
AFP / MONTAGE PIERRE-OSCAR BRUNET
Gisèle Pelicot applaudie, une fratrie "anéantie"... 10 moments qui ont marqué le procès des viols de Mazan
Il y a trois mois s'ouvrait le procès des viols de Mazan. Celui de 51 hommes jugés pour avoir violé une femme, droguée au préalable par son mari qui fait figure d'accusé principal. Ce 2 septembre 2024, les médias évoquent un dossier criminel, certes sans précédent, mais n'imaginent pas la portée qu'auront ces débats. Aucun n'évoque le nom des Pelicot, pour préserver la victime. C'était il y a trois mois.
Suivez notre direct >> Procès des viols de Mazan: l'heure du verdict pour les 51 accusés dont Dominique Pelicot
Depuis, le nom Pelicot est affiché, presque scandé comme cri de ralliement par les associations féministes. Le procès des viols de Mazan, hors norme de par les faits jugés, est devenu un procès sociétal, historique par sa portée. Les avocats généraux, lors de leur réquisitoire, l'ont martelé: "Par votre verdict, vous signifierez que le viol ordinaire n'existe pas (...) Qu’il n’y a pas de fatalité à subir pour les femmes et pas de fatalité à agir pour les hommes. Et vous nous guiderez dans l’éducation de nos fils."
À l'occasion de l'annonce du verdict, ce jeudi 19 décembre, retour sur les moments forts de ce procès, dont "l'enjeu" était pour Gisèle Pelicot de "changer fondamentalement les rapports entre hommes et femmes".
"On ne veut pas de silence": la levée du huis clos
Quelques jours avant le procès, la rumeur se murmurait: la partie civile, cette femme de 72 ans désormais, pourrait contre toute attente demander la levée du huis-clos sur le procès de ses agresseurs devant la cour criminelle du Vaucluse. Une requête jusqu'alors inimaginable, tant les faits décrits sont sordides.
Pourtant le 2 septembre 2024, celle que les médias appellent encore Gisèle P., lunettes de soleil vissées sur le visage - qu'elle abandonnera au fur et à mesure du procès -, ne cherche pas à se cacher et demande à ses avocats de plaider pour que le procès soit public. Elle le sait pourtant: renoncer au huis-clos, c'est accepter que les vidéos des viols reprochés aux accusés soient diffusées devant les journalistes et le public.
"Les violences sexuelles, c'est le silence, nous on ne veut pas de silence dans ce procès", lance l'un de ses avocats, Me Babonneau.
Le président de la cour criminelle du Vaucluse, Roger Arata, accède à la demande de la partie civile, les débats seront donc publics, en présence d'anonymes venus de toute la France et de journalistes du monde entier. "Notre cliente estime que la justice se rend publiquement et qu’elle n’a pas à se cacher", avait alors réagi Me Stéphane Babonneau, qui a défendu la septuagénaire avec Me Antoine Camus.

Le 20 novembre, au moment de reprendre la parole une dernière fois, les avocats évoquent le "geste politique" de Gisèle Pélicot derrière la levée de ce huis-clos. Elle a voulu "faire de nos débats le terreau d’une prise de conscience, un changement des mentalités, qui romprait avec une violence d’un autre âge".
"Comment en France en 2024 une femme peut encore subir ce qu’a vécu Gisèle Pelicot pendant au moins 10 ans? Comment en France en 2024 peut-on trouver au moins 50 individus pour profiter sans échange d’un corps inerte, d’un corps qu’on croyait mort qu’il faut rouler sur lui-même pour le voir", déplore Me Camus.
"Nos clients (Gisèle, David, Caroline, Florian Pelicot ainsi que les deux belles-filles de Gisèle Pelicot, NDLR) savaient qu’ils devraient renoncer à leur anonymat mais certainement pas de leur dignité et encore moins de leur décence", plaide-t-il.
51 accusés réunis dans une même salle
Au tribunal judiciaire d'Avignon, à moins de deux mètres de Gisèle Pelicot, se trouvent les 51 hommes accusés de l'avoir violée, parmi lesquels son mari. Un temps envisagée, l'idée d'organiser les débats au palais des congrès de la ville a été abandonnée. Résultat: seul un second box pour les 18 accusés qui comparaissent détenus a été aménagé, les autres se répartissent sur la vingtaine de bancs dans la salle, aux côtés de leurs avocats.
Tous ceux qui comparaissent libre refusent d'être photographiés ou filmés et arrivent au tribunal avec un masque chirurgical ou capuche sur la tête. Anciens militaires, employé, journaliste, pompier, gardien de prison... Ces hommes de 22 à 67 ans, réunis dans cette salle ou dans les couloirs du tribunal, ont renforcé l'image de masse, déjà importante par le nombre d'accusés, et ont créé ce que certains appelleront "un effet de meute".
