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Police-Justice

L'avocat de sept Français retenus en Syrie saisit la CEDH pour bloquer leur transfert vers l'Irak

Des proches de jihadistes de Daesh dans le camp d'Aïn Issa, dans le nord de la Syrie, le 26 septembre 2019

Des proches de jihadistes de Daesh dans le camp d'Aïn Issa, dans le nord de la Syrie, le 26 septembre 2019 - Delil SOULEIMAN / AFP

Jean-Yves le Drian veut transférer les familles de jihadistes françaises retenues en Syrie vers l'Irak, qui pratique encore la peine de mort. Une violation du droit international, dénonce auprès de BFMTV.com maître Nabil Boudi, à l'origine de la requête.

Il ne capitule pas. Après avoir déposé plainte contre la France auprès la Commission européenne pour exiger le rapatriement de sa nièce (2 ans) et de son neveu (3 ans), Amine Elbahi annonce à BFMTV.com ce mardi avoir saisi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) afin de bloquer leur transferts, et celui de leur mère, en Irak. Il est représenté par maître Nabil Boudi, qui s'occupe également de six autres ressortissants français retenus en Syrie.

Vers une "coopération judiciaire" entre Paris et Bagdad?

Cette nouvelle offensive juridique intervient après le déplacement, la semaine dernière, de Jean-Yves le Drian à Bagdad pour obtenir l'extradition et le jugement en Irak, des ressortissants français actuellement en Syrie.

Avec son homologue irakien Mohammed Ali al-Hakim, il a convenu "d'étudier ensemble une coopération judiciaire, mais aussi technique, pénitentiaire, humanitaire" pour tous "les jihadistes français qui ont combattu sur le sol irakien et qui de cette manière sont devenus justiciables du point de vue de l'Irak", avait annoncé le ministre des Affaires étrangères.

Si ces négociations aboutissent, la petite sœur d'Amine Elbahi et ses deux enfants, retenus dans le camp d'Al-Hol au nord-est de la Syrie, seront envoyés dans les geôles irakiennes. Déjà condamnée par défaut à Paris à 30 ans de réclusion pour association de malfaiteurs terroristes criminelle, elle devrait actuellement être incarcérée dans une prison française.

"Il suffit que la France exécute le mandat d'arrêt international qui a été délivré à son encontre", s'impatiente le Roubaisien.

Peine de mort par procuration

Dans le cas où la justice irakienne décide de la poursuivre - ce qui va à l'encontre du droit français selon lequel on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits -, les enfants pourraient passer plusieurs années derrière les barreaux, en attendant le procès. La loi irakienne les autorise à rester avec leur mère en détention jusqu'à 6 ans. "S'ils reviennent après cet âge, ce sera trop tard", s'inquiète leur oncle.

"Dans un État aussi instable que l'Irak", les Français transférés "risquent la torture en détention" et la peine de mort", abonde Me Nabil Boudi auprès de BFMTV.com, avant de rappeler le sort des onze Français exécutés entre mai et juin dernier. L'avocat a donc déposé cette requête en urgence devant la CEDH, dans laquelle il déclare: "Nous ne pouvons aujourd'hui que déplorer le manque d'anticipation dont a fait preuve le gouvernement français", puis poursuit en sollicitant:

"L'intervention de la Cour auprès du gouvernement français" qui aurait "dû savoir que la vie d'une ou plusieurs personne(s) était menacée de manière réelle et immédiate" et dénonce "un rétablissement public de la peine de mort, par procuration." 

En août, la rapporteure spéciale de l'ONU Agnès Callamard faisait part des mêmes inquiétudes, jugeant que la France, en encourageant ces transferts, "bafouaient les droits de l'homme et les conventions internationales."

L'ombre de la police féminine de Daesh 

Le juge d'instruction David De Pas, coordonnateur du pôle antiterroriste au tribunal de Paris a mis en garde les autorités françaises du "risque de sécurité publique" qu'engendre le non-rapatriement des jihadistes sur le territoire français. "On risque de repartir sur un cycle infernal", a-t-il prévenu.

Dans leurs derniers échanges, la soeur d'Amine Elbahi évoque la présence d'une police féminine de Daesh dans le camp d'Al-Hol. La rumeur court d'une évasion prochaine organisée par l'organisation terroriste. Elle décrit des "survoles d'avions de chasse" et de "drones", sans toutefois être en mesure de dire s'il s'agit de l'armée turque, puis dépeint des "nuits rythmées par des cris, des voitures à toute allure, parfois des tirs." 

Et le ralliement à l'organisation terroriste n'est pas le seul scénario envisagé. Les Kurdes peuvent aussi abandonner les combattants étrangers au régime de Damas, avec lequel ils viennent de signer un accord de principe. Les ressortissants français serviraient alors de monnaie d'échange pour Bachar al-Assad. "C'est notre plus grosse crainte", souffle Me Boudi.

Esther Paolini