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Voiture folle à Marseille: après le terrorisme, son imitation?

Les enquêteurs près d'un des abribus attaqués par le conducteur ce lundi matin.

Les enquêteurs près d'un des abribus attaqués par le conducteur ce lundi matin. - Boris HORVAT / AFP

Lundi matin, un homme a foncé en fourgon sur deux abribus à Marseille, faisant un mort et un blessé. L'origine psychiatrique de ce geste fou est privilégiée et le motif terroriste écarté. Cependant, suivant de près l'attentat de Barcelone, il est l'illustration du phénomène d'imitation entraîné par le terrorisme.

Un homme, à bord d'un fourgon, a renversé deux personnes lundi matin dans les 13e et 11e arrondissements marseillais. Cet homme de 35 ans, connu des services de police pour des faits de droit commun, a été interpellé sur le Vieux-Port peu après. Si ces faits s'inscrivent dans un contexte lourdement marqué par les attentats de Barcelone et de Cambrils, qui ont vu des véhicules foncer dans la foule, le procureur de la République a écarté à se stade la motivation terroriste pour privilégier la piste psychiatrique, au vu des antécédents de l'individu dans ce domaine et d'un courrier retrouvé dans l'habitacle. Reste que la proximité chronologique entre le fait-divers phocéen, les attaques en Catalogne ou encore le ciblage d'un groupe de militaires à Levallois-Perret le 9 août dernier, n'a rien d'anodin.

Un phénomène double

Samuel Lepastier, psychiatre et psychanalyste, s'est penché sur le cas du fourgon-bélier à Marseille. Il a ainsi dépeint à grands traits la personnalité de ces imitateurs de criminels que les profilers américains appellent des copycats: "Il y a un double phénomène: l'imitation et l'identification hystérique à autrui, qui vont de pair. Ce sont des gens qui n'ont pas toujours conscience de ce qu'ils font et qui se mettent à la place de l'autre pour récupérer les bénéfices de cette personne. (...) Les attaques à la voiture-bélier, après Barcelone, Nice et Londres, ont un retentissement médiatique important. Donc c'est aussi un moyen d'accéder à la notoriété en très peu de temps. Le geste importe moins que l'idée qu'on va avoir les qualités d'une sorte de héros du mal qui a foncé dans la foule."

S'agissant des ressorts psychologiques de ces victimes d'un mimétisme meurtrier, le psychiatre a livré un panorama divers: "On peut imaginer une psychose aiguë, l'individu se croit agressé, il fonce. Cela semble à Marseille peu probable puisqu'il s'agit d'un geste coordonné qui reproduit ce qui a déjà été fait. Ce n'est pas par hasard: l'attaquant a visé, non pas un seul, mais deux abribus. Autre cas envisageable, quelqu'un de plutôt psychopathe, un déséquilibré qui n'a pas d'inhibition et qui passe à l'acte très facilement à la moindre contrariété." Enfin, il a évoqué une autre possibilité: "Il peut s'agir aussi, parmi d'autres hypothèses, d'une personne souffrant d'un délire au long cours qui aurait une poussée à un moment ou un autre pour telle ou telle raison."

"L'impression d'imitations en cascade"

Le même spécialiste s'était intéressé, sur BFMTV, à cet homme qui s'est rué au volant de sa voiture sur une pizzeria à Sept-Sorts en Seine-et-Marne le 14 août dernier. "Je suppose que cette personne était atteinte d’une forme de dépression que l’on appelle une 'mélancolie', c’est-à-dire quelqu’un qui se sent criminel, qui se sent condamné à mort, et qui, d’une certaine façon pour justifier sa position, se met à tuer. En somme, le remord précède le crime", avait-il dit. Sur notre antenne ce lundi, Thibault de Montbrial, président du centre de réflexion sur la sécurité intérieure, a observé que la tendance à l'imitation était à la hausse: "Des attaques par des déséquilibrés contre des abribus ou des pizzerias avec des voitures, avant 2015, ça n’était encore jamais arrivé en France." Et l'expert, qui s'exprimait après l'interpellation du chauffeur de la voiture folle de Marseille, a lui aussi abordé le dossier du conducteur suicidaire de Seine-et-Marne de la semaine dernière. "Et donc ce garçon qui a voulu nous dit-on se suicider la semaine dernière en Seine-et-Marne, qui est rentré avec sa voiture dans une pizzeria, il est vraisemblable que s’il n’y avait pas eu tant d’actes de cette nature depuis des mois en Europe, il aurait fait autrement", a-t-il avancé.

