Dupont-Aignan: «Je ne suis ni dans la majorité, ni dans l'oppostion»

Nicolas Dupont Aignan, Président de Debout la République. - -
Jean-Jacques Bourdin : Vous êtes deux députés dans Debout la République ?
Nicolas Dupont Aignan : Oui c’est un petit mouvement gaulliste naissant.
J-J B : Combien d’adhérent ?
N D-A : Près de dix mille.
J-J B : Pardonnez moi l’expression, mais est-ce qu’on est en train d’entrer dans le dur ? Je veux dire que plus de cent jours sont passés maintenant, est-ce qu’aujourd’hui le Président de la République est en train d’affronter ses premières difficultés ?
N D-A : Je crois que le Président de la République est en train de connaître le début de la réalité. On a vécu un été, autant le dire franchement, un peu surréaliste, parce que finalement il y avait un unanimisme général, une façon de présider un peu showbiz, qui peut plaire, mais derrière ce sont effectués des choix et on n’a pas parlé de ces choix, ils n’ont pas été débattu, ils n’ont même pas été connu des Français. Et aujourd’hui les Français rentrent des vacances et découvrent certaines choses. Des choses comme les affaires étrangères, puisque les forces sont engagées davantage en Afghanistan suite à la rencontre avec Georges Bush ; la Constitution Européenne qui avait été rejeté, on la ré adopte en douce. Et puis des choses encore plus concrètes en matière de pouvoir d’achats, de réformes fiscales. On a voté un fameux paquet fiscal avant les vacances. Pendant l’été il y a eu des décisions de prises, qui ont été masqué par une sorte de tourbillon et aujourd’hui on parle de rigueur mais les Français ne comprennent pas ce qui s’est passé pendant les vacances. Nicolas Sarkozy a certes apporté un souffle nouveau, mais derrière ce souffle nouveau, il y avait des engagements précis dans sa campagne et j’ai l’impression que ces engagements sont abandonnés au fil du temps, et qu’on est dans une suggestion au jour le jour, de coups médiatiques. Et je pense que c’est très dangereux.
J-J B : Vous dites que vous avez voté pour Nicolas Sarkozy mais que vous êtes critiques parce qu’il faut faire bouger et avancer les choses. Est-ce que Nicolas Sarkozy est allé suffisamment loin dans ses réformes ?
N D-A : Je crois que Nicolas Sarkozy a pris des premières réformes qui ne correspondent pas aux engagements de campagne. Je prends deux exemples très simples : sur l’euro, il a été visité toutes les usines délocalisées de France en disant qu’on ne pouvait pas continuer comme ça, qu’il fallait baisser l’euro et il a raison et j’ai été séduit par ce discours. Mais le résultat est qu’il a signé à Bruxelles ce traité constitutionnel et qu’il n’a absolument rien obtenu de l’Allemagne et qu’aujourd’hui l’euro grimpe et asphyxie les entreprises. Si on ne change pas cette valeur de l’euro, la croissance de l’Europe va continuer à être complètement étouffée. Deuxième exemple, l’école. Il a eu un très bon discours sur l’école, le retour du mérite et de la morale, le travail à l’école, l’esprit soixante-huitard dont on avait assez. Et j’apprends que finalement, pour résoudre les questions budgétaires les enfants travaillent trop à l’école et qu’il faut supprimer les cours. En fait c’est simplement parce qu’il n’y a plus d’argent. Tout ça n’est pas sérieux selon moi, et je crains que si l’on continu comme ça encore plusieurs mois, si personne ne dit rien, si on assiste à un pouvoir un peu personnel, qu’il y ait des dégâts à l’arrivée.
J-J B : Personne ne dit rien ?
N D-A : Pas grand-chose, parce qu’il y a un petit esprit de cour qui règne, parce que le Président a une très forte personnalité, que je reconnais, parce qu’il a eu le talent d’ouvrir à des personnalités qui d’habitude parlent et maintenant se taisent. Je crois qu’il est du devoir de certains esprits libres comme moi, non pas de critiquer, mais de dire attention il y a eu des engagements pris et il faut les tenir. Faire remarquer que le pouvoir n’est pas une agitation, on a le temps et on ne peut pas tout faire d’un coup et il est peut être bon qu’en démocratie on débatte, que dans l’opinion il y est des avis différents et de ces avis naîtront peut être des décisions un peu plus modérées.
J-J B : Nicolas Sarkozy ressemblerait-il à François Mitterrand ?
