Procès du 13-Novembre: pour les victimes, comment gérer l'après?

La salle d'assises qui a accueilli le procès des attentats du 13-Novembre. - Thomas Coex
Lundi 27 juin, peu avant midi, le président de la cour d'assises spéciale qui juge les attentats du 13-Novembre vient d'annoncer que l'audience était suspendue. Dans la salle d'audience, puis devant la salle, tous ont du mal à sortir, à quitter ce lieu qu'ils fréquentent depuis près de dix mois. Même les avocats de Salah Abdeslam, la plupart du temps discrets, s'attardent. Car cette audience a repris pour une dernière fois mercredi soir, pour la lecture du verdict de ce procès hors normes. Juste après l'annonce, cette foule s'est attardée cette fois-ci sur les marches du palais, avant de rejoindre des terrasses. Tout un symbole.
"Quand la Coupe du monde de foot s'arrête, on se dit que ça va être long d'attendre quatre ans, pareil pour l'Euro ou encore Roland Garros pour lesquels il faut attendre la prochaine édition. Là, il n'y aura pas de nouvelle édition", lance Catherine dans une métaphore sportive pour expliquer cette crainte pour elle quand ce jeudi matin son réveil ne sonnera pas pour aller au tribunal.
Depuis le premier jour, elle vient assister aux débats, souvent avec un maillot de l'équipe de France floqué Pogba sur le dos, toujours son écharpe de foot avec la mention "13 novembre 2015" autour du cou. "C'est l'officielle celle-ci", tient à préciser la sexagénaire.
"Soulagement" et "regrets"
Catherine, comme tant de victimes, a crée des liens avec les autres parties civiles, mais aussi avec les avocats, des deux bords, les membres du dispositif de soutien psychologique ou de l'organisation. Depuis le mois de septembre dernier, ils fréquentaient les mêmes bancs.
"Ce sera un manque qui va durer un moment, c’est incontestable, je m’y attends, souffle encore la supportrice à BFMTV.com. Je ne sais pas si j’y suis préparé mais je m’y attends." Ce sentiment est partagé par Georges Salines, présent chaque jour à l'audience et répondant très souvent aux sollicitations médiatiques.
"Je me sens à la fois soulagé que le procès se termine, j’ai envie de retrouver plus de temps libre et en même temps je sais que je vais regretter d’avoir le contact quotidien avec certaines personnes qui assistent au procès", explique le père de Lola, l'une des victimes du Bataclan, et l'un des membres fondateur de l'association 13onze15, Fraternité et Vérité.
Arthur Dénouveaux, rescapé du Bataclan et président de l'association Life for Paris, a retrouvé au fil de ces derniers mois passés au Palais de justice de Paris l'impression qu'il a connue à la création des associations juste après les attentats de Paris et de Saint-Denis.
"Ce début où on se voit tous, où on va boire des coups ensemble, celui où on échange, et surtout celui où, à force de tellement se voir et de tellement échanger, on ne parle même plus des attentats mais de nos vies et de l’après", confie-t-il.
"Ne pas surestimer" la peur du vide
Chaque jour, depuis le 8 septembre 2021, les parties civiles arrivaient, passaient les contrôles de sécurité, récupéraient leur badge d'accès, avec un cordon vert pour celles qui acceptaient de répondre aux médias, rouge pour celles qui le refusaient. Elles s'asseyaient ensuite sur les bancs plus ou moins remplis de la salle d'audience ou des salles annexes qui leur étaient réservées. On les a vu se serrer dans les bras, rire, pleurer parfois, ensemble. Désormais, la question reste la même: comment surmonter l'après?
"Je ne pense pas qu’il faut surestimer cette peur, maintient Arthur Dénouveaux. On parle de gens qui ont survécu à un attentat, qui ont fait une psychothérapie ou qui sont toujours en psychothérapie pour ça, et donc ce choc-là sera toujours infiniment moins fort. Les victimes sont fragiles mais elles sont aussi très fortes parce qu’elles ont déjà surmonté un traumatisme donc je pense que ça va aller."