Seule une poignée d'entre eux a reconnu les viols lors du procès. La très grande majorité dénonçant la "manipulation" de Dominique Pelicot et évoquant des viols "involontaires", "à contre-coeur", sous la pression du mari. Ils assurent ne pas "avoir eu l'intention" de violer Gisèle Pelicot. Beaucoup ont plaidé l'acquittement.

Isolé dans son box, Dominique Pelicot, comme depuis le début de l'affaire, a reconnu l'intégralité des faits reprochés, avançant en toute fin de procès son fantasme de "soumettre une femme insoumise". Interrogé sur les autres accusés, il a, de manière constante, maintenu que ces hommes avaient été avertis que Gisèle Pelicot serait droguée lors de leur venue.
La diffusion des vidéos "insoutenables" des viols
Les écrans de la salle d'audience s'allument, une première image est diffusée et immédiatement la salle se tétanise. Le 19 septembre, la cour diffuse les vidéos des viols reprochés au premier groupe d'accusés jugés. Les images sont effroyables. Présente dans la salle, Gisèle Pelicot, comme pour chaque diffusion, regarde son téléphone portable. C'est "un moment très difficile, parce que ce sont des vidéos insoutenables", avait convenu Me Stéphane Babonneau après leur première diffusion.
Mais le conseil avait appuyé sur la nécessité de montrer ces images, pour contester la parole des accusés. Sur ces vidéos, on voit Gisèle Pelicot inerte, le corps lourd, comme morte, tandis que les hommes, filmés par son mari, pratiquent des attouchements et des pénétrations. Surtout on entend la femme ronfler, des ronflements intenses, saisissants.
Tous aux longs des débats, une large majorité des accusés ont nié avoir eu l'intention de violer la septuagénaire, assurant avoir été manipulés par Dominique Pelicot. Avec la diffusion de ces vidéos, l'objectif, pour l'accusation et les parties civiles, est bien de montrer que ces hommes ne pouvaient ignorer l'état d'inconscience de cette femme.
Après cette première diffusion, le président de la cour a pris la décision de réserver le visionnage de ces images aux seules parties du procès. Public et journalistes devant alors sortir de la salle. La partie civile a dû batailler une seconde fois pour que la diffusion soit publique.
"Pour Gisèle Pelicot, ces vidéos font s’écrouler la thèse d’un viol involontaire", plaide Me Antoine Camus. "Ici, il est question de salir, d’avilir, de haine de la femme. Ces vidéos, il faut les voir en masse, c’est la banalité du mal."
Le plaidoyer de Gisèle Pelicot pour "changer la société"
Gisèle Pelicot s'est tenue face à la cour pour demander la levée du huis-clos. Elle s'est tenue debout toujours face à ces magistrats pour obtenir la diffusion publique des vidéos. Elle qui porte fièrement le nom de famille de son ex-mari pour que ses petits-enfants n'aient pas honte, a dû aussi affronter les avocats de la défense et notamment leurs questions sur son intimité.
"Je comprends que les victimes de viol ne portent pas plainte, on passe par un grand déballage où on nous humilie", explose-t-elle le 19 septembre, lors de sa première déposition devant la cour criminelle.
"Depuis que je suis arrivée dans cette salle d’audience, je me sens humiliée. On m'a traitée d’alcoolique, de complice de M. Pelicot. J’ai tout entendu, il faut avoir un degré de patience pour supporter tout ce que je dois entendre."

Lors de sa dernière prise de parole, le 19 novembre, elle dénonce "le procès de la lâcheté". Gisèle Pelicot, qui avait évoqué le "champ de ruines" en elle, admet "ne pas savoir comment je vais me reconstruire, me relever de tout ça".
Alors quitte à avoir subi toutes ces violences, quitte à avoir enchaîné les coups tel "le boxeur qui tombe et qui se relève à chaque fois", Gisèle Pelicot veut en faire son combat. En demandant la levée du huis-clos, "je voulais que toutes les femmes victimes de viol se disent 'Madame Pelicot l’a fait, on peut le faire'. Je ne veux plus qu’elles aient honte."
"La honte, ce n’est pas à nous de l’avoir, c’est à eux. (…) J’exprime surtout ma volonté et détermination pour qu’on change cette société."
Les haies d’honneur "pour que la honte change de camp"
Le week-end du 14 septembre, deux semaines après le début du procès, des manifestations sont organisées sur tout le territoire en soutien à Gisèle Pelicot. "Violeur, on te voir, victime, on te croit", scandent les milliers de manifestants. Début octobre, des centaines de personnes sont également rassemblées pour une marche silencieuse à Mazan.
