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Meurtre de Lola: est-il vrai que 80 à 90% des OQTF ne sont pas exécutées?

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Une partie de la droite et de l'extrême-droite affirme que 9 obligations de quitter le territoire sur 10 ne sont pas appliquées. Ces chiffres correspondent aux estimations de l'Intérieur et s'expliquent pour des raisons juridiques, diplomatiques et pratiques.

De 80 à 90% des obligations de quitter le territoire (OQTF) non appliquées en France? C'est ce qu'affirme et déplore une partie de la droite et de l'extrême-droite, en pleine affaire Lola, petite fille de 12 ans retrouvée morte dans une malle la semaine dernière. Ressortissante algérienne, Dahbia B., la principale suspecte, faisait l'objet d'une OQTF depuis le mois d'août.

"Cent fois, Madame la Première ministre, nous vous avons interpellé sur ces obligations de quitter le territoire dont 90% ne sont pas exécutées", affirme cette semaine Marine Le Pen à l'Assemblée nationale.

"Les chiffres de votre administration sont implacables: 80% des OQTF ne sont toujours pas exécutées en France", clame encore le député LR Éric Pauget.

14.565 sorties du territoire en 2022

Ces élus disent-ils vrais? Oui, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur. Seulement 20% des personnes visées par cette mesure ont dans les faits été expulsées de France, soit 80% de non départs, pour les 9 premiers mois de l'année 2022.

Cette année, on compte ainsi 14.565 sorties du territoire, tandis que le chiffre s'élevait à 12.000 personnes l'année précédente à la même époque.

Sur l'ensemble du premier quinquennat d'Emmanuel Macron (2017-2022), le taux de non application des OQTF monte à 90%, l'épidémie de Covid-19 jouant de façon importante sur ce taux.

Des décisions peu appliquées

Au-delà des chiffres, la réalité peut cependant s'avérer plus nuancée, selon une avocate spécialiste du droit des étrangers.

"Il y a des bases de données qui donnent 1 OQTF sur 5, mais en ce qui me concerne, ce n'est pas du tout ce que j'observe. En dix ans de carrière, je n'ai pas un client qui a été éloigné suite à une OQTF", affirme Me Vanessa Edberg à BFMTV.

"Les données consolidées sur les éloignements effectifs sont très difficilement accessibles", estime-t-elle.

De nombreuses mesures non exécutables

Pourquoi les OQTF sont-elles si faiblement appliquées? Un rapport François-Noël Buffet du Sénat du 10 mai 2022 estime que l'Hexagone produit un très grand nombre de mesures d'éloignement dont certaines ne sont même pas exécutables. Par exemple, lorsqu'une OQTF concerne un Afghan ou un Ukrainien aujourd'hui, elle n'est pas exécutée.

"12% des mesures d'éloignements sont suspendues par le juge administratif", indique à BFMTV Tania Racho, docteure en droite européen, membre des associations de fact-checking "Les Surligneurs" et "Désinfox Migrations".

Des décisions qui s'expliquent pour plusieurs raisons: "la personne a une vie familiale encrée en France et donc (appliquer une OQTF) serait violer son droit à une vie familiale et une vie privée ou alors elle risque la torture dans son pays d'origine".

Des raisons plus "pragmatiques" peuvent aussi expliquer les nombreuses suspensions d'OQTF. "Ce n'est pas possible d'organiser des vols vers l'Afghanistan actuellement", explique l'avocate.

Des obstacles diplomatiques

Autre difficulté: certains pays qui ne veulent plus accueillir un ressortissant. "Il faut qu'on ait des éléments d'état civil, le pays d'origine et l'acceptation à titre diplomatique de ce pays", explique Camille Chaize, porte-parole du ministère de l'Intérieur.

En clair, il faut un "laissez-passer consulaire". Mais il n'est pas toujours évident à obtenir dans le cas où la France n'entretient pas de bonnes relations diplomatiques avec ce pays.

C'est notamment le cas avec la Mauritanie, qui n'accepte que 11% des demandes de laissez-passer consulaire. Les chiffres varient énormément dans le cas du Maroc ou de l'Algérie en fonction de leurs rapports, changeants, avec la France.

Des contraintes pratiques

Par ailleurs, il n'est pas toujours évident d'appliquer une OQTF lorsqu'une personne est introuvable. "On ne suit pas la personne à la trace pendant le délai de départ volontaire", justifie Me Tania Racho.

D'autant que le manque de moyens pèse sur la capacité à appliquer ces mesures d'expulsion. "On a 100.000 OQTF par an et un peu moins de 2000 places dans les centres de rétention", rappelle Me Dylan Slama, avocat au barreau de Paris.

Il dénonce par ailleurs des OQTF données de façon "illégales" car faites "à la chaîne, sans prendre le temps de regarder dans le détail la situation" de la personne concernée et qui doivent ensuite être annulées.

Pour améliorer le suivi des personnes en situation irrégulière, le fichier Entrée-Sortie en zone Schengen (EES) doit voir le jour en mai 2023. Il prévoit l'enclenchement d'une alerte dès que la date limite d'un titre de séjour est dépassée.

Céline Pitelet et J.D.