"Pendez les blancs": le procès de Nick Conrad, entre références culturelles et "réalité brutale"

Nick Conrad ce mercredi avant son procès devant le tribunal correctionnel de Paris. - Philippe Lopez - AFP
"Ce qui choque, c’est la scène, c’est le choc de l’image." Nick Conrad, un rappeur de 35 ans, n'a eu qu'un objectif ce mercredi après-midi devant la 17e chambre correctionnelle de Paris: celui de défendre sa liberté d'expression, estimant que son oeuvre n'aurait jamais dû être prise au pied de la lettre, qu'il s'agissait de faire comprendre ce que les populations noires ont pu endurer. Il était jugé pour sa chanson Pendez les Blancs, dont la teneur et le clip ultra violent ont suscité de vives réactions. "Je voulais inverser les choses de manière à ce que les gens se rendent compte que ça pouvait être choquant de voir des choses comme ça", a-t-il lancé face à la cour.
Veste de costume grise avec pochette blanche, pantalon noir, cravate noire sur une chemise blanche impeccable, l'image de Nick Conrad tranchait radicalement avec celle qui l'a fait connaître au grand public en septembre dernier, dans ce clip ultra-violent où un homme blanc est filmé à moitié nu, ligoté dans le coffre d'un véhicule, rampant au sol ou encore pendu au bout d'une corde, le t-shirt maculé de sang. "C'est comme le film Irréversible, avec Vincent Cassel et Monica Belucci, on retient juste la scène du viol parce qu'elle est réaliste", avance Nick Conrad, la voix ferme, se défendant d'avoir voulu appeler à commettre des violences sur les personnes blanches.
"Références culturelles"
Pendant plus de deux heures, l'homme de 35 ans n'a cessé de citer les références artistiques utilisées pour faire passer son message, à commencer par le film American History X et la scène d'ouverture ultra-violente, dans laquelle un jeune homme noir est tué par un suprématiste blanc. Il évoque aussi le long-métrage oscarisé Get out, ou encore le titre Strange Fruit de Billie Holyday. Toutes ont pour point commun la volonté de dénoncer les violences et le racisme subis par les personnes noires. "L’esclavage, c’est une histoire américaine mais c’est une histoire que je subis, tranche Nick Conrad. Ce clip est à la fois un espèce de synopsis de l’histoire de l’esclavage mais aussi une partie de mon histoire, avec le souci de créer un personnage."
"Ma couleur de peau, je sais que c'est un problème", lance-t-il, assurant avoir été la cible d'insultes et avoir revu ses ambitions professionnelles à la baisse. "J'étais major de promotion, j'ai postulé dans des hôtels de luxe et j'ai été obligé de m'inscrire dans des boîtes d'intérim..."
Assurant dénoncer le racisme comme "artiste" mais pas comme "militant", Nick Conrad estime qu'il y a "tellement d'éléments qui sont gros pour être" dans son clip Pendez les Blancs. Pourtant, le procureur a noté l'absence de "distanciation" dans cette vidéo, diffusée pendant le procès, imposant un silence lourd dans la salle. "Il y a un ancrage dans le réel qui se retrouve dans des scènes historiques qui ont existé. L'image est au soutien de la violence. Vous n‘avez pas de gens habillés comme au 19e siècle, il y a quelque chose de transposé à une époque contemporaine", estime le représentant du parquet.
"Il y a une réalité brutale qui peut être comprise comme une provocation à commettre des crimes ou des délits", pointe-t-il.
Relations avec Dieudonné
Le procureur de la République a balayé la question de savoir si la liberté d'expression se posait ou non dans ce procès, en raison de la qualité de Nick Conrad, rappeur confidentiel, connu uniquement pour ce morceau sulfureux. "J’ai compris son ressenti, mais j’attendais aujourd'hui autre chose de Monsieur. Je n’ai pas tout compris de ce qu’il nous expliquait, je n’ai pas compris ce qu’il voulait qu’on comprenne de son message. Quelques fois l’œuvre échappe à son auteur, et c’est peut-être ce qui est arrivé", a détaillé le représentant du parquet, avant de requérir une amende de 5.000 euros avec sursis.
Une vision qui tranche avec celle des parties civiles, qui ont vu dans ce clip du "racisme anti-blanc" et un appel à commettre des crimes. Ils en veulent pour preuve les autres paroles de certains morceaux de Nick Conrad, qui a publié son premier album en 2008. Et ce malgré le fait que l'enquête des services de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne n'ait pas relevé de contenus racistes anti-blancs sur la page Youtube ou Twitter du rappeur. Mais un message va lui valoir toutes les critiques: celui dans lequel il remercie Dieudonné d'avoir partagé sa vidéo.
"Monsieur Conrad dit qu'il ne connait pas les idées de M. Dieudonné? Je n'y crois pas du tout. M. M'bala M'bala est la figure incarnée du racisme", tranche Me Scemama qui défend la Licra, parlant alors de "connexions extrêmement dérangeantes".
La décision a été mise en délibérée, le jugement sera rendu le 19 mars.