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Besogneux, ferme, omniprésent: deux mois après son arrivée à Matignon, le style Castex s'impose

Le président Emmanuel Macron et le Premier ministre Jean Castex sur la place de la Concorde à Paris, le 14 juillet 2020

Le président Emmanuel Macron et le Premier ministre Jean Castex sur la place de la Concorde à Paris, le 14 juillet 2020 - Christophe Ena © 2019 AFP

Présenté comme le contre-exemple de son prédécesseur Édouard Philippe, le maire de Prades a déjà habitué les Français à ses déplacements marathons. Son image, toutefois, va avoir besoin de temps pour s'ancrer.

"Je vous mets un billet que Castex ne fera pas le même été en 2021." Prophétie amusée d'un poids lourd de la macronie. Il faut dire que depuis qu'il a succédé à Édouard Philippe à Matignon le 3 juillet, Jean Castex a imposé un tempo estival effréné. Le nouveau Premier ministre a effectué plus d'une vingtaine de déplacements sur le terrain, donnant le sentiment de vouloir marquer d'entrée de jeu - jusqu'à la caricature? - sa différence avec son prédécesseur.

Deux mois après sa nomination, un style Castex commence ainsi à se dessiner. Qu'il "imprime" ou non dans l'opinion publique est une autre histoire, qui sera plus lisible après la rentrée. Plus direct, plus "terroir", moins goguenard, moins rigide qu'Édouard Philippe, l'élu des Pyrénées-Orientales semble jouer sur ces effets de contraste. Au point de citer "sa" ville de Prades à la moindre intervention médiatique. Comme s'il voulait à tout prix se distinguer d'un homme qui, pourtant, est maire comme lui, est issu de la même famille politique (la droite) et provient du même sérail: la haute fonction publique.

Principe physique

Tout cela se joue donc, pour l'heure, à un niveau assez sommaire. "Oui, mais les évidences ont du bon", souligne un député LaREM auprès de BFMTV.com. D'autant plus que dès sa nomination, Jean Castex a été contraint par les circonstances à une tournée de présentations au pas de charge. Deuxième vague d'épidémie de Covid-19, crise économique imminente... Dans un tel contexte, mieux vaut se faire vite connaître des Français et montrer patte blanche.

"Il y a aussi un principe physique qu'il faut garder à l'esprit: Édouard, ça faisait trois ans qu'il était à Matignon, alors que Castex n'a jamais été ministre. Il est frais comme un gardon alors que d'autres sont usés jusqu'à la corde", rappelle un ancien membre du gouvernement Philippe.

L'intéressé n'a visiblement pas décidé de ralentir le rythme. Sur RTL jeudi matin, quelques heures avant de détailler le plan de relance économique, le Premier ministre a annoncé qu'il effectuerait un "tour de toutes les grandes métropoles". L'objectif? Faire montre de volontarisme dans le domaine de la sécurité. Il sera flanqué de son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et de son garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, lesquels se chamaillent depuis que l'un a usé du terme "ensauvagement" dans les colonnes du Figaro fin juillet.

Fermeté affichée

Au-delà de cette polémique, il s'agit d'une des principales raisons derrière le choix de Jean Castex pour remplacer Édouard Philippe. Ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, un temps soutien de François Fillon, il permet à Emmanuel Macron de continuer à séduire une partie des sympathisants de droite et d'exercer une pression supplémentaire sur Les Républicains.

D'où l'accent mis sur le thème de l'insécurité. Lors d'un déplacement le 25 juillet à Nice, théâtre d'un échange de tirs à l'arme à feu quelques jours auparavant, Jean Castex avait affiché son soutien sans faille aux forces de l'ordre et aux élus:

"Nous n'acceptons pas ici, comme sur l'ensemble du territoire de la République, que des infimes minorités (...) entendent faire régner leur loi au détriment de l'immense majorité de nos honnêtes concitoyens (...) La seule loi qui vaille, c'est celle de la loi républicaine et de l'État de droit."

Cette fermeté comporte le risque, non négligeable, d'entraîner une frustration dans l'opinion si les résultats ne sont pas au rendez-vous.

"Besogneux"

En parallèle de cet attachement à l'autorité de l'État, il y a la personnalité de Jean Castex, que certains jugent plus accessible que son prédécesseur. "Il le remplace bien. C'est un client sérieux", se réjouissait auprès de BFMTV.com le président du groupe centriste au Sénat, Hervé Marseille, durant le creux de l'été.

"Le gars va au contact, il discute. Philippe faisait plus seigneurial. Castex est besogneux", constatait-il.

Au sein du groupe La République en marche à l'Assemblée nationale, certains s'impatientent de voir quel rapport le chef du gouvernement, qu'ils connaissent peu, va instaurer.

"Il doit affirmer le primat de sa fonction pour la cohérence d'ensemble. Et ce notamment compte tenu de l'état des troupes, de leur désappointement, de l'absence totale de Guerini dans les débats internes à la présidence du groupe et de l'archipellisation des troupes", glisse auprès de BFMTV.com un député LaREM, en référence au délégué général du parti présidentiel.

Selon un pilier de la majorité, le vrai baptême du feu politique de Jean Castex se tiendra lors des discussions autour du Budget 2021. "On va rentrer dans le dur avec les arbitrages. En famille, ça se tend dès qu'on parle de fric. Pour ceux qui veulent exister au Parlement, c'est une occasion de s'afficher", prévient-il. L'aile gauche de LaREM risque alors de ruer dans les brancards.

"Parfait contrepied de Macron"

Et puis il y a les aspects les plus superficiels. Les premiers que l'on voit. Selon le même parlementaire marcheur, "l'immense avantage de Castex, c'est qu'il est le parfait contrepied de Macron: il est mal sapé et il a un accent à couper au couteau. Édouard est beau, élégant, il amusait la galerie avec ses boutons de manchettes à l'Assemblée, il a un humour noir british et un verbe ciselé par Chateaubriand. Castex c'est le Tartarin de Tarascon, mais ça marche!"

Un autre élu LaREM a cette formule: "Il est plus tacticien qu'il peut en donner l'air et moins campagnard qu'on pourrait le croire."

D'autres expriment leur nostalgie des traits florentins d'Édouard Philippe. "Castex répète tout le temps la même chose, c'est 'territoires', 'territoires'... Les mecs mous comme Hollande ou Castex, ça me fait chier", rouspétait récemment un cadre de LaREM.

"C'est le propre de l'indifférence. On veut de l'incarnation, du clivage, même si je comprends le choix du président. Je suis déçu de ne pas pouvoir rêver", ajoutait-il.

Quoi qu'il en soit, les sondages reflètent pour l'instant un accueil mitigé. Dans le dernier baromètre Kantar-OnePoint du Figaro Magazine, le Premier ministre recueille 33% de bonnes opinions.

Lorsqu'il a quitté Matignon, Édouard Philippe était à 40% selon le même institut. Quant à d'autres prédécesseurs nommés comme Jean Castex à la mi-mandat de leur président - tels que Dominique de Villepin ou Manuel Valls -, ils jouissaient également d'une meilleure cote après deux mois d'exercice. Pour le nouveau locataire de Matignon, il reste un long chemin à parcourir.

Jules Pecnard Journaliste BFMTV