N D-A : Il lui ressemblerait par son talent tactique. François Mitterrand avait dit « il faut absolument faire des promesses de campagne et les exécuter ». On a eu six mois de dépenses et puis après la rigueur d’un coup. Moi je regrette ce paquet fiscal de treize milliards, qui a fait plaisir, il y a eu des beaux cadeaux, un peu trop orientés, à mon avis, vers les plus aisés. Mais treize milliards de dépenses pour nous dire après que la croissance s’effondre ou du moins se ralentit et qu’il faut faire des économies, et bien je crois que les parlementaires n’auraient peut être pas voté ces treize milliards si on les avait prévenu des conjonctures et de la rigueur qui allait suivre.
J-J B : La TVA sociale est apparemment mise de coté, vous le regrettez ?
N D-A : Oui je le regrette parce qu’il faut bien comprendre que si l’on n’exporte pas, si la croissance est lente, si l’on a des difficultés de délocalisations, c’est parce qu’on taxe le travail, alors même que dans d’autres pays d’Europe on ne taxe plus le travail mais la consommation. On ment aux Français sur la TVA sociale en leur faisant croire que ce serait dangereux : cela ferait moins de charges sociales, les prix des entreprises diminueraient, et il n’y aurait pas d’effet sur le pouvoir d’achat et ça taxerait les produits importés. Donc je suis pour la TVA sociale, simplement comme on a fait des cadeaux plus aisés, la TVA sociale parait dangereuse politiquement.
J-J B : Que pensez vous des franchises médicales ?
N D-A : J’y suis hostile parce que je pense que c’est un détricotage du principe de la Sécurité Sociale et je pense que nous pouvons éviter une croissance trop forte des dépenses de santé en faisant de vraies réformes. Ce qui veut dire fermer certains hôpitaux et les transformer en maisons de retraite parce qu’on ne peut pas avoir des hôpitaux partout, être beaucoup plus rigoureux sur le fonctionnement des cliniques privées, mieux contrôler les prestations…
J-J B : L’Organisation de coopération et de développement économiques nous annonce une croissance à 1,8 en France alors que le Gouvernement reste sur 2,25. Doit-on tout attendre de la croissance ?
N D-A : Le Président de la République a eu des discours parfait sur la croissance notamment sur l’euro, mais, moi je le dis depuis des années, avec un euro à 1.40, une Banque Centrale Européenne qui ne comprend rien, on ne va pas pouvoir exporter, produire, et on assiste à des délocalisations permanentes. Il y a eu des bonnes mesures prises par le Gouvernement, notamment sur le bouclier fiscal pour faire revenir les capitaux en France, mais pour que ces capitaux reviennent il faut aussi qu’il y ait un peu de souplesse monétaire, il faut changer de politique monétaire.
J-J B : Vous avez peur pour la Droite ?
N D-A : J’ai peur pour la France. J’estime que les Français ont voté Nicolas Sarkozy et c’est mon cas aussi, parce que nous avons eu deux grands échecs dans le passé qui sont celui de François Mitterrand et celui de Jacques Chirac. On ne peut donc plus se permettre un troisième échec et c’est pour ça que je me permets de dire les choses maintenant.
J-J B : Vous croyez qu’on court à l’échec ?
N D-A : Je n’irai pas jusque là mais il y a des dérives européennes, économiques, dans la pratique institutionnelle alors qu’il y a eu des bonnes mesures de prises au début, sur la loi sur la récidive, sur le service minimum, un nouveau souffle. Tout n’est pas mauvais, loin de la, je dis simplement que si l’on continue avec cet exercice personnel du pouvoir, s’il n’y a plus de débats, plus de discussions, si l’on n’arrive pas à adapter la politique aux circonstances et à respecter les promesses qui avaient été faite, on risque une déception des Français et je ne la veux pas.
J-J B : Vous revoteriez Nicolas Sarkozy aujourd’hui ?
N D-A : Trois mois, c’est trop tôt pour un bilan et il faut faire attention à ne pas tomber dans l’excès contraire. Il y a un excès de flatterie, personnel politique, et moi je ne veux pas non plus être dans un excès critique. Je dis simplement que sur des choix essentiels, il faut faire attention, et je ne voudrais pas que l’on dérive un peu plus.
J-J B : Un excès de flatterie médiatique aussi ?
