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Comment Valéry Giscard d'Estaing a révolutionné la communication politique

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Le troisième président de la Ve République a été le premier à utiliser la télévision comme une arme politique. Sa manière de s'adresser aux Français marque une rupture avec les techniques de ses prédécesseurs.

S'inspirant des techniques de marketing politique importées des États-Unis, Valéry Giscard d'Estaing s'est essayé, avec plus ou moins de succès, à de nombreux coups de communication afin de moderniser la vie politique. Une communication qui peut paraître timide par rapport aux pratiques d'aujourd'hui mais qui marque une vraie rupture avec les styles De Gaulle et Pompidou.

Chef d'Etat intégrant les codes de son époque, VGE est notamment le premier président à avoir utilisé la télévision comme une arme politique.

Il a "anticipé ce que sera le style présidentiel du 21e siècle et, en cela, il est quelqu'un d'innovant", résume l'historien Jean Garrigues auprès d'Atlantico.

· VGE, "un Français comme les autres"

En 1964, alors ministre des Finances, Valéry Giscard d'Estaing ose apparaître à la télé en pull-over. On le voit ensuite regagner son ministère en métro, suivi de photographes. Neuf ans plus tard, il joue de l'accordéon en chemise à carreaux et participe, en short et crampons, à un match de football à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, commune dont il est le maire.

Valéry Giscard d'Estaing à Chamalières et 1973.
Valéry Giscard d'Estaing à Chamalières et 1973. © AFP
"Un ministre des Finances, c'est un Français comme les autres", lâche-t-il alors. En plus, il a marqué un but!

Pour la campagne de la présidentielle de 1974, il bouscule les codes et sollicite un "communicant", Jacques Hintzy, de l'agence Havas-Conseil, dont le mantra est: "On élit un homme, pas un programme". VGE lance alors l'une de ces formules marquantes dont il a le secret: "Comment conduirai-je cette campagne? Je voudrais regarder la France au fond des yeux."

· Un "orateur moderne"

"Il s'inspirait ouvertement de Kennedy qu'il avait rencontré une fois, ça l'avait beaucoup marqué. C'était un orateur moderne, et il a apprivoisé la télévision très rapidement", explique ce jeudi matin sur BFMTV le biographe de l'ancien président, Eric Roussel.

"Il a appris la télévision un comme il avait appris l’économie, en allant se renseigner aux  États-Unis, en regardant tous les détails des campagnes américaines, surtout celle de Kennedy et en se préparant parce qu’il savait que ce serait à la télévision que ça se jouerait", abonde le publicitaire Jacques Séguéla au micro de France Info ce jeudi. "C'est lui qui a fait que la télévision est devenue faiseuse de rois".

Valéry Giscard d'Estaing préparait ses débats, ce qui lui a permis de marquer les esprits avec des formulations chocs, notamment face à François Mitterrand, autre bretteur hors norme, lors du débat de l'entre-deux tours de la présidentielle de 1974.

"Vous n'avez pas le monopole du coeur. Ne parlez pas aux Français de cette façon si blessante pour les autres", lâche-t-il, déstabilisant son adversaire.

Proche de l'instantané, sa photo de campagne ringardise l'affiche classique. Giscard, assis à côté de sa fille Jacinte, semble parler, elle l'écoute. Au dessus, le slogan: "La paix et la sécurité".

L'affiche de campagne de Valéry Giscard d'Estaing en 1974.
L'affiche de campagne de Valéry Giscard d'Estaing en 1974. © AFP

C'est la première fois qu'un ministre s'affiche avec un membre de sa famille pour une campagne présidentielle.

Autre coup de com' fameux: les tee-shirts des militants barrés de "Giscard à la barre".

Le T-shirt "Giscard à la barre" porté par Brigitte Bardot.
Le T-shirt "Giscard à la barre" porté par Brigitte Bardot. © AFP

· Une image d'homme accessible et actif

Désireux de "décrisper" la société, le plus jeune président élu (48 ans) - après Emmanuel Macron - commence par remonter les Champs-Élysées, non en jaquette et limousine, mais en complet-veston et à pied. Il ébauche un sourire, encore une première, pour sa photo officielle de président prise par Jacques-Henri Lartigue. Il tient à donner l'image d'un homme accessible et actif.

Fin 1974, il se laisse photographier dans une piscine en Martinique, lors d'une rencontre avec le président américain Gerald Ford.

Valéry Giscard d'Estaing et le président américain Gérald Ford, en 1974, en Martinique.
Valéry Giscard d'Estaing et le président américain Gérald Ford, en 1974, en Martinique. © AFP

Lors du Noël 1974, il invite les éboueurs de la rue du Faubourg Saint-Honoré à un petit-déjeuner à l'Élysée puis, durant son septennat, va dîner chez des Français (un encadreur, un pompier et leur famille etc.). Il accompagne au piano Claude François qui chante "Douce nuit" lors de l'arbre de Noël de l'Elysée en 1975, et associe la même année son épouse Anne-Aymone aux vœux du Nouvel an, initiative non renouvelée.

Quand il skie à Courchevel, en Savoie, des dizaines de journalistes le suivent.

Valéry Giscard d'Estaing à Courchevel, en 1976.
Valéry Giscard d'Estaing à Courchevel, en 1976. © AFP

En plein été 1976, les Français le découvrent en train de nager devant le Fort de Brégançon, presque comme Monsieur Tout-le-Monde. En 1978, en short et tout de blanc vêtu, il fait la Une de Tennis magazine, raquette à la main. Mais il se garde bien de communiquer sur d'autres loisirs, comme sa passion pour la chasse, voire les safaris. Les photos le montrant en train de chasser ne sont pas nombreuses.

Par ailleurs, il décide en 1977 - expérience qu'il ne renouvellera pas - d'ouvrir l'Élysée au public. On dit que, ce jour de juillet, il serre la main de 2000 personnes par heure... Le socialiste Jack Lang, avec ses Journées du patrimoine, reprendra l'idée à partir de 1984.

· Les limites de sa stratégie de communication

Cette stratégie a montré ses limites car elle n'a jamais permis de rapprocher des classes populaires le président surdiplômé aux manières d'aristocrate. Et ses opposants politiques lui ont reproché d'affaiblir la fonction présidentielle avec ces "gadgets".

Efficace en 1974, sa stratégie de communication pèche en 1981 et ne parvient pas à le faire réélire. Après sept années passées à la tête du pays, il quitte la présidence dans en laissant une scène culte à la télévision française. Son fameux "Au revoir".

Ambre Lepoivre avec AFP Journaliste BFMTV