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Panthéonisation de Robert Badinter: qui était Hamida Djandoubi, le dernier condamné à mort guillotiné en France?

Hamida Djandoubi a son procès en février 1977.

Hamida Djandoubi a son procès en février 1977. - AFP

Le 10 septembre 1977, Hamida Djandoubi meurt exécuté à la prison des Baumettes de Marseille. Il a été condamné à mort pour "assassinat après tortures et barbarie, viol et violences avec préméditation". Il est le dernier condamné à mort exécuté sur le territoire national.

Une cigarette, puis deux. Il n'y en aura pas de troisième. Le 10 septembre 1997, Hamida Djandoubi meurt guillotiné dans la cour de la prison des Baumettes à Marseille sans que son dernier souhait ne soit exaucé: une dernière cigarette avant la peine capitale.

En ce jour de panthéonisation de Robert Badinter, qui fit de l'abolition de la peine de mort le combat de sa vie, BFMTV revient sur l'histoire de Hamida Djandoubi: le dernier condamné à mort exécuté en France.

Jambe amputée

Né à Tunis en 1949, Hamida Djandoubi quitte son pays natal à l'âge de 19 ans, pour rejoindre la France. Et c'est sans un sou qu'il arrive à Marseille, en 1968, pour suivre des études de droit.

"Il n'avait aucun soutien, ni financier ni familial", explique à BFMTV Jean-Yves Le Naour, historien et auteur de Le dernier guillotiné, publié chez First. "Il dort chez un épicier en échange de services dans le magasin."

Hamida Djandoubi passe le reste de son temps dans les amphithéâtres à Aix-en-Provence, la tête plongée dans les règles de droit. Ces mêmes textes qui le conduiront à l'échafaud quelques années plus tard. Mais rapidement, la réalité rattrape le jeune homme. Hamida Djandoubi est dépassé. "Il n'a pas le niveau. Il arrête très vite ses études", explique Jean-Yves Le Naour.

Le jeune homme enchaîne alors les petits boulots. Il devient ouvrier agricole et semble se plaire dans ce nouvel environnement jusqu'à ce jour d'octobre 1971. Un accident de motoculteur le change à tout jamais. Sa jambe est broyée et amputée. Sa joie de vivre aussi.

"Hamida Djandoubi profite véritablement de la vie entre le moment où il arrive en France et cet accident. Toutes les femmes qui l'ont connu disent qu'il était beau. Il y avait quelque chose chez lui et il avait quantité de bonne fortune amoureuse", détaille Jean-Yves Le Naour. "C'était un petit gamin qui profitait de la vie. Tout ça, pour lui, c'était un peu le paradis."

Mais après son accident, ce grand habitué des sorties nocturnes ne s'amuse plus. Son physique ne suit plus. "Lui qui s'est construit grâce à son physique se met à changer de comportement vis-à-vis des femmes. Ce n'est plus le beau séducteur, mais quelqu'un qui les torture."

À l'hôpital, où il suit sa rééducation, Hamida Djandoubi rencontre Élisabeth Bousquet, 18 ans. Elle est la fille de son compagnon de chambrée. Dans cet environnement aseptisé, le charme de Hamida Djandoubi opère sur la jeune femme. Elle devient rapidement sa petite amie. Et c'est aussi rapidement, qu'Élisabeth Bousquet est faite prisonnière. Sa vie se transforme en véritable calvaire.

Torture, viol et mort

"Hamida Djandoubi a une idée fixe. Il veut vivre sans travailler, et pour ça, il décide de prostituer des jeunes femmes." Un soir de 1973, Élisabeth Bousquet est forcée d'avoir des rapports sexuels tarifés avec des hommes. Elle porte plainte. Il jure de se venger: "si je te revois, je te tue".

Un an plus tard, alors qu'il la recroise par hasard, Hamida Djandoubi, qui vit désormais avec deux autres jeunes femmes qu'il prostitue, met ses menaces à exécution. Le 3 juillet 1974, il séquestre Élisabeth Bousquet. "C'est le début d'une après-midi de torture", expose l'historien qui a écrit sur cette affaire.

"Il lui écrase des cigarettes sur les seins, le pubis, les bras. Il lui donne des coups de ceinture et lui renverse même de l'essence sur la cuisse avant d'y mettre le feu." Élisabeth Bousquet est aussi violée en présence des deux autres adolescentes.

Hamida Djandoubi transporte ensuite la jeune femme, qui a perdu connaissance, dans un cabanon à une dizaine de kilomètres de Marseille. Il l'étrangle à l'aide d'un foulard. "Élisabeth Bousquet meurt et son corps ne sera retrouvé que quelques jours plus tard par le plus grand des hasards."

La police ne privilégie aucune piste, et lance un appel à témoins. Pendant ce temps-là, Hamida Djandoubi, lui, poursuit son activité de proxénète. "Il tente de séduire une adolescente de 15 ans qu'il séquestre, viole et torture", détaille Jean-Yves Le Naour.

Cette jeune fille s'appelle Houria. Alors en fugue après avoir fui le foyer où elle vit, la jeune fille fait la rencontre de deux adolescentes qui lui proposent de l'héberger. Houria est alors séquestrée, violée et torturée pendant un long mois par Hamida Djandoubi.