Surtout que les victimes ont eu des réponses à certaines questions qu'elles se posaient à l'ouverture de procès. "J’ai appris des choses que j’espérais pas pouvoir apprendre, notamment comment on se radicalise, comment à 30 ans on va tirer dans le dos de gens du même âge et qu’on a jamais rencontrés parce que les accusés ont livré la partie de propagande qui les avait touchés et en essayant de la faire eux-mêmes", explique Arthur Dénouveaux. D'autres ont encore obtenu des détails sur les préparatifs des attaques.
"Je pense surtout qu’on a vu qu’on pouvait parler avec les terroristes, que nos avocats pouvaient parler avec eux, et qu’il n’y avait aucun doute que ce sont des humains qui nous avaient fait ça, ce qui est quelque part effrayant, quelque part rassurant, mais je pense que c’est rassurant car la justice est capable de juger des humains, ça renoue le pacte social", poursuit-il.
Le président de Life for Paris, qui rendra sa casquette à l'issue du procès, craint que ça soit "plus dur" pour ceux qui ne sont pas beaucoup venus au procès. "Ils peuvent se dire ‘Est-ce que j’en ai assez ‘profité’? Est-ce que j’ai fait ce qu’il fallait vis-à-vis du procès?’." D'autant que, s'il est quasiment acquis qu'il y aura un procès en appel, les parties civiles n'en attendent rien.
"Ca ne sera jamais aussi intense, on sait que ça va arriver mais on ne fait jamais les premières fois deux fois", estime encore Arthur Dénouveaux.
Alors que l'association est amenée à être dissoute le 13 novembre 2025, elle connait aujourd'hui un regain d'adhésions.
Le travail pour se "réinventer"
Pour faire face à cette fin de procès, Georges Salines a des "projets". "Je suis suffisamment âgé pour savoir qu’il y a des phases dans la vie et qu’il faut apprendre à se réinventer, je vais continuer à m’intéresser aux suites judiciaires qui vont être nombreuses, plutôt en spectateur, explique-t-il. Par ailleurs j’essaie d’être le plus engagé possible dans des actions de prévention du terrorisme, de justice restaurative. Je m’intéresse aussi aux questions de condition de la détention en France, je vais continuer à essayer de me rendre utile dans ces domaines-là."
Le travail, c'est aussi ce qui attend les autres acteurs de ce procès, à commencer par les avocats. Eux-aussi étaient là pendant près de dix mois, beaucoup ont assisté à toutes les audiences et vont devoir s'extraire de cette bulle temporelle et spatiale.
"Ca va faire bizarre de retourner au cabinet", reconnaît une avocate de parties civiles. Mais elle sait déjà que de nombreux "gros" procès, dans cette même salle d'audience, l'attendent, comme celui de l'attentat de Nice ou du Mediator. Olivia Ronen, l'avocate de Salah Abdeslam, est déjà de retour dans les prétoires dans un autre procès terroriste.
De ces dix mois d'audience, il reste aussi beaucoup de fatigue. "Ce qu’on retient c’est qu’on est épuisé, on est éreinté, souffle Me Xavier Nogueras, l'avocat de l'un des accusés, Mohammed Amri. On a besoin de repos, c’est le plus important, c’est vraiment lourd ce qu’on ressent." Souvent contrarié, le planning aura toutefois du bon avec cette fin de procès qui coïncide avec la fin de la période scolaire.
"Les vacances d'été vont faire du bien", reconnaît Arthur Dénouveaux, père de deux enfants. Ça a été très dur pour les proches de tous ceux qui ont eu à subir ce procès, même pour ceux qui n’y étaient pas beaucoup mais qui avaient toujours un bout de leur cerveau ici. Ça a été très dur. Il y a quelque chose d’impartageable par définition à la fois pendant l’attentat mais aussi pendant ce moment de justice. Je pense que ça va faire du bien à tout le monde que ça s’arrête. (...) C'est très bien qu’à la rentrée on reparte sur un nouveau pied sans procès."