il ne faut pas oublier que les agriculteurs ont longtemps porté le projet européen. Et pour certains d'entre eux, en véritables chefs d'entreprises tournés vers des projets internationaux, la mondialisation et l'Europe sont une carte à jouer.
"Même si on souffre énormément de la Pac, qu'on se retrouve dans une impasse avec un marché aux mains d'ultra-libéraux, on est et on reste fondamentalement européen", insiste Bernard Lannes, président de la Coordination rurale. "La politique agricole nationale, prônée par le FN, c'est de l'idéologie et une pure utopie. On ne peut pas fermer les portes et les fenêtres de la France".
"Les agriculteurs ne sont pas devenus racistes"
"Si un certain doute semble s'être installé autour de l'action des politiques en général, les agriculteurs ne sont pas dupes des discours qu'on leur sert", ajoute François Purseigle. Et si le vote agricole est traditionnellement ancré à droite, "il n'est acquis à aucun camp, l'électorat paysan n'a pas le doigt sur la couture", ajoute le sociologue des mondes agricoles, qui précise que, comme pour toutes les autres catégories socio-professionnelles, il doit être conquis.
"Oui, les agriculteurs ont voté FN au premier tour de l'élection présidentielle en 2012", affirme le syndicaliste Bernard Lannes. "Mais les agriculteurs ne sont pas devenus racistes du jour au lendemain, ils n'adhèrent toujours pas aux fondamentaux du Front national".
Selon lui, il s'agit avant tout d'un vote de protestation. Mais un vote qui pourrait prendre de l'ampleur, crise agricole se prolongeant.