Procès de l'enlèvement de Jacqueline Veyrac en 2016: qui en voulait à la riche héritière?

Jacqueline Veyrac a été enlevée devant son domicile à Nice le 24 octobre 2016 par trois hommes. - Valery Hache
"C'est Giuseppe qui a tout organisé, ça fait des mois qu'il m'a parlé de cette femme." Instigateur d'un enlèvement crapuleux? Bouc émissaire, comme lui le scande invariablement depuis le début de l'affaire? Giuseppe Serena, ancien gestionnaire du restaurant gastronomique niçois La Réserve, sera au centre des débats lors du procès qui s'ouvre ce lundi devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes pour l'enlèvement en 2016 de Jacqueline Veyrac, une riche héritière et figure de la Côte-d'Azur.
Le 24 octobre 2016, à midi, Jacqueline Veyrac, propriétaire du restaurant La Réserve et du Grand Hôtel à Cannes, est enlevée devant son domicile à Nice par deux hommes, visages masqués, puis poussée dans un utilitaire blanc conduit par un troisième malfaiteur.
La femme de 76 ans va passer 48 heures, ligotée, baillonnée, entravée, obligée d'uriner sur elle, avant que des riverains, intrigués, repèrent le véhicule stationné dans une zone pavillonaire sur les collines à l'ouest de Nice. La riche héritière est alors retrouvée saine et sauve dans ce véhicule volé. Les enquêteurs salueront sa résistance: à plusieurs reprises, la septuagénaire a réussi à se défaire de ses liens pour tenter de s'enfuir.
Contentieux financier
Alors que sa mère n'avait disparu que depuis deux heures, le fils de Jacqueline Veyrac, Gérard, a reçu un appel d'un homme, au fort accent anglais, lui demandant une rançon. Le mobile de l'enlèvement semble alors établi, d'autant que le fils de cette figure de la Côte-d'Azur évoque rapidement un contentieux entre sa mère et l'ancien gestionnaire de La Réserve, Giuseppe Serena.
Gérant jusqu'en 2019 de l'établissement prisé de Nice, l'Italien avait été évincé pour sa mauvaise gestion financière. Il avait alors perdu son emploi, ses revenus et son étoile au guide Michelin. L'affaire avait été portée devant la justice, et n'était toujours pas tranchée au moment de l'enlèvement de Jacqueline Veyrac.
Par ailleurs, Giuseppe Serena projettait d'acheter un restaurant en face de La Réserve, mais, quelques semaines avant l'enlèvement, il n'avait pas pu honorer son premier versement. Il avait alors jusqu'au 25 octobre pour payer, faute de quoi la promesse de vente était rompue.
Une "équipe structurée"
Plusieurs éléments vont mettre la police sur la piste de l'Italien, âgé de 64 ans au moment des faits. Outre cette temporalité intrigante entre le rapt et le besoin d'argent de Serena, iI y a les ADN de six hommes découverts à certains endroits du Renault Kangoo dans lequel a été retrouvé Jacqueline Veyrac ou sur des mégots découverts à proximité du véhicule.
Il y a aussi ces deux hommes, dont Ali Gueffaz, interpellés à proximité des lieux où la septuagénaire était séquestrée, cherchant à prendre la fuite à la vue des policiers. Ce dernier, qui nie toute implication, a été reconnu par un témoin comme le conducteur de l'utilitaire au moment de l'enlèvement.
Les enquêteurs ont également établi qu'Ali Gueffaz était en lien avec Salim Bousbia, lui-même proche de Giuseppe Serena, et qui l'aurait mis en contact avec des personnes du quartier des Moulins pour mener à bien ce projet crapuleux. Il était surtout l'un des propriétaires de l'une des trois lignes téléphoniques qui prenaient le relais des lignes personnelles de Serena, Bousbia et lui-même.
