Une campagne "artisanale" ou "improvisée"? Comment Taubira s'organise pour la présidentielle
Sur les pentes de la Croix-Rousse, le brouillard a gâché les images. Lorsque Christiane Taubira officialise sa candidature à la présidentielle, le 15 janvier dernier, son équipe n'a pas prévu l'habituelle brume matinale lyonnaise, raconte Olivia Fortin. L'adjointe au maire de Marseille, chargée d'introduire le discours de l'ex-garde des Sceaux, décrit un "évènement quasi prévu du jour au lendemain." À l’image de sa campagne, "artisanale et populaire" selon ses soutiens, "bancale" voire "improvisée", pour les plus sceptiques.
Il faut dire que tout s'est accéléré ces dernières semaines, depuis que Christiane Taubira a déclaré "envisager" sa candidature le 17 décembre dernier. Si l'ancienne ministre de François Hollande est donnée gagnante de la primaire populaire, dont les résultats seront connus ce dimanche soir, "ce sera le véritable coup d’envoi de la campagne", s’enthousiasme Olivia Fortin. Soit 73 jours avant le premier tour de la présidentielle.
"Les comités Taubira, c’est disruptif"
L’icône de la gauche sociétale assume une campagne à peu de frais, portées par des initiatives citoyennes. La primaire populaire d’un côté, avec près de 467.000 personnes inscrites. Le collectif Taubira pour 2022 de l’autre, dont le porte-parole Johan Jousseaume, est l’un des plus fidèles artisans.
Né en juin 2020, le groupe a grandi jusqu’à réunir près de 100.000 internautes qui suivent les pages Facebook et Instagram. "On a surtout un vrai maillage territorial grâce à 80 comités locaux, où entre 40 et 60 personnes sont actives en moyenne", assure le porte-parole. De quoi passer du réseaux sociaux à la rue selon lui, avec du tractage, l’organisation de cafés-débats et une présence dans la presse locale.
"Les comités Taubira, c’est disruptif", pointe l'ancien député Christian Paul, reprenant l'un des termes habituellement attribués à la Macronie. Et de comparer ces militants à "une armée qui se lève" partout sur le territoire.
"Pour elle, ça compte", assure cet ancien "frondeur" du quinquennat Hollande, désormais l'un des soutiens les plus visibles de Christiane Taubira.
La primaire populaire pour se lancer?
En deux ans, l’ancienne ministre de 69 ans a assisté à l’éclosion de ces comités de soutien, avant d’arriver en tête des candidats proposés à la primaire populaire en octobre, lorsqu’il y avait encore moins de 130 000 signataires. De quoi lui donner envie de revenir dans l’arène. "Ça, et la difficulté des autres candidats de gauche, plus la montée de l’extrême droite", résume le porte-parole de Taubira pour 2022.
"La primaire populaire est une structure d’un type nouveau", veut croire Christian Paul, qui dit avoir toujours sa carte au PS. "Ce que j’appellerai une ONP, une organisation non partisane, initiée par des citoyens, qui se substitue à des partis en berne pour investir une candidature commune. Bien plus mobilisatrice que des partis comme le PS ou EELV qui ont moins de 20.000 adhérents."
Si l’équipe de sa candidate ne ferme pas la porte à la création de son propre mouvement, Christiane Taubira ne peut pour l'instant compter que sur le soutien du Parti radical de gauche (PRG) dans les forces politiques traditionnelles. C'est sous cette bannière qu'elle fut candidate à l'élection présidentielle en 2002, récoltant 2,32% des suffrages au premier tour, avant d'être vice-présidente du parti de 2002 à 2004.
"Gloubi-boulga de propositions"
Quid du financement pour mobiliser en dehors de ces mouvements citoyens? L’entourage de Christiane Taubira renvoie à plus tard: "En janvier, on reste sur la frugalité, avec 2500 personnes qui participent de près ou de loin." Officiellement, les décisions attendront l'éventuelle investiture de dimanche. Pareil pour l’organigramme de l’équipe de campagne. Ou encore le programme complet.
"La campagne présidentielle, ce n’est pas de se présenter au dernier moment et faire un gloubi-boulga de propositions comme Casimir dans L'Île aux enfants", tacle Delphine Batho, la porte-parole du candidat écologiste Yannick Jadot, auprès de BFMTV.com.
"Elle aborde la campagne sur sa personne, mais elle n’a ni programme, ni projet", déplore également David Belliard, adjoint écologiste à la maire de Paris, auprès BFMTV.com
"Personne ne lit mille propositions", se défend Christian Paul. Sa candidate axe ses débuts de campagne sur quelques thèmes-phares: jeunesse, justice sociale, et écologie. À l’image de sa proposition de consacrer au moins 1% du PIB à la jeunesse. Et de brandir une signature, "c’est une candidate de la justice".
Embouteillage à gauche
C’est le véritable défi pour Christiane Taubira: dénicher, en un temps record, un créneau pour se démarquer de ses (nombreux) concurrents à gauche et se débarrasser des critiques sur son passé dit "libéral". La candidate a par exemple profité de son passage dans l’émission C à vous lundi pour faire acte de contrition sur son vote de confiance au premier ministre de cohabitation Edouard Balladur en 1993. "C’était une erreur politique", a-t-elle admis.
"Jean-Luc Mélenchon disait qu’elle était socio-libérale, maintenant qu’elle a pillé son programme…" ironise Christian Paul. Et d’ajouter: "on a un staff d’experts qui vaut largement les autres, voire plus." Si la candidate s’appuie sur une base commune, elle veut défendre ses propres mesure en matière de jeunesse et de fiscalité, reposant sur les analyses du sociologue Camille Peugny ou de l’économiste Gabriel Zucman.
Le pari vise surtout Anne Hidalgo, dont la campagne prend l’eau de toutes parts. "C’est une sociale-démocrate très isolée qui n’a pas su se renouveler" glisse l’équipe de la Guyanaise. Le duel entre les deux femmes se joue pour l'heure sous la barre des 5% d’intentions de vote, même si l'équipe de l'ex-ministre vise les 7-8% début février.
"J'ai une assise"
Plus que sur son programme, la quasi-candidate se fait entendre grâce à son image de femme providentielle, à l'heure où la gauche désunie n'est pas - selon les sondages - en capacité d'accéder au second tour. "J'ai une assise qui doit faire envie à des tas de gens", a estimé la candidate auprès de Libération.
"J'ai une sensibilité et je me suis engagée. Mon parcours me rend identifiable sur tous les enjeux: de justice, d'égalité des droits et d'écologie", a-t-elle dit.
La candidate met l'accent sur la nécessite de rassembler à gauche via, dans son cas, la primaire populaire: "Personnellement, je ne veux pas avoir à me reprocher de ne pas avoir essayé quelque chose pour unir nos forces."
Le député insoumis de Seine-Saint-Denis, Éric Coquerel, fustige lui un "discours défaitiste", selon lequel seul le rassemblement mène à la victoire. "C’est surtout une porte de sortie", assure-t-il à BFMTV.com, qui "ne concerne que les héritiers de Hollande."
Avec la primaire populaire, Christiane Taubira a fait en tout cas un pari risqué, étant la seule des principaux candidats de gauche à reconnaître ce scrutin. Si elle perd, elle jure de quitter l’arène. Et si elle gagne? Son avenir reste flou. Comme le début de sa campagne.