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Procès

Au procès Sarkozy-Kadhafi, les familles "brisées" et "trahies" de l’attentat du DC-10

Un croquis de Nicolas Sarkozy lors du procès sur le financement libyen le 15 janvier 2025 (illustration)

Un croquis de Nicolas Sarkozy lors du procès sur le financement libyen le 15 janvier 2025 (illustration) - Benoit PEYRUCQ / AFP

Au neuvième jour du procès Sarkozy-Kadhafi, le tribunal judiciaire de Paris a entendu les témoignages bouleversants des proches des victimes de l’attentat du DC-10 de 1989, commandité par un proche du dictateur libyen.

Sur le banc des parties civiles, Maryvone Raveneau, visage doux, cheveux blancs et lunettes écaille sur le nez, triture une feuille entre les mains. Bientôt, ce sera à elle de parler à la barre dans cette salle d’audience comble, debout devant le pupitre à deux mètres à peine de l’ancien chef de l’État, Nicolas Sarkozy, assis ce jeudi 23 janvier sur les sièges réservés aux personnes jugées. L’exercice l’intimide fortement, mais son fils Christophe, assis à ses côtés, l’encourage.

L’époux de Maryvone s’appelait Georges Raveneau. Il était le commandant de bord et instructeur du vol UT-772, qui a explosé dans le ciel au-dessus du Niger le 19 septembre 1989, sur ordre du dictateur Kadhafi. Ce pilote d’avion, âgé de 40 ans, fait partie des 170 victimes de "l’attentat du DC10", parmi lesquelles 54 Français.

Un attentat commandité par un proche de Mouammar Kadhafi, Abdallah Senoussi. L’ancien chef des services secrets libyens a été condamné en 1999 en son absence à la perpétuité en France pour ces faits de terrorisme. Une peine qu’il n’a jamais purgée, et qui d’après l’instruction judiciaire, aurait été au cœur de tractations entre le clan Sarkozy et le clan Kadhafi: en contrepartie d’un versement d’argent libyen présumé aurait figuré la promesse de faire lever la condamnation d’Abdallah Senoussi, rencontré par Claude Guéant et Brice Hortefeux en Libye en 2007.

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Récits de vies brisées à la barre

Ce jeudi, au neuvième jour du procès, plusieurs proches des victimes de cet attentat sont venus déposer leur chagrin en tant que parties civiles. Des récits inattendus de vies brisées dans ces audiences parfois arides où il est question de corruption présumée et d’argent sale. "Douleur abyssale", "trahison", "la tente de Kadhafi plantée comme un poignard", des mots tranchants face aux visages impassibles de Claude Guéant, Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy, assis côte à côte.

Vient le tour de Maryvone Raveneau. Le jour de l’attentat, elle aussi aurait dû être à bord de cet avion, "mais il n’y avait personne pour garder mon grand, alors je suis restée", nous confie-t-elle, pointant du menton son fils Christophe, âgé de 12 ans à l’époque. Maryvone Raveneau s’avance, son texte à la main. "J’ai décidé de vous lire une lettre que j’ai envoyée au Président Nicolas Sarkozy. Elle a été réceptionnée le 25 juillet 2007. Je n’ai jamais reçu de réponse". Un blanc passe. Elle s’éclaircit la voix et entame sa lecture:

"Monsieur le Président,

le 27 juillet 2007, vous rencontrerez M. Kadhafi en Libye. Le 24 du même mois, il y a 35 ans jour pour jour, je rencontrais mon mari Georges Raveneau, assassiné sur ordre du dictateur Kadhafi le 19 septembre 1989. La vie vous fait parfois de douloureux clins d'œil.

Depuis, je lutte pour connaître le pourquoi de cet attentat, me heurtant sans cesse au mépris et aux mensonges des autorités françaises. (...) J’aurais été réconfortée si les autorités m’avaient aidée à tenir tête à ce terroriste. Ça n'a pas été le cas. J’en ressens une profonde amertume, un sentiment d’injustice, de totale impuissance, et de la colère.

Mais il me reste ce que nul ne pourra jamais m’enlever: la fierté d’avoir été l’épouse de Georges Raveneau et d’avoir en sa mémoire résisté à Kadhafi en me gardant le droit de me constituer partie civile si un nouveau procès devait avoir lieu en France. Il me reste ma dignité et celle des mes enfants, et aucun terroriste ne nous la prendra, jamais."

Pas un mot de Guéant et d’Hortefeux

Maryvone Raveneau vient se rasseoir, son fils lui succède à la barre. Elle replie sa feuille et la range dans son sac à main, souffle comme pour relâcher toute la tension qui l’habite. "Vous pensez qu’on sera entendus?", nous chuchote-t-elle. Par Claude Guéant et Brice Hortefeux, nul ne le sait. Interrogés dans la foulée par la présidente de l’audience, ils n’auront pas de mot particulier pour les onze parties civiles qui les ont précédés.

Nicolas Sarkozy, en revanche, tient à leur répondre. Voix emportée, mains qui enserrent le pupitre devant lui, l’ancien chef de l’État fait face. "Qu’il me soit permis, Mme la présidente, de dire les quatre mots qui me sont venus à l’esprit", commence-t-il.

"La dignité. De tous les témoignages. J’ai écouté chacun d’entre eux dans le détail, et j’aurais envie de leur répondre, mais ce n’est pas le lieu. La douleur. Je la respecte, je la comprends, et notamment M. Raveneau (fils de Maryvone, NDLR), qui a souligné qu’il avait l’âge de ma fille quand il a perdu son père. C’était bouleversant. La colère. Je l’ai entendue. Comment ne pas l’entendre, comment ne pas la comprendre? Et enfin le doute, présent dans ces auditions. Je suis ici pour y répondre."

Sarkozy: "Je ne les ai jamais trahis"

Costume bleu foncé, chemise blanche, l’ancien chef de l’État reprend son souffle, puis s’emporte. "Je peux dire à chacun de ceux qui ont témoigné aujourd’hui que je ne les ai jamais trahis. Jamais. Je n’ai jamais serré la main de M. Senoussi, je n’ai jamais mis leur sort en contrepartie d’un quelconque pacte. Jamais. À mon tour de leur dire, avec beaucoup de respect, qu’on ne répare pas une souffrance par une injustice. Si les bourreaux de leurs familles sont aujourd’hui morts ou en prison, c’est parce que la France a été à la tête d’une coalition qui a sauvé le peuple libyen du massacre."

L’audience se poursuit. Les familles des victimes de l’attentat du DC-10, qui n’avaient pas été entendues par le tribunal lors des trois jours de procès en 1999, auront au moins eu cette fois l’occasion d’avoir la parole, même au cœur d’un autre procès. Et pour reprendre les mots de la fille d’une des victimes, Yohanna Brette, ils auront été là "pour dire la colère et la solitude de ces morts qui sont tombés dans l’oubli".

Alexandra Gonzalez