À ce trio, se rajoute, selon les juges, les autres exécutants qui ont participé à l'enlèvement de Jacqueline Veyrac et qui comparaissent, comme Ali Gueffaz pour "arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire d'otage pour obtenir l'exécution d'un ordre ou d'une condition, commis en bande organisée".
Pour monter et exécuter cet enlèvement, "Giuseppe Serena, instigateur du projet criminel, aurait mis en place une équipe structurée de plus d'une dizaine de personnes organisées en différents groupes, auxquels il aurait attribué des missions distinctes en vue de la préparation de l'enlèvement de la victime avec l'utilisation de lignes téléphoniques dédiées", écrivent les juges dans leur ordonnance de mise en accusation.
Des opérationnels et des exécutants
Car aux côtés des exécutants, ce sont les opérationnels qui sont également jugés par la cour d'assises, avec pour "déterminant commun" aux yeux des juges... Giuseppe Serena.
Au cours de l'enquête, des balises GPS ont été découvertes sur la voiture personnelle de Jacqueline Veyrac. Rapidement, elles ont permis de remonter jusqu'à Luc Goursolas, ancien paparazzi reconverti en détective privé. Ce dernier a expliqué avoir été mis en relation avec l'Italien par l'intermédiaire de Philip Dutton, un ancien militaire britannique. Il assure n'avoir compris le but de la pose de ces balises que le lendemain de l'enlèvement de Jacqueline Veyrac.
Philip Dutton, jusqu'alors veilleur de nuit dans un restaurant sur la promenade des Anglais, va lui rapidement se désigner comme le "chef opérationnel" de ce projet d'enlèvement, pour le compte, dit-il de Giuseppe Serena, qui lui avait demandé comment organiser et mettre en oeuvre un rapt.
L'Anglais affirmera également être l'auteur du coup de fil au fils de l'héritière à la demande de Serena, qui lui a fourni le numéro. Il évoque également lors de sa garde à vue en 2016 un projet d'enlèvement de Jacqueline Veyrac trois ans plus tôt. Une tentative qui avait alors échoué.
Le présumé instigateur nie toute implication
Celui que tous désignent comme l'instigateur de cet enlèvement dément farouchement et invariablement toute implication dans ce projet depuis le début de l'instruction. Là où les juges le voient comme le "donneur d'instructions" aux équipes qu'il avait pris "grand soin de compartimenter" et comme celui "ayant procédé à plusieurs actes matériels antérieurs à la tentative", comme le repérage du domicile de l'héritière, écrivent-ils, Giuseppe Serena dément depuis quatre ans.
"Aucun élément matériel ne permet de dire qu'il aurait été l'instigateur ou le mette en cause directement", affirme Me Corentin Delobel, l'avocat de Serena. "On fait dire à Luc Goursolas que mon client a demandé à ce qu'il pose des balises sur le véhicule de Jacqueline Veyrac, puis on se rend compte que Luc Gousolas a seulement été en contact avec Philip Dutton. On évoque une géolocalisation de mon client, mais la densité d'habitants à Nice est trop importante pour se baser sur ces données. Enfin, on fait référence à des lignes téléphoniques spécifiques mais il n'y a aucun élément précis et concret pour dire que mon client utilisait cette ligne, il n'y a aucune écoute de ces lignes."
Giuseppe Serena estime être "un bouc-émissaire" dans cette affaire, où, selon lui, le bénéfice du doute devrait lui profiter. "C'est le coupable idéal", poursuit Me Delobel. "Philip Dutton, par exemple, l'accuse, on en prend bonne note, mais quand on voit son casier judiciaire (10 mentions, dont une condamnation à 8 ans de prison pour viol, NDLR), on peut estimer que sa parole n'a pas plus, voire moins, de valeur que celle de mon client."
Jugé finalement pour "complicité" dans cette affaire d'enlèvement, car n'ayant pas participé physiquement au rapt, Giuseppe Serena, "impatient de comparaître", selon son avocat, veut "l'acquittement ou rien".