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Police-Justice

Réforme pénale: le nouveau fichier génétique de la police va-t-il permettre un fichage ethnique?

Des voix s'élèvent pour dénoncer un amendement qui, selon eux, prévoit le fichage génétique. (Image d'illustration)

Des voix s'élèvent pour dénoncer un amendement qui, selon eux, prévoit le fichage génétique. (Image d'illustration) - Christophe Simon - AFP

Un amendement au texte sur la réforme de la justice permettrait de recenser de nouvelles caractéristiques comme la couleur des cheveux, des yeux et même l'origine ethnique. De quoi faire bondir certains avocats qui dénoncent une volonté de fichage généralisé au prétexte d'un besoin sécuritaire.

Les avocats de toute la France vont faire entendre leurs voix ce jeudi pour protester contre la réforme pénale dont l'examen vient de débuter à l'Assemblée nationale. Un texte "attentatoire aux libertés", une loi qui éloigne les citoyens du juge... Parmi les mesures, un petit amendement fait bondir la profession. Vendredi, la commission des lois de l'assemblée a adopté une modification apportée par son vice-président, le député LaRem Denis Paris qui prévoit la suppression dans la loi pénale de la notion d'"ADN non codant". Et par conséquence, l'acceptation du terme "ADN codant" dans le code pénal.

En mars 2003, lors de la création du Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), les législateurs avait exclu de l'article du code pénal l'"ADN codant", pour ne garder que la notion de "non codant" pour prévenir des risques de hackage, les piratages de données, mais aussi un fichage trop large. Derrière ce terme barbare et peu parlant est réunie une série de critères génétiques. Contrairement à l'ADN non codant, qui est un séquence génétique propre à chaque individu, l'ADN codant détermine, entre autre, des critères physiques dont les plus maîtrisés sont la couleur des yeux, le taux de coloration de la peau, la possibilité de calvitie, ou de certaines maladies ou encore... l'origine géographique des individus. Bref tout ce qui fait que l'on est individuellement et biologiquement différent et que l'on peut identifier un individu.

Une probabilité, pas une vérité

Jusqu'à présent l'ADN codant aide à orienter les enquêtes policières, notamment en fournissant aux enquêteurs le sexe de la personne ayant abandonné son ADN sur une scène de crime. "Il ne s'agit pas de critères qui ont une vérité mais d'une probabilité à prendre en compte, c'est-à-dire que l'individu à 80% d'avoir la peau claire, 60% d'avoir les yeux bleus par exemple", rappelle Guillaume Groult, du syndicat national indépendant des personnels de la police technique et scientifique (SNIPAT). Lors d'investigations, ces éléments déterminés grâce à l'ADN peuvent permettre de faire avancer les recherches en réalisant des croisements avec des images de vidéosurveillance ou éliminer des suspects.

Ce fut le cas en 2016. Grâce au portrait-robot génétique, les enquêteurs ont résolu l'affaire du squelette emmuré à Marseille, une femme découverte morte d'une blessure par balle à la tête dans un appartement en travaux. La technique avait permis de resserrer la liste des suspects et identifier à terme le coupable. A l'inverse, et c'est ce que certains redoutent, une forme de "psychose" au sein de la population pourrait se développer. Elle verrait alors en chaque personne porteur d'un critère établi par la recherche sur l'ADN un potentiel suspect.

Guillaume Groult va lui plus loin et son constat est sans appel: "L'utilisation de l'ADN codant dans les enquêtes est utile mais son inscription au FNAEG ne sert à rien. Dans ce fichier, vous avez les empreintes mais aussi la photo des personnes mises en cause ou condamnées pour des infractions."

Risque de fichage ethnique

Si l'ADN codant a un intérêt pour la science et la recherche selon le policier, certains s'inquiètent de la volonté du politique d'introduire dans la législation son inscription dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques. Une volonté, qui sous couvert de répondre à des besoins d'enquête et de sécurité, aurait pour objectif un fichage, notamment ethnique, de la population dans sa globalité. "Cet amendement est délirant, s'insurge Me Patrice Reviron, avocat pénaliste. On cherche à ouvrir les vannes pour aboutir à un fichage obligatoire et très étendu juste en utilisant certains algorithmes à partir du FNAEG."

Car à cet amendement s'ajoute une autre disposition permettant l'élargissement des possibilités de recherches en parentalité. Jusqu'alors limités aux parents en ligne direct, c'est-à-dire les parents et la fratrie, ces rapprochements pourront être effectués sur les parents en ligne indirecte, grand-parents, oncles, tantes ou encore cousins.

"Désormais sous n'importe quel prétexte on pourra enquêter sur tout et tout le monde", prévient Me Reviron.

"Pour dissiper toute inquiétude à cet égard, le rapporteur déposera en séance un amendement qui, à la place de la suppression de l’interdiction de conserver des empreintes réalisées à partir de segments d’ADN 'codant', interdira de façon expresse que le FNAEG puisse conserver des informations relatives aux caractéristiques d'une personne résultant des segments d’ADN correspondant à son empreinte génétique, à l'exception de celles relatives à son sexe", annonce-t-on ce jeudi soir à la Chancellerie.
Justine Chevalier