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Police-Justice

"Tu es dangereux, tu dois démissionner": au procès de Joël Le Scouarnec, un psychiatre dit avoir tenté de le dénoncer

Croquis d'audience du 4 mars 2025 montrant l'ancien chirurgien Joël Le Scouarnec (c) lors de son procès à Vannes, dans le Morbihan

Croquis d'audience du 4 mars 2025 montrant l'ancien chirurgien Joël Le Scouarnec (c) lors de son procès à Vannes, dans le Morbihan - Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP

Dès 2006, Thierry Bonvalot, psychiatre et à l'époque président de la Commission médicale d'établissement (CME) quand Joël Le Scouarnec était en poste à Quimperlé, avait tenté d'alerter sur sa dangerosité. I s'est confié à la barre sur ce "sentiment d'échec personnel total".

Il est celui qui a tenté d'alerter dès 2006, en vain selon lui, sur la "dangerosité" de Joël Le Scouarnec lorsque le chirurgien pédocriminel était en poste à Quimperlé (Finistère): devant la cour criminelle du Morbihan, Thierry Bonvalot, psychiatre, a confié mardi 13 mai son "sentiment d'échec".

En costume noir et chemise blanche, le Dr Bonvalot est revenu, parfois ému, sur le passage à l'hôpital de Quimperlé de Joël Le Scouarnec, qui y effectue quelques remplacements dès 2004 et y demande sa mutation à partir de 2006.

Son embauche est une aubaine pour l'hôpital alors en "grande difficulté", qui pouvait ainsi pérenniser à la fois son pôle chirurgical et sa maternité, explique Dr Bonvalot, à l'époque président de la Commission médicale d'établissement (CME).

"Il s'est fait choper par le nouveau logiciel"

Mais, raconte-t-il à la cour, un collègue psychiatre l'appelle début 2006 pour une conversation "totalement surréaliste".

"Il me hurle littéralement au téléphone: 'j'ai expertisé ton chirurgien, Le Scouarnec, c'est un alcoolo, il s'est fait choper par le nouveau logiciel'", raconte-t-il.

Ce "nouveau logiciel", c'est celui du FBI qui a permis de signaler aux autorités françaises près de 2.500 internautes français comme adeptes de sites pédopornographiques.

Son collègue lui explique que Joël Le Scouarnec fait partie de ces derniers et qu'il a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour détention d'images pédopornographiques en octobre 2005 à Vannes, sans interdiction d'exercer ni obligation de soins.

Lorsqu'il demande "la preuve", le Dr Bonvalot ne reçoit qu'une "coupure de journal" faisant état de la condamnation d'un médecin pour ces faits, sans nommer l'intéressé. Thierry Bonvalot dit s'être alors trouvé dans "une position insoluble".

Impossible, assure-t-il, d'"aller trouver le chirurgien qui vient sauver la moitié des activités de l'hôpital pour lui demander si à tout hasard il n'a pas été condamné" pour détention d'images pédopornographiques.

Craignant d'être "accusé de non confraternité" par l'institution médicale, Dr Bonvalot n'agit pas.

Le Scouarnec avait avoué des actes sexuels sur un enfant

Mais quelques semaines plus tard, un infirmier lui rapporte un incident: Joël Le Scouarnec a "pris la tangente" après avoir opéré cinq heures durant un enfant pour une simple appendicectomie et lui avoir perforé la veine cave.

Presque au même moment, une discussion houleuse l'oppose à Joël Le Scouarnec, qui défend un radiologue de l'hôpital soupçonné de viol. Ce dernier sera finalement condamné en 2015 à 18 ans de réclusion pour viols et agressions sexuelles sur 32 femmes, dont huit mineures.

Le Dr Bonvalot convoque alors Joël Le Scouarnec avec le vice-président de la CME. Il lui demande s'il a bien été condamné pour téléchargement de fichiers pédopornographiques. "Il me dit, immédiatement et sans réfléchir, 'oui'", se souvient M. Bonvalot.

Et lorsqu'il lui demande de faire un compte-rendu de cette appendicectomie, le chirurgien lui relate alors l'opération "comme une relation sexuelle avec l'enfant". "Je l'ai pénétré, je me suis retiré", dit Joël Le Scouarnec, selon Dr Bonvalot, en parlant de la veine cave de l'enfant, dans un "festival invraisemblable de métaphores pédophiles."

Effaré, le psychiatre lui dit alors "tu es dangereux, tu dois démissionner" mais Joël Le Scouarnec lui rétorque: "vous ne pouvez pas m'y obliger."

Un "grand pervers"

Thierry Bonvalot avertit le directeur de l'établissement dans un courrier et affirme en avoir parlé à plusieurs reprises avec le maire de l'époque, également anesthésiste au pôle chirurgical.

Le Conseil départemental de l'ordre des médecins du Finistère est également averti, selon un courrier consulté par l'AFP avant le procès.

Face à la cour, à quelques pas de l'accusé, le psychiatre confie avoir "souhaité pendant ces années (s)'être trompé" sur Joël Le Scouarnec, qu'il avait alors identifié comme un "grand pervers".

Un diagnostic confirmé mardi par le psychologue Patrice Lenormand qui, interrogé par la cour quatre heures durant, a décrit l'accusé comme un "concentré" de perversions sexuelles, un narcissique qui considérait ses victimes comme de simples "objets de satisfaction".

Presque vingt ans après avoir alerté sa direction sur le cas Joël Le Scouarnec, Thierry Bonvalot se dit "marqué à vie" avec "un sentiment d'échec personnel total" lorsque la justice a mis au jour les viols et agressions sexuelles commises sur 299 victimes. "Je pense qu'après ce fiasco, j'ai un devoir de vérité."

F.R. avec AFP