N D-A : Oui, je le pense sincèrement ; je ne veux pas accuser les journalistes mais je n’aime pas la politique bandes-dessinées. Je dis simplement qu’il y a une sorte de fascination, grâce aux talents du Président de la République, qui sature en quelque sorte l’espace public, qui est partout, mais je ne crois pas que l’on attende ça du Président de la République. Il incarne la Nation, il gère la politique étrangère de défense, il fait des grands choix. Il doit y avoir un gouvernement.
J-J B : Quelles propositions faites vous ?
N D-A : Je ferais peut être des propositions doubles, d’abord des propositions qu’on fera avec «Debout la République » sur l’Europe. Je crois qu’on ne peut pas redresser la France sans changer le fonctionnement de l’Union Européenne, ce qu’avait promis Nicolas Sarkozy. Ne pas voter cette fameuse Constitution Européenne, ne surtout pas faire entrer la Turquie comme cela semble arriver, bref, il faut changer le fonctionnement Européen. Sur le plan interne, je crois que la priorité c’est la compétitivité de nos entreprises, éviter les délocalisations à outrance, et pour ça il faut baisser les charges des entreprises. Il faut restructurer l’Etat, réformer la Sécurité Sociale en osant tout restructurer, réformer les Collectivités locales.
J-J B : Etes vous favorable à la suppression des cours le samedi matin ?
N D-A : Oui pourquoi pas, mais ce qui doit être revu c’est le rythme dans l’année. Il ne faut pas baisser les heures de cours, nos enfants ont besoin d’apprendre à travailler, d’assimiler un programme important, notamment la langue française On a baissé les heures de cours depuis vingt ans, je ne crois pas que le résultat soit extraordinaire.
J-J B : Vous êtes très conservateur ?
N D-A : Je ne suis pas conservateur, je suis un républicain. Je crois à l’effort pour mon pays mais je veux un effort partagé. Je crois à une certaine dignité de la politique, à une cohérence, et je ne crois pas du tout aux coups médiatiques.
J-J B : C’est difficile aujourd’hui de se faire entendre quand on est député non inscrit ?
N D-A : Oui c’est très difficile mais dans la vie il faut, en conscience, faire ce que l’on doit faire et le petit parti que l’on est en train de monter, Debout la République, va être un parti libre, dans un océan de conformisme politique et je crois qu’on en a besoin. On me reprochera de critiquer mais je trouve que les Gaullistes et les Républicains on ne les entend pas beaucoup.
J-J B : Le Président est-il trop agité ?
N D-A : Je ne me permettrais pas de dire ça car je le respecte beaucoup. Je dis simplement que derrière cet activisme, il y a des choix importants qui ne sont pas débattus, parce que finalement, le Président de la République, par sa personnalité, ses voyages, ses décisions, occulte le débat public. Il est normal que le Président ait un nouveau souffle mais de la à saturer l’espace public je pense que c’est dangereux.
J-J B : Et le premier ministre dans tout ça ?
N D-A : Il semble s’évanouir, alors que c’est une personnalité intéressante qui a des idées, et qui, je crois, devrais être plus en première ligne et le Président de la République donnerait les grands arbitrages. J’ai l’impression qu’il y a une confusion mais je crois que c’est volontaire parce que le Président de la République veut aller vers la Présidentialisation du Régime. Je ne pense pas que Nicolas Sarkozy fasse les choses sans y réfléchir. Je crois qu’il y a une volonté de changer les institutions du pays mais je crois qu’il est important d’avoir un premier ministre, des ministres, un gouvernement, une majorité et un Président de la République.
J-J B : Est-ce que Cécilia Sarkozy devrait venir devant les députés pour expliquer les conditions dans lesquelles ont été libéré les infirmières bulgares et le médecin palestinien en Libye ?
N D-A : Ça dépend : soit elle est la première dame de France et elle a un rôle honorifique, soit elle joue un rôle politique et alors elle doit être entendue. Je crois qu’elle n’aura pas à venir témoigner si elle redevient juste la première dame de France, en revanche, je crois qu’on ne peut pas jouer sur tous les tableaux et là aussi c’est périlleux. L’affaire de la Libye est passée, maintenant on va voir ce qui va se passer. On n’a pas élu un couple, on a élu un Président qui est Nicolas Sarkozy.
J-J B : Vous êtes dans la majorité ou dans l’opposition ?
N D-A : Je ne suis pas dans l’opposition mais je ne suis pas forcément dans la majorité sur tous les choix, notamment sur l’Europe, on ne peut pas rester dans ce carcan, il faut rester dans l’Europe mais la bâtir autrement.