DOCUMENT BFMTV - Le Pen, secrets, pardons et trahisons

On sait comment l'histoire commence: à La Trinité-sur-Mer, en 1928. On sait peu ou prou comment elle se terminera: dans le cimetière de ce petit port breton, où cet homme au tempérament longtemps anticlérical espère être enterré selon le rite catholique. Dans l'intervalle, Jean-Marie Le Pen aura refondé et cimenté l'extrême-droite française, tissant un itinéraire politique sulfureux, de campagnes électorales en actions coup de poing, de sorties médiatiques en saillies polémiques. Et son histoire a fini par le dépasser, poussant d'abord ses épouses successives, puis ses filles et sa petite-fille, sur l'avant-scène. Aujourd'hui, il se prend même à rêver de voir son arrière-petite-fille Olympe, fille de Marion Maréchal, reprendre les rênes de la formation.
C'est cette trajectoire faite de trahisons, de successions (pécuniaire et politique), de ruptures et de retrouvailles, que nos équipes ont retracé dans le document Le Pen, secrets, pardons et trahisons, que nous diffusons ce lundi soir.
Centre de gravité
La scène s'ouvre le 30 juin dernier, dans le jardin d'un manoir de Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine: Montretout. 300 invités s'y pressent pour fêter les 90 ans de Jean-Marie Le Pen, qui se remet tout juste des complications liées à une grippe et sort de l'hôpital. Dans l'assistance, on remarque Pierrette Le Pen, son ex-femme, ou encore Marion Maréchal. C'est jour de fête à plus d'un titre pour l'ancien leader nationaliste: quelques heures auparavant, il a pu rencontrer ses filles Marie-Caroline et Marine, avec lesquelles ses relations sont notoirement difficiles. Cette dernière a cependant préféré ne pas participer à l'anniversaire.
Montretout est pourtant le centre de gravité de la famille depuis plus de quarante ans. Jean-Marie Le Pen la tient à l'origine des volontés d'Hubert Lambert, un monarchiste mort à quarante ans, en septembre 1976, d'un cirrhose foudroyante. Proche et soutien politique de Jean-Marie Le Pen, il fait de lui son exécuteur testamentaire et son unique héritier. En plus de la bâtisse, Jean-Marie Le Pen, récent cofondateur du Front national, perçoit du même coup un héritage resté flou jusqu'à ce jour. On sait seulement qu'il est compris entre cinq et vingt millions d'euros. Alors, forcément, son entourage s'attend à ce qu'il en fasse profiter son mouvement. "L’héritage, on pensait que le Front allait un peu plus en profiter. Mais non, Le Pen nous coupe tout de suite en disant: ‘C’est à moi qu’il l’a donné, pas au Front national !’", se souvient Jean-Pierre Revault, ancien trésorier du FN, devant nos caméras.
Fissures
Pour autant, le pactole permet à Jean-Marie Le Pen de se consacrer entièrement à la politique, vingt ans après son entrée à l'Assemblée nationale, en tant que jeune député poujadiste. Et de s'éloigner d'un domicile devenu fort peu accueillant. A la Toussaint de cette même année 1976 en effet, un terroriste dépose une bombe sous l'escalier de la Villa Poirier, dans le XVe arrondissement de Paris, où il réside en famille. La bombe explose à 6h du matin, éventrant l'immeuble, mais aucun mort n'est à déplorer.
Le quotidien à Montretout est plus calme. Mais il n'est pas destiné à le demeurer. "Les Le Pen, c’est Dallas, c’est Dynasty, c’est la famille Adams. C’est un clan qui s’est toujours invité dans le foyer des Français", nous explique Olivier Beaumont, journaliste et auteur de Dans l'enfer de Montretout. Justement, avec l'immixtion de la politique dans la vie de famille, le couple se fissure. Et Pierrette Le Pen finit par quitter son mari pour un autre homme, en octobre 1984.
A partir du milieu des années 80, les anciens conjoints ne cessent plus de se déchirer. Après que Pierrette l'a accusé d'antisémitisme et d'avoir dissimulé de l'argent au fisc, la querelle atteint son point culminant. En 1987, elle prend au mot son ex-mari qui lui avait suggéré par voie de presse de "faire des ménages" puisqu'il se refusait à lui verser de l'argent... et pose en tenue de soubrette dans Playboy.