Le psychologue Jean-Pierre Bouchard a tenu, auprès de BFMTV.com, à prendre quelques distances quant aux drames de Marseille et de Seine-et-Marne, rappelant qu'à ce stade il était impossible d'affirmer avec certitude qu'un désordre psychologique était à leur origine. Toutefois, considérant le nombre d'attaques à la voiture-bélier en Europe depuis Nice, de Berlin à Barcelone, il a posé: "On a l'impression en effet d'imitations en cascade". D'après lui, l'hécatombe de Nice sous les roues du camion conduit par Lahouaiej-Bouhlel, véritable "caisse de résonance mondiale", a démontré que ce type d'attaques était, non seulement effroyablement efficace, mais "très facile d'accès". "C'est l'intention de tuer qui l'arme la plus redoutable, les armes et les méthodes ne sont que des moyens", a-t-il poursuivi.

Les psychiatres sollicités

Selon Thibault de Montbrial, la communication de Daesh fait partie intégrante d'un schéma poussant des individus à la psyché fragilisée à mener de tels actes. "Ce ne sont pas des actes terroristes au sens juridique du terme mais ce sont des actes d’imitation, de mimétisme, des copycats comme disent les Américains, et qui sont l’aboutissement de l’une des choses que Daesh a recherchées par ses multiples messages d’incitation sur les réseaux sociaux", a-t-il assuré.

Sur notre plateau ce lundi, Chems Akrouf, spécialiste des questions de renseignement, a lui aussi diagnostiqué que les personnalités troublées mentalement pouvaient se montrer poreuses aux événements dramatiques d'un climat alourdi par les attaques terroristes. Pour Chems Akrouf, ça ne va pas sans poser de problème au personnel psychiatrique comme pour les renseignements: "La difficulté pour les renseignements c’est d'avoir un individu n’a pas de lien avec un groupuscule terroriste ou avec des recruteurs. Le fait d’avoir des gens qui ont des troubles mentaux et qui peuvent être inspirés pour faire parler d’eux, ce sont des éléments que les psychiatres doivent prendre en compte parce qu’ils ne sont pas formés du tout pour ça." Alors que le ministère de l'Intérieur a annoncé sa "volonté" de mobiliser "l’ensemble des hôpitaux psychiatriques et des psychiatres libéraux de manière à essayer de parer à cette menace terroriste individuelle", Chems Akrouf a ajouté: ". Je sais que la Fédération hospitalière de France, la FHF, a pris en compte ces thématiques-là et a formé les médecins psychiatres."

Si le réflexe mimétique est l'une des conséquences psychologiques du terrorisme sur certains criminels avérés ou en puissance, la terreur, et spécialement dans le cas d'un véhicule-bélier, s'imprime aussi dans le paysage mental des citoyens. Au point de modifier parfois les trajectoires les plus quotidiennes, a également observé Jean-Pierre Bouchard: "L'attaque à la voiture-bélier est quelque chose de très concernant. Tout le monde marche dans la rue, à ciel ouvert, tout le monde s'identifie aux victimes. En Israël, des gens vous diront qu'ils marchent côté mur plutôt que côté rue. L'Europe fait l'apprentissage de ce type de menaces".

Robin Verner, avec AFP