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Drapeau israélien à Nice et palestinien à Saint-Denis: que peuvent afficher les mairies sur leur fronton?

Le drapeau israélien sur la façade de la mairie de Nice.

Le drapeau israélien sur la façade de la mairie de Nice. - BFM Nice Côte d'Azur

Sur la base du principe de "neutralité des services publics", le pavoisement de drapeaux étrangers ou d'autres revendications jugés politiques sur le fronton des mairies, en France, est généralement proscrit. Néanmoins, plusieurs jurisprudences rendent plus floues le contour juridique de l'acte.

Durant les derniers jours, les préfectures de Seine-Saint-Denis, des Alpes-Maritimes et Hauts-de-Seine ont successivement demandé aux mairies de Saint-Denis, Nice et Gennevilliers le retrait des drapeaux israéliens et palestiniens installés sur le fronton des mairies.

Le préfet des Hauts-de-Seine, Alexandre Brugère, a estimé que le fait de hisser ce drapeau constituait "un symbole politique" et "une atteinte au principe de neutralité du service public".

Une jurisprudence datée de 2005

Ce principe, qui trouve jurisprudence pour la première fois par le biais du Conseil d'État en 2005 avec l'installation du drapeau martiniquais en lieu et place de celui de la France, est "à valeur constitutionnelle" et est "le corollaire du principe d'égalité", appuie Étienne Colson, avocat en droit public, joint par BFMTV.com.

"Un hôtel de ville, comme de département ou de région doit être le temple de la neutralité", poursuit l'avocat. "Un usager doit y entrer vierge de tout préjugé." Sur cet aspect, Étienne Colson se réfère à Francis Donnat, commissaire du gouvernement lors de la décision rendue par le Conseil d'État en 2005.

Ce dernier déclarait que chaque usager "est en droit d’attendre des autorités responsables d’un service public qu’elles ne lui imposent pas, sur la voie publique, la vue d’un signe symbolisant un attachement particulier à un courant de pensée, à un parti politique ou à des convictions religieuses".

"La position de signes ou d'emblèmes religieux ou politiques sur la façade ou sur le fronton d'un édifice public pourrait être considérée à juste titre comme un acte de pression, de propagande ou de prosélytisme, voire comme une forme de reconnaissance officielle contraire à la neutralité des services publics", a-t-il poursuivi.

Un flou juridique constant

Pourtant, un flou juridique entoure encore le pavoisement de drapeaux ou banderoles sur les ensembles communaux. "Aucun statut juridique n'est attaché" au pavoisement des frontons de mairies, ni même pour les drapeaux français et européens, rappelle Étienne Colson, malgré un usage qui s'est largement démocratisé.

En 2023, une proposition de loi visant à rendre obligatoire ces deux drapeaux pour les mairies de plus de 1.500 habitants, n'a, pour l'heure, pas été adoptée.

En dehors des cérémonies officielles, l'installation de ces drapeaux relève ainsi de "l'usage républicain", souligne une circulaire du préfet des Alpes-Maritimes adressée aux maires du département ce mardi 17 juin.

Des examens au car par cas

Malgré l'arrêt du 27 juillet 2005, chaque installation de drapeaux "d'entités étrangères" est examinée au cas par cas par le tribunal administratif compétent, rappelle Laurent Hottiaux.

Concernant le drapeau israélien, à Nice, le tribunal n'avait rendu qu'une seule décision, en rejetant fin mai 2024 "pour défaut d'urgence" un recours en référé déposé par trois citoyens niçois anonymes. Ce à quoi Étienne Colson souffle: "on oublie trop souvent que les communes ont été élues pour s'occuper des affaires communales et rien d'autre."

Le tribunal administratif de Lyon avait lui jugé illégale l'installation du drapeau palestinien sur le fronton de la mairie de Vaulx-en-Velin en 2011, jugeant qu'il s'agissait d'une "expression directe d'une prise de position politique dans le domaine de la politique étrangère de la France".

Revendication politique ou "symbole de solidarité"

Toutefois, le pavoisement de drapeaux tibétains en 2008 ou ukrainiens dans plusieurs communes du pays n'avaient pas souffert de la même rigueur législative.

Dénonçant un "deux poids deux mesures", le maire de Gennevilliers, Patrice Leclerc, s'est par ailleurs étonné, dans un courrier adressé au préfet des Hauts-de-Seine et rendu public, que la demande de la préfecture n'a été adressée "que concernant le pavoisement du drapeau palestinien, et non lorsque le parvis de l’Hôtel de Ville a été pavoisé aux couleurs de l’Ukraine".

"Mettre un drapeau ukrainien sur la façade d’un bâtiment public n’est pas une revendication politique ; c’est un symbole de solidarité envers une nation victime d’une agression", avait, de son côté, tranché le tribunal administratif de Versailles après un recours déposé par un habitant.

Le tribunal administratif de Paris avait également jugé légal le pavoisement de drapeaux LGBT sur le fronton de la mairie de Paris et de l'Assemblée nationale dans le cadre de la marche des fiertés en 2018, considérant notamment que cet acte visait à exprimer des valeurs de tolérance et de lutte contre les discriminations.

À quoi s'exposent les maires?

Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, qui avait hissé le drapeau palestinien sur le fronton de sa mairie lors de la venue de l'ambassadrice de Palestine Hala Abou-Hassira ce vendredi 13 juin, l'a retiré ce lundi.

Après les demandes réalisées par les préfectures, Christian Estrosi, maire de Nice, a déclaré avoir "pris des engagements face aux Niçois" pour le pavoisement des drapeaux israéliens et a indiqué vouloir le laisser jusqu'au retour du dernier otage israélien.

Dans le cas où un édile refuserait de retirer un drapeau malgré une requête de la préfecture compétente, il s'expose à un déféré préfectoral: le préfet saisit le tribunal administratif en référé, qui statue en 48 heures, décrypte Étienne Colson. "Il suffira alors de démontrer qu'il y a une atteinte à la neutralité du service public pour obtenir son retrait", qui devient alors une obligation pour l'édile concerné.

Arthus Vaillant