Ce soutien s'affiche aussi très rapidement dans les couloirs du palais de justice d'Avignon. De premiers applaudissements se font entendre. Le 17 septembre, Gisèle Pelicot se voit offrir un bouquet de fleurs. Le début d'une longue série.
Au fil des semaines, le public se fait chaque jour plus nombreux. Parmi la foule, des curieux qui veulent assister à une audience de ce procès qui apparaît de plus en plus comme historique. Il y a aussi ces femmes, nombreuses, venues apporter leur soutien et dire à leur admiration à Gisèle Pelicot, à chaque fois émue par ces applaudissements qui se sont parfois transformés en haie d'honneur.
"On est avec vous", "courage et bravo", "pour que la honte change de camp", peut-on entendre dans cette foule, majoritairement féminine, rassemblée dans la salle des pas perdus.
"Ça me touche beaucoup, je suis très très émue", avait déclaré, avec émotion, Gisèle Pelicot, le 23 septembre.
Dominique Pelicot, la "clé de voute" qui ne livre aucun secret
Dominique Pelicot est l'accusé principal de ce procès. C'est lui qui a, pendant dix ans, drogué, violé et fait violer sa femme par des inconnus. Le procès a été un temps suspendu à son état de santé. Des aménagements lui avaient été octroyés afin qu'ils puissent assister aux audiences sur la durée. Il est alors installé sur un siège surplombant la salle, afin de remplacer le banc en bois sur lequel il était assis depuis le début du procès, lui donnant l'air d'un conférencier à chaque fois qu'il prenait la parole.
Dominique Pelicot a parlé, interrogé sur le cas de chaque accusé qu'il met en cause, mais Dominique Pelicot n'a pas livré ses secrets. Comment un homme, parfaitement inséré, père de famille, grand-père, a-t-il pu mettre en place un tel schéma criminel?
À plusieurs reprises, il revient sur le viol qu'il dit avoir subi à l'âge de 9 ans et celui auquel il a été contraint de participer à l'âge de 14 ans. Il évoque son enfance avec un père qu'il accuse d'inceste avec une jeune fille accueillie dans la famille. Il parle de sa mère qui a subi des violences de la part de son père et dira avoir voulu assouvir ses fantasmes sans faire subir de violence à son épouse Gisèle. Il évoque aussi son besoin "de soumettre une femme insoumise".
Son avocate Me Zavarro, devenue "bien malgré elle l'avocate du diable", parle, elle, d'un "engrenage", d'une "machine qui s'emballe". "Est ce que le pire ennemi de Dominique Pelicot, ce n’est pas Dominique Pelicot?", a-t-elle interrogé appelant Gisèle Pelicot et ses enfants, principalement leur fille Caroline, "à garder à l’esprit celui qui vous a profondément aimé", "le premier Dominique Pelicot".
La colère de Caroline Darian, "la grande oubliée"
Caroline Darian estime être "la grande oubliée" de ce procès. Dans les premières semaines de ce procès fleuve, l'unique fille du couple Pelicot est venue avec l'espoir d'obtenir des réponses à ses questions. Son père l'a-t-il soumis chimiquement pour abuser d'elle comme il l'a fait avec sa mère? Deux photos de Caroline Darian, endormie, portant des sous-vêtements ne lui appartenant pas, ont été découvertes sur le disque dur de Dominique Pelicot. S'il est jugé pour ces photos, il a toujours nié tout comportement incestueux.
"Je maintiens que je n'ai jamais touché mes enfants et petits-enfants que j'aime énormément", a déclaré Dominique Pelicot le 19 novembre.
"Tu mens!", s'est écrié Caroline Darian. "Tu mens, tu mens, tu n'as pas le courage de dire la vérité, même concernant ton ex-femme. Tu mourras dans le mensonge. Tu es seul dans le mensonge. C’est bien dommage pour toi, tu n’as pas de face", a-t-elle développé rouge de colère.
"Tu finiras seul comme un chien", lui a-t-elle lancé le lendemain dans un ultime face-à-face entre le père, assurant dire "la vérité" et la fille.
Pour Caroline Darian, la seule différence avec sa mère, "ce sont les preuves". Une mère qu'elle appelle désormais "Gisèle", lui reprochant de ne pas condamner Dominique Pelicot pour ces abus dont elle est convaincue d'avoir été victime.
Une fratrie "anéantie" face au père de famille
Les deux autres enfants du couple Pelicot, David et Florian, ont dû patienter jusqu'au 18 novembre pour s'adresser à leur père. "J'ai le sentiment que toute mon enfance a disparu, elle a été comme effacée", a soufflé l'aîné David, dont la ressemblance physique avec son père est flagrante.

