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"On a coupé le cordon il y a longtemps": au RN, l'héritage encombrant de Jean-Marie Le Pen

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Si la plupart des députés du RN ont veillé ces dernières années à prendre leurs distances avec Jean-Marie Le Pen, l’ex-candidat à la présidentielle gardait toujours des admirateurs au sein du mouvement.

Le RN va-t-il définitivement tourner la page Jean-Marie Le Pen? "Ce sera difficile pour ses proches, sa fille, c’est sûr. Mais pour nous, ça ne changera pas grand-chose et on aura moins à se justifier de temps en temps sur des histoires qui datent de 50 ans".

C’est par ses quelques mots qu’un député RN résumait à BFMTV.com l’atmosphère dans les rangs du parti en novembre dernier, quelques semaines avant la mort de Jean-Marie Le Pen, survenue ce mardi 7 janvier.

"Avec lui se tourne une page de l’histoire politique française et (…) de l’histoire politique européenne", rend hommage le RN dans un communiqué.

"Pour le Rassemblement national, il restera celui qui, dans les tempêtes, tint entre ses mains la petite flamme vacillante de la Nation française et qui, par une volonté et une ténacité sans limite, fit du mouvement national une famille politique autonome, puissante et libre", poursuit le texte.

Jean-Marie Le Pen, ancien président du FN, est mort à l'âge de 96 ans
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Une nouvelle génération

Mais près de dix ans après avoir été limogé par Marine Le Pen de son propre parti, rares sont les actuels députés du RN à s’être engagés en politique pour Jean-Marie Le Pen. Il faut dire que les ambitions présidentielles de la patronne des députés RN couplées à l’arrivée en force de ses troupes à l’Assemblée nationale ont fait émerger des dizaines de profils très loin de la marginalité dans lequel le Front national est né en 1972.

Parmi les visages que met en avant le mouvement, on trouve notamment Jean-Philippe Tanguy et Thomas Ménagé, qui ont tous les deux fait leurs classes aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan. Alexandra Masson et Yoann Gillet, tous deux nommés porte-paroles à l’Assemblée, sont passés par les arcanes des LR avant de prendre leur carte du parti à la flamme.

"On est beaucoup à ne pas avoir de passif avec Jean-Marie Le Pen", résume un parlementaire. "Quand vous êtes arrivés au RN une fois que Marine Le Pen en a pris la tête, au mieux vous l’avez croisé une fois et plus probablement jamais."

"On a coupé le cordon il y a longtemps"

Autant dire que tous ceux qui ont pris leur carte au RN ces dernières années ne se se sentent guère comptables de son passif, entre ses condamnations pour provocation à la haine, banalisation de crime contre l’humanité ou encore pour violences sur une élue locale.

Parmi les députés RN qui courent les plateaux, plusieurs ont cependant bien adhéré au RN dans les années 1990. Mais ils ont ensuite suivi Bruno Mégret, l’ex-lieutenant de Jean-Marie Le Pen qui avait claqué la porte du parti en 1999, en désaccord avec la stratégie alors en place.

"Aller avec Mégret, c’était aspirer un jour à devenir un parti de gouvernement et en avoir un peu marre des sorties désordonnées de Jean-Marie Le Pen", estime un député. "Et ceux qui sont revenus l’ont fait pour Marine Le Pen." "On a coupé le cordon avec le patriarche il y a bien longtemps", assure ce parlementaire.

Parmi ces profils, on trouve notamment la députée Laure Lavalette et le conseiller spécial de Marine Le Pen, Philippe Olivier.

Si le mouvement dirigé par Jordan Bardella veille autant à ce que ces figures les plus médiatiques de son mouvement soient relativement vierges de relations avec Jean-Marie Le Pen, c’est que le cofondateur du RN était devenu jusqu’à son décès "quasi radioactif" pour reprendre les mots d’un assistant parlementaire.

"Jean-Marie Le Pen a toujours eu le goût de la provocation, de la saillie qui allait choquer les médias, les gens de gauche. Marine Le Pen n’est pas du tout là-dedans", assure l’un de ses lieutenants.

Une stratégie de la cravate loin de Jean-Marie Le Pen

Ces dernières années, l’ex-candidate à la présidentielle s’est ainsi appliquée à lisser son image avec l’obsession de la respectabilité. Exit pendant lors de la dernière course à l’Élysée la médiatisation d’idées - pourtant bien contenues dans son programme - qui pourraient faire polémique comme la préférence nationale, théorisée par son père dans les années 1980.

