Présidentielle 2017: l'abstention pourrait-elle offrir la victoire au Front national?
Le fameux "plafond de verre", qui bloque l'accession du Front national au pouvoir à chaque élection en l'empêchant d'atteindre les 50% de votes effectifs nécessaires, serait-il sur le point de se briser? Serge Galam, physicien ayant rejoint le Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po, émet cette hypothèse. Dans ses travaux, il met en exergue un front républicain qui s'effrite et pourrait, cette fois, ne pas répondre présent lors du second tour de l'élection présidentielle.
"La dynamique du front républicain, c'est qu'une grande majorité d'électeurs, si un candidat du Front national peut passer, iront voter pour un candidat challenger quel qu'il soit. La motivation de ce front républicain s'est érodée, ce qui fait que le 'plafond de verre' a monté", explique Serge Galam.
Le chercheur, qui avait déjà prédit la victoire de Donald Trump lors des élections présidentielles américaines, s'inquiète cette fois que la campagne actuelle nourrisse l'abstention lors du second tour.
"Ce qui risque de se passer, c'est que les deux candidats potentiels pour être son challenger, François Fillon et Emmanuel Macron, génèrent pour des électeurs différents une réticence à aller voter pour eux, même pour s'opposer à Marine Le Pen. Même s'ils disent qu'ils vont voter contre Marine Le Pen, je pense que beaucoup d'électeurs auront une réticence, même une aversion à aller voter pour le challenger", analyse Serge Galam.
Abstention inavouée plutôt que vote honteux
Cette réticence pourrait créer un rééquilibrage des votes effectifs, considère le physicien, ce qui permettrait à Marine Le Pen de se rapprocher, voire de dépasser, les 50% nécessaires à la victoire. En moyenne, la présidente du Front national gravite dans les enquêtes d'opinions "autour des 43%" d'intentions de vote, observe Serge Galam. Il suffirait alors qu'un différentiel de 20% entre les intentions de vote et les votes effectifs des sympathisants de son adversaire soit constaté pour que la candidate frontiste soit élue présidente de la République.
Par exemple, si Marine Le Pen est donnée perdante au second tour avec 40% des suffrages mais que l'intégralité de ses électeurs votent pour elle, il suffit que 20% de l'électorat non-frontiste ne se déplace pas aux urnes pour que la candidate d'extrême-droite ait plus de votes effectifs et remporte l'élection présidentielle.
Serge Galam décrit également un autre phénomène, celui de "l'abstention inavouée". Selon lui, elle vient remplacer "le vote honteux pour le Front national" et pourrait mettre à mal les prédictions des sondeurs.
"Les instituts de sondage prédisent une évolution à partir des données qu'ils ont, une dynamique d'entre deux tours, avec un tas de caractéristiques qui sont tout à fait valables et légitimes. On a eu jusqu'à maintenant le vote honteux, pour le FN. Maintenant est apparu ce que je pourrai appeler l'abstention inavouée. Ça faussera le résultat prévu par les sondages", estime-t-il.
Les sondeurs n'y croient pas
Du côté des instituts de sondage, cette théorie ne prend pas. Pour Bernard Sananès, le président de l'institut Elabe, "l'élection présidentielle échappe à la malédiction de l'abstention, qui progresse dans tous les scrutins en France depuis vingt ans". Mais il reconnaît qu'il est compliqué de déjà se prononcer sur la participation à venir au second tour.
"Il y a un certain nombre d'électeurs qui aujourd'hui nous disent 'je ne sais pas encore pour qui j'irai voter'. Dans l'hypothèse d'un second tour François Fillon – Marine Le Pen, un tiers des électeurs ne se prononcent pas. Est-ce que ça veut dire que ce tiers-là s'abstiendra? Pour près d'un sur deux, ils disent aujourd'hui qu'ils vont s'abstenir", assure le président d'Elabe.
Selon les sondeurs, ce n'est pas l'abstention qui pourrait porter la candidate du Front National, mais le tournant sociétal qu'elle est capable de donner à un potentiel second tour.