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Mais les mécanismes de l'emprise ne prennent pas sur la jeune adolescente: elle parvient à s'échapper et se rend au commissariat du Prado pour dénoncer son agresseur.

Dans un épisode du podcast "L'instant où…", Houria est revenue auprès de Dominique Rizet sur ce moment. "J'ai dit au commissaire que j'avais été enlevée et séquestrée", raconte-t-elle. "Et pour qu'il prenne la chose au sérieux, je lui ai dit qu'il avait tué une jeune femme."

Hamida Djandoubi le lui avait dit quand elle était retenue chez lui. "Il m'avait menacée de mort et il m'avait expliqué en détail ce qu'il avait fait à Élisabeth Bousquet", expose Houria. "Les tortures, le cabanon et il m'a expliqué comment il l'avait étranglée."

Le commissaire de police ordonne à Houria, alors âgée de 15 ans, de les conduire au domicile de Hamida Djandoubi. Il sera interpellé dans son appartement et reconnaîtra les faits.

Grâce présidentielle refusée

Le procès de Hamida Djandoubi s'ouvre en février 1977 dans une France où le débat sur l'abolition de la peine de mort est à son paroxysme. La même année, à quelques semaines d'intervalle, Patrick Henry évite la guillotine grâce à la plaidoirie de Robert Badinter. Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre d'un enfant de sept ans.

Hamida Djandoubi, 28 ans, n'y échappera pas. Le 25 février 1977, le Tunisien est condamné à mort pour "assassinat après tortures et barbarie, viol et violences avec préméditation." La peine capitale.

À l'énoncé du verdict, "il n'a pas crié, il a blêmi puis son visage s'est fermé comme si la vie s'était déjà retirée de lui", confie Jean-Yves Le Naour. Son frère, lui, est pris d'un malaise. Ses avocats, dont Me Jean Goudareau qui n'est pas pénaliste et qui se dit partisan de la peine de mort, tentent le tout pour le tout et espèrent la grâce présidentielle.

"Je savais que la peine de mort devait être abrogée à la rentrée parlementaire. Et je me disais: 'on va pas me le faire condamner à mort, me le faire exécuter'", rapportait Me Jean Goudareau, avocat de Hamida Djandoubi, en 2006 à France 3. Valéry Giscard d'Estaing la leur refuse. L'exécution est fixée au lendemain.

Un bruit sourd puis du sang

Le 10 septembre 1977, Hamida Djandoubi est réveillé à l'aube. Le condamné à mort s'avance difficilement dans la cour de la prison de Baumettes. Au sol, des couvertures sont installées pour étouffer les derniers pas du dernier guillotiné. L'assistance qui doit assister à son exécution est déjà là.

Monique Mabelly, doyenne des juges d'instruction de la ville, est commise d'office pour assister à l'exécution et consigner par écrit ce qu'elle voit.

Selon son récit, Hamida Djandoubi, les mains entravées derrière le dos par des menottes, s'avance dans la cour. Il s'assoit sur une chaise et se voit tendre une cigarette par un gardien. "Il commence à fumer sans dire un mot (...) Il fume, et se plaint tout de suite que ses menottes sont trop serrées. Un gardien s'approche et tente de les desserrer. Il se plaint encore", écrit Monique Mabelly.

Les menottes lui sont finalement retirées. "Vous voyez, vous êtes libre", lance un gardien. Hamida Djandoubi a droit à une deuxième cigarette qu'il fume lentement, chaque bouffée le rapprochant un peu plus de la mort.

On lui propose un verre de rhum qu'il boit par petites gorgées. Il échange avec ses avocats pour gagner ne serait-ce que quelques minutes. Il le sait, sa vie ne tient plus qu'à ce petit verre d'alcool. "Un imam est également présent, mais il n'est pas dans la religion, il le repousse", explique Jean-Yves Le Naour.

Hamida Djandoubi réclame une troisième cigarette, mais il se heurte au refus du bourreau et de l'avocat général. "Ça sera la dernière", insiste le condamné. Cette dernière cigarette lui sera refusée. Hamida Djandoubi boit son ultime gorgée de rhum, et remet son verre au gardien. Sa chemise est découpée.

"Les gardiens ouvrent une porte dans le couloir. La guillotine apparaît face à la porte", écrit Monique Mabelly. "J'entends un bruit sourd. Je me retourne, du sang, beaucoup de sang, du sang très rouge", écrit-elle. Hamida Djandoubi est mort guillotiné à 4h40.

Dans cette prison encore endormie, "un gardien prend un tuyau d'arrosage. Il faut vite effacer les traces du crime...", consigne la doyenne des juges d'instruction de la ville.

Robert Badinter n'effacera jamais Hamida Djandoubi des mémoires. Le 17 septembre 1981, lors de son discours historique pour l'abolition de la peine de mort devant l'Assemblée nationale, il citera les trois condamnés à mort sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, se demandant si "la sécurité de nos concitoyens se trouverait de quelque façon compromise" si "ces trois hommes se trouvaient dans les prisons françaises"?

Hamida Djandoubi était "un unijambiste" qui "quelle que soit l'horreur, et le terme n'est pas trop fort, de ses crimes, présentait tous les signes d'un déséquilibré", dira Robert Badinter. Un homme "qu'on a emporté sur l'échafaud après lui avoir enlevé sa prothèse".

Charlotte Lesage