BFMTV
Procès

Bobigny: un juré condamné à 10 mois de sursis pour avoir révélé le verdict d'un procès sur Snapchat

Tribunal de Bobigny

Tribunal de Bobigny - GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Un homme était jugé à Bobigny pour avoir diffusé le verdict d'un procès sur Snapchat avant le délibéré. Deux hommes ont comparu à ses côtés, accusés d'avoir voulu influencer sa décision.

Une affaire "hors norme", qui a "suscité autant d’émoi", du "jamais-vu"… Depuis deux jours, les professionnels de la justice redoublent de qualificatifs pour évoquer le dossier jugé devant le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Un ancien juré comparaissait pour avoir divulgué le verdict du procès sur Snapchat avant le délibéré. Deux autres individus étaient jugés pour avoir intimidé celui-ci.

Torture sur fond de trafic de drogue

Les faits remontent à février 2019. Après deux longues semaines d’audience, la cour d'assises de Seine-Saint-Denis - composée de trois magistrats et six jurés citoyens tirés au sort - condamne deux hommes à des peines de 7 et 14 ans de prison et acquitte six personnes dans une affaire de tortures sur fond de trafic de drogue.

Dans la salle d'audience, un climat suspicieux s'installe. Beaucoup s'étonnent d'un jugement "relativement clément" mais surtout, on apprend que le verdict a déjà circulé "sous le manteau" sur le réseau social Snapchat, avant même que le jury ne rentre dans la salle pour rendre sa décision.

Une situation rarissime pour une juridiction française, qui pousse le président de la cour d'assises, Philippe Jean-Draeher, à alerter, dans une note interne, sa hiérarchie sur "la difficulté de juger les criminels en Seine-Saint-Denis". Un procès en appel en 2020 revient finalement sur la plupart des acquittements. Mais qu’importe, ces malversations sont venues "entacher la décision d’une cour d’assises", déplore ce mardi le substitut du procureur.

Des "commérages"

L’ex-juré, Joaquim D., 25 ans, a ainsi été renvoyé pour "violation du secret du délibéré". Deux "grands" de son quartier l’étaient eux pour un "acte d'intimidation commis envers un juré", passible de trois ans de prison. Ils ont en effet rencontré celui que l’on surnomme "le petit du 13", pendant plusieurs heures dans une voiture la veille du délibéré, et ce, alors qu’ils connaissaient plusieurs des accusés.

À la barre, l’ancien juré à la silhouette trapue reconnaît pleinement avoir partagé le verdict sur Snapchat:

"J'ai divulgué le résultat, j'ai envoyé un message bref sans penser aux conséquences." En dernier mot, il s’excuse pour "les dégâts" qu’il a "pu faire auprès de la justice", ajoutant qu’il était "prêt à réparer ses erreurs."

Les deux autres prévenus, Mohamed A. et Anthony F., de 11 et 12 ans ses aînés et déjà bien connus des autorités judiciaires assument d’avoir voulu prendre "la température du procès", "par commérage". Mais ils promettent qu’il n’y a pas eu de "démarche" dans leur tête. En clair, ils n’ont en aucun cas tenté d’influencer le verdict de leurs amis.

Interdiction des droits civiques

Pour le représentant du parquet, cette fuite a causé "un trouble à l’ordre public considérable".

"Cela donne l’impression que si vous êtes justiciable en Seine-Saint-Denis, vous n’êtes pas jugé comme un justiciable ordinaire", a déploré le magistrat, requérant 6 mois de prison avec sursis contre l’ancien juré, ainsi qu’une interdiction de droits civiques pendant 5 ans.

Concernant Mohamed A. et Anthony F., il ne fait aucun doute aux yeux du parquet qu’ils ont eu une "volonté de peser sur la cour." Une peine de deux ans ferme a été requise, ainsi que cinq ans d’interdiction de droits civiques.

La défense avait tour à tour enjoint le tribunal à "ne pas donner à cette affaire une ampleur qu’elle n’a pas", à ne pas faire "le procès de la justice en Seine-Saint-Denis". En milieu d’après-midi, les juges ont suivi les réquisitions en condamnant l’ancien juré à 10 mois avec sursis, accompagnés d'un stage de citoyenneté et d'une interdiction des droits civiques. Deux ans ferme et une interdiction de cinq ans d'exercer ses droits civiques (voter, se présenter à une élection...) ont été prononcés contre les deux autres prévenus.

Esther Paolini Journaliste BFMTV