La dauphine introuvable
Les filles du couple, Marie-Caroline, Yann et Marine, se rangent du côté de leur père. Elles tracent quant à elles leur route à travers l'enseignement public. "Je souhaitais qu’elles aient ce genre d’éducation car je souhaitais qu’elles soient confrontées aux problèmes de la vie dès leur enfance et leur adolescence. Ça n’a pas toujours été facile pour elle d’être les filles Le Pen", avance auprès de notre antenne leur père. Celui-ci poursuit son chemin électoral: atteignant notamment le second tour de la présidentielle en 2002.
Mais la désignation de la dauphine est un dossier épineux qui met des années à trouver sa résolution. Marie-Caroline Le Pen tient longtemps la corde, d'autant plus que sa cadette, Yann, n'a pas du tout cette appétence pour la politique. Mais une législative partielle perdue à Mantes-la-Jolie en 1997, sans doute de la faute d'une visite embarrassante de son père sur place, s'en prenant physiquement à des manifestants et à la candidate socialiste, puis le schisme du clan Bruno Mégret, dans lequel elle suit son mari, aura raison de cette position. Reste la dernière, Marine Le Pen, née Marion Anne Perrine, sa "préférée", d'après les dires du premier cercle.
L'ascension de Marine Le Pen et l'éviction du père
Marine Le Pen est avocate, après des études à Assas et l'école du Barreau. Intégrée peu à peu au FN, elle s'impose médiatiquement au soir du second tour de la présidentielle de 2002. En quelques années, elle prend la vice-présidence du parti, puis succède à son père en 2011. Mais l'orientation nouvelle du FN, c'est-à-dire le lissage de son image, déplaît à Jean-Marie Le Pen, comme son corollaire, l'ascension de Florian Philippot et de son frère Damien dans les instances.
Et l'ancien dirigeant agace sa fille, pourtant censée être désormais la patronne. Après un meeting, il lui glisse: "‘Je crois que tu as oublié une chose, c’est prendre des cours d’orthophonie, parce que tu chutes un peu sur les finales des phrases." Serge Moati, le documentariste qui a suivi de près l'homme politique, analyse pour nous: "Ce n'est pas pour l’humilier, c’est ‘souviens-toi d’où tu viens’".
Multipliant les déclarations plus que douteuses, Jean-Marie Le Pen se met de surcroît en porte-à-faux vis-à-vis du mouvement. Ayant eu vent d'élucubrations de Jean-Marie Le Pen autour de la devise du régime de Vichy dans une vidéo à paraître sur le site du FN, Florian Philippot organise même un bug sur la plateforme de lui-même pour empêcher la diffusion de la vidéo. A l'été 2015, le point de non-retour est cependant atteint et Jean-Marie Le Pen est évincé de son ancienne création.
"Il y a une gratitude de Marion envers sa tante"
Si l'avenir du Front national, devenu le Rassemblement national il y a quelques mois, n'implique plus Jean-Marie Le Pen, ce courant politique n'en a pas fini avec le roman familial. Car depuis 2012, l'influence de Marion Maréchal, qui a récemment abandonné la partie "Le Pen" de son patronyme, grandit au sein du courant. La fille de Yann Le Pen a noué un lien complexe avec sa tante.
Celle qui fut députée du Vaucluse, avant de renoncer à une éventuelle réélection en 2017, a parfois été en conflit (quasi) ouvert avec la présidente du Rassemblement national... mais ça n'interdit pas les sentiments, selon nos interlocuteurs. "Quand elle naît en 1989, Marine va être un peu la deuxième maman ou le père de substitution de Marion dans les premiers jours", confie Olivier Beaumont. Le journaliste Geoffrey Lejeune, également devant nos caméras, décrypte: "Il y a une gratitude de Marion vis-à-vis de sa tante qui ne s’effacera jamais."
L'éternelle drôle de guerre
Marion Maréchal, qui a depuis lancé l'Institut des sciences sociales, économiques et politiques à Lyon, a récemment promis que "jamais" elle ne s'opposerait à Marine Le Pen. Elle semble en être sûre, mais jusqu'à quand? Après tout, chez les Le Pen, les certitudes changent vite et les alliances se retournent.
"C’est toujours difficile de savoir quand ils s’entendent bien, quand ils sont en guerre, quel clan contre quel clan. A un moment, on a l’impression que tels clans sont en guerre, le lendemain, ils s’entendent très bien et sont en guerre contre un autre", résume Florian Philippot.