Marine Le Pen a préféré pendant toute la campagne de 2022 s’appliquer une recette bien rodée, entre selfies avec des passants et discussions avec des commerçants dans les allées d’un marché. Après l’élection de 89 députés dans la foulée, la désormais présidente des députés RN fait passer le message auprès de ses troupes: cravate pour les hommes, veste pour les femmes et des discours dans l’hémicycle préparé au cordeau.

Si des couacs ont bien lieu - à l’instar du discours du doyen de l’Assemblée nationale, José Gonzales, un admirateur de Jean-Marie Le Pen, qui évoque à la tribune "l’âme de la France" lors de la colonisation en Algérie ou du "retourne en Afrique" lancée en plein débat par Grégoire de Fournas - la stratégie de notabilisation de Marine Le Pen fonctionne à plein.

Ce nouveau positionnement lui permet même de s’afficher à la marche contre l’antisémitisme organisée après les attaques du 7 octobre 2023 en Israël. La gauche a beau établir un "cordon républicain" lors de sa participation à la manifestation, rappelant au passage que le FN a été notamment fondé par d’anciens Waffen-SS, Marine Le Pen défile tranquillement.

"L'ambiguïté" de la marche contre l’antisémitisme "permet les soutiens les plus insupportables", dénonce de son côté La France insoumise qui refuse d’y participer.

Le jour J, Marine Le Pen savoure. "Nous sommes exactement là où nous devons être", rétorque-t-elle à des journalistes qui lui rappellent le passé antisémite du mouvement.

"Compliqué comme histoire"

Le RN se prend pourtant régulièrement les pieds dans le tapis en la matière quand on lui rappelle les propos de Jean-Marie Le Pen en 1987 qui jugeait que les chambres à gaz dans les camps de concentration était "un détail de l’histoire".

Exemple avec Jordan Bardella: en octobre 2023, Jordan Bardella estime sur BFMTV "ne pas croire que Jean-Marie Le Pen était antisémite". Face à la polémique, l'eurodéputé regrette ensuite "sa maladresse" et juge finalement que le cofondateur du RN s’est "évidemment enfermé dans un antisémitisme".

Rebelote quelques semaines plus tard sur notre antenne. Manifestement gênée, la députée Mathilde Paris reconnaît après un long silence qu’il y "clairement eu une ambiguïté de Jean-Marie Le Pen" et indique qu’à "titre personnel", elle "pense qu’il était" antisémite.

"C’est compliqué comme histoire", souffle un député RN, peu disert sur le sujet. "Je pense qu’on a tous une part d’admiration pour l’adversité qu’a traversé Jean-Marie Le Pen pendant toutes ces années et en même temps, tout cela n’a plus rien d’un sujet pour personne au parti"

Des intimes toujours actifs au parti

Malgré tout, certaines figures du parti sont restées proches du cofondateur du FN jusqu'au bout. On peut citer le député Frédéric Bocaletti, ancien directeur de campagne de Jean-Marie Le Pen lors des élections régionales en 2010 et un temps en charge de son compte Twitter.

Frédéric Chatillon, prestataire à plusieurs reprises des campagnes de Marine Le Pen faisait toujours partie de ses intimes. Jean-Marie Le Pen était ainsi le parrain de l’une de ses filles. Cet ancien du Gud, un syndicat étudiant d’extrême droite connu pour ses actions violentes dans les années 1970 et 1980, est dans le même temps dans le cercle rapproché de la patronne des députés RN. Il est d’aillleurs parmi les premiers à conseiller à Marine Le Pen d’exclure son père du parti en 2015.

Député européen jusqu’en 2019, Bruno Gollnisch, qui est encore membre du conseil national du Rassemblement national, faisait toujours partie des très proches de Jean-Marie Le Pen.

"Notre histoire vient de lui. C'est normal que certains lui ont gardé leur amitié. Mais je n'en fais pas de lecture politique, plus celle d'une aventure politique avec un homme", banalise un élu RN.

Le patron du mouvement Jordan Bardella a rendu hommage à un homme qui "a toujours servi la France, défendu son identité et sa souveraineté", dans "l'armée française en Indochine et en Algérie", ou en tant que "tribun du peuple". Le vice-président du RN Sébastien Chenu a également déploré la "disparition d'un immense patriote, visionnaire et d'une incarnation du courage" qui "a porté l'espoir de millions de Français".

Marie-Pierre Bourgeois