Lui comme son jeune frère ont "beaucoup d'incompréhension" quant aux raisons du passage à l'acte de Dominique Pelicot.
"Pourquoi t'as fait ça? Pourquoi t'as prêté notre mère comme ça?", a questionné Florian Pelicot, le plus jeune de la fratrie.
Sous le coup de l'émotion, il a fustigé son père, dont aujourd'hui il doute de sa filiation: "T'as toujours dit que notre mère était une sainte. Mais toi, tu étais le diable en personne." Les deux frères ont tous deux insisté pour que leur père dise la vérité sur ce qu'il a pu faire à leur sœur, Caroline, mais aussi à leurs enfants. "Rien! Sur aucun des enfants et petits-enfants!" a martelé l'accusé.
Les tensions au sein de la salle d'audience
"Il y a viol et viol, et, sans intention de le commettre, il n'y a pas viol." Dès la deuxième semaine du procès, le ton est donné par la défense. Me Guillaume De Palma, qui défend six co-accusés de Dominique Pelicot, plaidera des acquittements. Cette défense de la non-intentionnalité pour nier un crime va ulcérer du côté des parties civiles mais aussi à l'extérieur, renforçant peut-être le soutien apporté à Gisèle Pelicot.
Pendant ces trois mois d'audience, cette défense, qui dénonce à maintes reprises "le tribunal médiatique" et un procès "sous le poids de l'opinion publique" va s'engouffrer dans cette stratégie.
Viol involontaire, "par politesse", viol "à contre-coeur"... La grande majorité des accusés ont avancé des raisons à leur passage à l'acte, qui pour eux n'avait rien de criminel. Eux auraient été manipulés, ce que Dominique Pelicot a réfuté pour chacun d'entre eux. Un jour, ulcérée par leurs déclarations, Gisèle Pelicot les qualifie de "dégénérés".
À charge pour leurs avocats de faire adhérer la cour à cette version. Pour cela, ils ont chargé Dominique Pelicot, "clé de voute" de ce système, lui qui a drogué sa femme pendant dix ans pour la faire violer par des inconnus. Ils ont tenté d'installer l'idée que ces hommes, rencontrés sur Coco, avaient pu être trompés par des clichés de Gisèle Pelicot, dénudée et sous soumission chimique, envoyés par le mari. Quitte, pour certains, à remettre en cause la victime elle-même.
"Quand on reçoit des photos comme celles-là, on peut se dire que c’est une femme qui aime les jeux sexuels", avait déclaré Nadia El Bouroumi.
L'avocate de deux des 50 co-accusés a peut-être incarné, avec son ton et ses vidéos sur les réseaux sociaux, cette défense brutale, créant des tensions tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la salle. La pénaliste marseillaise, qui se filme régulièrement en sortie d'audience, avait créé la polémique en apparaissant sur une vidéo où elle danse sur la chanson Wake me up before you go ("Réveille moi avant de partir"). Elle s'en était excusée et avait annoncé porter plainte pour harcèlement.
Un réquisitoire pour "l'avenir"
Pendant 11 heures et 25 minutes, réparties sur deux jours et demi, les deux avocats généraux se sont succédés pour requérir des peines à l'encontre des 51 accusés. Sans surprise, à l'encontre de Dominique Pelicot, qualifié de "clé de voûte", l'accusation demande la peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle.
Reste à examiner le sort des 50 co-accusés. "L’absence de consentement ne pouvait pas être ignoré par les accusés", a tranché l'avocate générale Laure Chabaud. Des peines allant de 4 à 18 ans de réclusion criminelle ont été demandées, selon le profil des accusés, le nombre de fois ou ils sont allés au domicile des Pelicot mais surtout leur positionnement face aux faits. Des peines qualifiées de sévères par certains, les condamnations moyennes pour viol en France étant de 11 ans.

Balayant la "formule magique" énoncée par la quasi-totalité des accusés tout au long du procès "pour faire disparaître leur responsabilité", l'accusation a réclamé des peines lourdes.
"Par votre verdict, vous signifierez que le viol ordinaire n'existe pas, que le viol accidentel ou involontaire n'existe pas. Vous délivrerez un message d'espoir aux victimes de violences sexuelles."
"Par votre verdict, vous signifierez aux femmes de ce pays qu'il n'y a pas de fatalité à subir, et aux hommes de ce pays pas de fatalité à agir. Vous nous guiderez dans l'éducation de nos fils, car c'est par l'éducation que s'impulsera le changement", a ajouté Laure Chabaud, qui représente l'accusation avec le procureur Jean-François Mayet, appelant à "une prise de conscience collective, sociétale".