Abad accusé de viols: démission ou maintien, le casse-tête du gouvernement avant les législatives

Vendredi, il était une prise de guerre recrutée chez les Républicains et promue ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des personnes handicapées. Ce lundi, Damien Abad apparaît déjà comme une croix bien lourde à porter pour le nouveau gouvernement. Il faut dire qu'entre ces deux dates, Mediapart a publié samedi soir une enquête dans laquelle deux femmes accusent le député élu dans l'Ain de viols, commis en 2010 et 2011.
Des faits, niés par Damien Abad, qui ont fait l'objet de signalements internes et dans le cas de l'une des victimes présumées de dépôts d'une plainte, finalement classée sans suite faute d'élément suffisant pour "caractériser l'infraction".
Au-delà de la question judiciaire, se pose également la question politique pour le gouvernement tout juste nommé: peut-il se permettre de conserver Damien Abad en son sein, et donc de gérer cette polémique en pleine bataille des législatives?
"On ne peut pas en plus lire leurs mails"
La position du gouvernement est d'autant plus inconfortable que la majorité a été avertie en amont de la nomination de Damien Abad et de la parution de l'enquête de Mediapart. L'Observatoire des violences sexuelles et sexistes en politique avait en effet relayé les dénonciations des victimes présumées à travers cinq mails envoyés le 16 mai dernier aux cadres de la majorité sortante, dont Christophe Castaner et Stanislas Guerini. Des courriels que les intéressés disent ne pas avoir vus dans un premier temps.
Mathilde Viot, cofondatrice de l'Observatoire des violences sexuelles et sexistes en politique, s'en est agacée sur notre plateau ce lundi matin: "On fait déjà le travail que les partis devraient faire ou que les conseillers d'Elisabeth Borne auraient dû faire, c'est-à-dire de surveiller la probité des personnes pressenties pour devenir ministres. On fait déjà ce travail mais on ne peut pas en plus aller ouvrir leurs mails."
"On est déjà dans une justification d'incompétence qui, me semble-t-il, n'est pas tenable pour eux", a-t-elle encore attaqué.
Incompétence? Notre éditorialiste politique, Mathieu Croissandeau, estime en tout cas que l'exécutif s'expose à un procès en imprudence: "Le reproche qui sera fait au gouvernement est sans doute d'avoir manqué de prudence et de s'être mis dans la nasse tout seul pour débaucher Damien Abad chez les Républicains."
Le risque du "feuilleton"
"Sur un plan juridique, il y a la présomption d'innocence et Damien Abad conteste vigoureusement les accusations portées contre lui", note ainsi Mathieu Croissandeau, avant d'ajouter: "Mais sur le plan politique, c'est une autre affaire. D'abord, parce que l'opinion est devenue très sensible sur ce sujet."
"Et puis, ce sont les tous premiers jours de ce gouvernement qui vont se retrouver pollués. Le sujet sera évoqué dans toutes les sorties, les interviews, sans oublier que nous sommes en plein dans la campagne des législatives", développe-t-il.
"Ça va feuilletonner: on va l'interroger sans arrêt, comme ses propres collègues au gouvernement et ça risque d'obérer tout ce que fera le gouvernement par ailleurs" insiste Laurent Neumann, également éditorialiste politique pour BFMTV.
À dire vrai, ça a déjà commencé. En visite conjointe dimanche à Bordeaux, les ministres de l'Intérieur et de la Justice, Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti, ont eu bien peu l'occasion de parler des mineurs isolés, pourtant objet de leur déplacement. Ils ont plutôt dû affronter les questions de la presse sur leur nouveau collègue.
Un moment difficile à négocier pour l'un comme pour l'autre, à des degrés différents toutefois, dans la mesure où la controverse leur a renvoyé quelques échos personnels: Gérald Darmanin a été visé par une plainte pour viol - pour laquelle le parquet a requis un non-lieu en janvier dernier - et le garde des Sceaux se trouve en délicatesse avec les associations féministes qui retiennent contre lui ses propos passés sur "MeToo". Les deux hommes ont, en réponse, refusé de se livrer à tout commentaire, renvoyant à la parole de la Première ministre.
Borne tente de temporiser... mais jusqu'à quand ?
En déplacement dimanche dans la circonscription qu'elle entend bien décrocher aux législatives pour sécuriser sa place à Matignon, Elisabeth Borne a bien entendu été sommée de s'exprimer sur l'affaire Abad.
"S'il y a de nouveaux éléments, si la justice est à nouveau saisie, on tirera toutes les conséquences de cette décision", a-t-elle posé.
Mais cette promesse ressemble surtout à une temporisation, comme aux temps des accusations similaires portées contre Gérald Darmanin donc, ou Nicolas Hulot, lorsque ce dernier était ministre de la Transition écologique. "On voit qu'il y a une jurisprudence au sein du gouvernement qui fait que les ministres restent en place jusqu'à présent", regrette d'ailleurs Mathilde Viot, dans une référence transparente à ces souvenirs récents.
"Sa situation fait qu'il ne peut pas remplir sereinement sa mission de ministre", juge la juriste et militante.
Le fantôme du gouvernement
La mission attribuée à Damien Abad est même triple selon l'intitulé de son portefeuille: solidarités, autonomie et personnes handicapées lui sont dévolues. Un domaine d'action qui s'accommode mal de pareils soupçons d'après Laurent Neumann:
"Il est ministre des Solidarités, c'est le ministère de l'empathie, le ministère qui prend soin, là, c'est extrêmement compliqué."
Notre journaliste souligne toutefois qu'il existe une troisième voie pour Damien Abad: "Il peut décider de rester mais de devenir fantomatique, de ne plus parler aux médias."
Trois jours après sa nomination, la prise de guerre risque déjà de se muer en poids mort.
