Prostitution: la question de la pénalisation des clients examinée par le Conseil constitutionnel

Opposants et partisans de la pénalisation des clients de la prostitution se retrouvent ce mardi devant le Conseil constitutionnel. - AFP
L'enjeu de l'audience est l'abrogation de la loi d'avril 2016 sur la pénalisation des clients de la prostitution. Le Conseil constitutionnel va examiner ce mardi à 9h30 une question prioritaire de constitutionnalité déposée par neuf associations et une trentaine de travailleurs du sexe qui s'opposent à ce texte. Il prévoit une amende pouvant aller jusqu'à 1.500 euros et 3.750 euros, en cas de récidive, pour les clients des prostituées.
Au coeur du recours porté par les associations Médecins du Monde, la fédération parapluie rouge, le Strass (syndicat du travail sexuel), les Amis du bus des femmes, Cabiria, Griselidis, Paloma, AIDES, Acceptess-t, la liberté des prostituées: droit à la vie privée, droit d'entreprendre, liberté contractuelle...
"La loi de 2016 ne prend pas en compte l'autonomie des prostituées, dénonce Me Patrice Spinosi, l'avocat des opposants. On ne peut pas généraliser une interdiction au motif de la protection d'une partie de la profession."
"Mesure contre-productive"
Les opposants à cette loi avaient obtenu en novembre dernier une première victoire avec la transmission de ce recours par le Conseil d'Etat aux Sages. Selon les requérants, la pénalisation des clients plonge les prostituées dans une certaine précarité et leur fait encourir des risques, en faisant baisser leurs revenus, en les obligeant alors à accepter des rapports non-protégés ou dans des endroits plus isolés où les travailleurs du sexe seraient plus exposés aux risques d'agression. Comme dans le meurtre de Vanesa Campos, une prostituée transgenre mortellement blessée en août au bois de Boulogne. La "responsabilité politique" avait alors été pointée du doigt.
"Cette mesure est contre-productive", pour Me Spinosi, qui avait plaidé contre une loi "schizophrène". "Elle reconnaît que la prostitution existe puisque que les revenus qui en découlent sont soumis au régime fiscal, mais elle sanctionne les clients", expliquait l'avocat en novembre dernier.
Selon un sondage Ipsos pour la coalition abolitionniste Cap-international - regroupant 28 associations dans 22 pays - 78% des personnes interrogées considèrent que la loi pénalisant les clients plutôt que les prostituées, qui pouvaient être poursuivies pour racolage, est "une bonne chose". Concernant la question prioritaire de constitutionnalité qui est examinée, 29% se prononcent en faveur de l’abrogation du texte, un chiffre plus élevé chez les hommes (40%) contre 20% chez les femmes. La moitié prône le maintien du texte. "Notre société reconnaît que la prostitution est une violence, cette loi a permis de casser les clichés et les fantasmes", se félicite Grégoire Théry, porte-parole du Mouvement du Nid, qui milite pour l'abolition de la prostitution et qualifie la QPC d'"immense question de société".
La prostitution, "une violence sexuelle"
La décision du Conseil constitutionnel, déterminante pour l'avenir de cette loi qui pourrait être abrogée, sera connue la semaine prochaine. L'enjeu est de taille pour les opposants à l'abrogation. "On redoute ce scénario qui ne permettra plus aux législateurs de revenir dessus, la prostitution sera protégée par une décision du Conseil constitutionnel", détaille Grégoire Théry. Pour lui, cette loi a pourtant permis plusieurs avancées: reconnaissance de cette forme de violence sexuelle, lutte contre le proxénétisme, lutte contre une violence portée par un intérêt économique, création d'une valeur éducative mais aussi création d'un cadre de politique publique avec des commissions, sous l'égide des préfets, regroupant divers acteurs pour lutter contre la prostitution.
Depuis 2016, les forces de l'ordre ont procédé à 3.000 interpellations de clients de prostituées, selon le Mouvement du Nid. Mieux, l'association se réjouit de l'accélération de la mise en place de ces commissions départementales regroupant les autorités et les associations. "En huit mois, le chiffre a doublé, ces commissions qui ont vocation à établir des améliorations sur les moyens d'aide pour sortir de la prostitution, concernent deux tiers du territoire", assure Grégoire Théry. Selon le porte-parole de l'association, en janvier, 130 personnes ont eu accès à un parcours leur permettant de sortir de la prostitution avec l'octroi d'un titre de séjour, une aide financière et un accès prioritaire à l'hébergement.