Le changement de pied d'Emmanuel Macron sur les quotas d'immigration

Emmanuel Macron s'adresse à la presse juste avant sa rencontre avec Viktor Orban, président de la Hongrie - Ludovic Marin / AFP
"Je ne crois pas (...) aux politiques de quotas, parce qu’on ne sait pas les faire respecter: déciderions nous demain d’avoir un quota de Maliens ou de Sénégalais d’un côté, d’informaticiens, de bouchers de l’autre, comme certains le proposent, un tel dispositif serait quasiment impossible à piloter."
Ces mots, publiés le 2 mars 2017 sur le site de l'hebdomadaire protestant Réforme, sont d'Emmanuel Macron. Il est alors interrogé, en pleine campagne présidentielle, par la présidente de la Cimade, association de solidarité avec les migrants et les réfugiés. Affirmant que l'immigration "n'est pas quelque chose dont nous pourrions nous départir", le candidat En Marche! ajoute qu'elle "se révèle une chance d'un point (de vue) économique, culturel, social".
Deux ans et demi plus tard, Emmanuel Macron amende radicalement son cap au moins sur un point. Selon les informations du service politique de BFMTV, confirmées notamment par la ministre du Travail Muriel Pénicaud sur notre antenne, le gouvernement s'apprête à mettre en place un système d'"objectifs chiffrés" ou de "quotas" d'immigration économique. Un débat annuel au Parlement devrait être organisé afin de définir les besoins de main-d'œuvre dans tel ou tel secteur d'activité.
Pas de quotas dans la loi asile-immigration
Cette annonce, aussi surprenante puisse-t-elle paraître, s'inscrit dans la continuité de l'évolution du chef de l'État sur les questions migratoires depuis son élection. Pendant la campagne, il s'agissait pour lui de se démarquer prioritairement de François Fillon, dont le programme incluait l'instauration de quotas.
Cherchant avant tout à siphonner l'électorat de centre gauche laissé en jachère par un Parti socialiste fracturé, usé par le pouvoir et incarné par la candidature boiteuse de Benoît Hamon, Emmanuel Macron adoptait une posture beaucoup moins martiale que son concurrent Les Républicains.
Même lorsque la loi asile-immigration a été défendue par Gérard Collomb au printemps 2018, au grand dam de l'aile gauche de la majorité présidentielle, les quotas n'étaient pas au menu.
À l'époque ministre auprès du ministre de l'Intérieur, Jacqueline Gourault (aujourd'hui aux Collectivités territoriales) avait expliqué devant le Sénat que "l'introduction de 'quotas' votés par le Parlement, pour chacune des catégories de séjour à l'exception de l'asile, ne résiste pas à un examen de sa faisabilité".
Face aux gilets jaunes, Macron réactive le sujet
C'est durant la crise des gilets jaunes qu'Emmanuel Macron a changé de posture. D'abord lors de son allocution télévisée du 10 décembre, dans laquelle il affirme son souhait que la Nation se mette d'accord "avec elle-même sur ce qu’est son identité profonde" en affrontant "la question de l’immigration".
Un mois plus tard, dans sa "lettre aux Français", le président de la République clarifie ses intentions en incluant, parmi les questions qu'il souhaite verser au grand débat national, celle des quotas. Si le terme n'est pas brandi, ses contours le sont explicitement:
"Que proposez-vous pour améliorer l’intégration dans notre Nation? En matière d’immigration, une fois nos obligations d’asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement?"
En 2019, Castaner jette un pavé dans la mare
Ce regain manifeste de volonté de traiter la question migratoire s'est cantonné, pendant plusieurs mois, à la sphère des déclarations d'intention. D'autant que les "cahiers de doléance" compilés durant le grand débat national compilaient essentiellement des demandes en matière de justice sociale et fiscale, et de représentation territoriale.
Malgré tout, Emmanuel Macron annonce lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019 qu'un débat sur l'immigration sera organisé chaque année à l'Assemblée nationale. Les quotas ne sont alors toujours pas au menu.
C'est en juin 2019 qu'un membre du gouvernement jette finalement un pavé dans la mare. Interrogé par Le Journal du Dimanche, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner affirme que "la question des quotas pourra être posée dans le cadre du débat pour d'autres modes d'immigration légale".
Un propos qui contredit la position originelle du candidat Macron. Mais va également à contre-courant d'un rapport sur le sujet, rédigé en 2008 par l'ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud à la demande du ministre Brice Hortefeux, et concluait à leur inefficacité.
Le "virage régalien" du chef de l'État désormais pleinement amorcé, notamment depuis son laïus musclé devant les parlementaires La République en marche à la fin de l'été, le temps est à la mise en application. Quelques jours après la parution de son interview dans l'hebdomadaire de droite Valeurs actuelles, Emmanuel Macron avalise la mise en place de quotas d'immigration économique. Ils seront restreints à une catégorie spécifique n'incluant que 33.500 titres de séjour sur près de 250.000 entrées légales par an. Un effet minime, donc, mais symbolique.