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Le portrait de Lola Daviet, 12 ans, tuée à Paris le 14 octobre 2022.

Photo par AMAURY CORNU / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP

"Pourquoi lui a-t-elle imposé de telles atrocités?" Le calvaire de Lola Daviet, 12 ans, au cœur du procès de Dahbia Benkired

Ce vendredi 17 octobre s'ouvre à Paris le procès de Dahbia Benkired pour le meurtre et le viol avec actes de torture et de barbarie de Lola Daviet, en 2022. La petite fille de 12 avait subi un calvaire dans un immeuble du 19ème arrondissement de Paris, avant que son corps ne soit placé dans une malle. Récit.

14 octobre 2022. Il est près de 17 heures, Carime B. traîne dans les environs du bar-tabac Le Rallye, rue Manin dans le 19ème arrondissement de Paris, lorsqu’une jeune femme l’interpelle. Elle transporte deux valises, une noire et une rose, ainsi qu’une grosse malle qu’elle peine à déplacer. Elle lui demande s’il peut lui donner un coup de main avec ses affaires, jusqu’à la bouche de métro la plus proche. Il lui fait remarquer qu’il lui faudrait plutôt une voiture pour transporter tout son fourbi jusque dans les Hauts-de-Seine, où elle dit vouloir se rendre. Il tente de joindre un ami chauffeur, en vain.

Qu’importe, la jeune femme est passée à autre chose. Elle lui raconte maintenant qu’elle a des choses à lui vendre. Mais impossible d’en parler ici, sur le trottoir. Carime B. lui propose donc de le suivre au Rallye pour en discuter autour d'un café. Il l’aide à traîner ses valises et la caisse, qui pèse très lourd, jusque dans l’établissement.

Les deux s’attablent à l’intérieur. Carime B. sent que le contenu de la malle est louche, il pense à des objets volés. Il demande à deux reprises ce qu’elle renferme. Souriante, la jeune femme l’invite à regarder par lui-même.

Il se penche vers la caisse à moitié ouverte, dont l’intérieur est recouvert par une couette qu’il soulève. Une odeur d’eau de javel lui saute à la figure. Sous la couverture, un drap. Il tâte pour comprendre ce qu’il recouvre: quelque chose de mou, "comme une épaule". Ses yeux se posent à nouveau sur le drap: est-ce une tache de sang, là?

Carime B. se lève précipitamment et demande à la jeune femme s’il s’agit d’un cadavre. Son interlocutrice sourit toujours. Elle vend un rein, lui répond-elle. Il trouve un prétexte, dit qu’il va lui chercher un chauffeur pour la conduire dans les Hauts-de-Seine. Il sort du bar-tabac, passe des coups de fil à son frère et à ses amis, visiblement déboussolé. Personne ne le prend au sérieux.

Quelques minutes plus tard, il voit la femme dans la rue en train de charger ses valises et la malle dans un camion, puis s’en faire débarquer. Il assiste un instant plus tard à l’arrivée d’une autre voiture, une Dacia grise, dont le conducteur récupère la caisse, les deux valises et la passagère. Il prend discrètement en photo le véhicule, puis décide de s’en aller.

Le soir, une fois rentré chez lui, Carime B. apprend sur les réseaux sociaux qu’une petite fille a disparu dans le 19ème arrondissement de Paris, sur les coups de 15h. Il fait le lien entre son étrange rencontre de l’après-midi et cette disparition, et se résout à descendre dans la rue pour confier ce dont il a été témoin aux policiers présents aux abords du 119 rue Manin.

Un corps dans une malle

C’est là que Lola Daviet, 12 ans, vit avec ses frères et ses parents. Ces derniers, concierges de l’immeuble, s’attendaient à voir leur fille rentrer ce vendredi 14 octobre un peu après 15 heures, à la sortie du collège. Pourtant, vers 16h30, la petite fille blonde n’a toujours pas passé le seuil de leur appartement.

Sa mère, Delphine Daviet, se rend à l’école, mais la directrice est formelle, Lola a bien quitté le collège à 15 heures. Johan Daviet, le père, de son côté, visionne les bandes des caméras de vidéosurveillance de l’immeuble et ce qu’il voit le surprend: sa fille est bien entrée dans l’immeuble à 15h11, accompagnée d’une jeune femme, mais n’en ressort jamais.

Peu après 18 heures, Delphine et Johan Daviet contactent le commissariat et alertent sur la disparition de Lola. Des policiers se rendent sur place et visionnent les images de vidéosurveillance à leur tour. Ils constatent effectivement que la fillette entre avec la jeune femme, puis cette dernière ressort du bâtiment seule cette fois-ci, 1h37 plus tard. Elle traîne derrière elle deux valises et une lourde malle opaque.

Une enquête pour "disparition inquiétante" est ouverte et confiée à la Brigade de protection des mineurs vers 21 heures.

Deux heures et demie plus tard, un homme se manifeste auprès des autorités. Sans domicile fixe, il baragouine qu’il a trouvé une caisse au niveau du 40 rue d’Hautpoul, l’autre entrée du 119 rue Manin. Un policier finit par le suivre et découvre l’impensable: le corps mutilé de la petite fille, les poignets et les pieds entravés par d’épais bouts de scotch. Son visage, lui aussi, est scotché de part en part. Sous son pied gauche, le chiffre 0 est inscrit au vernis, à même la peau, tout comme le chiffre 1 sous son pied droit.

Dahbia Benkired, 24 ans

L’enquête s’accélère. Il s’agit à présent d’identifier la jeune femme entrée dans l’immeuble en même temps que la fillette, à 15h11, et ressortie du bâtiment avec la fameuse malle, vers 17 heures. Les parents de Lola, malgré leur fonction de gardiens, assurent ne pas la connaître.

Interrogée, une voisine explique cependant avoir assisté à une discussion entre les deux, devant l’entrée de l’immeuble, côté jardin. La femme, décrite comme d’origine maghrébine, semblait insister de manière agitée pour que la petite fille lui ouvre la porte. Un autre voisin dit avoir croisé Lola Daviet avec l’inconnue dans l’immeuble et confie aux policiers avoir trouvé la fillette moins à l’aise que d’habitude.

En recoupant les témoignages et les résultats de l’enquête de voisinage, les enquêteurs parviennent enfin à identifier la suspecte comme Dahbia Benkired, âgée de 24 ans. Originaire d’Algérie, la jeune femme est arrivée en France en 2016 pour y rejoindre sa mère, qui décède en 2020. N’ayant pas renouvelé son titre de séjour, la jeune femme était depuis quelques mois logée chez sa sœur, Friha, au 119 rue Manin.

En pleine nuit, les enquêteurs s’activent. Ils travaillent sur la ligne téléphonique de Dahbia Benkired, et parviennent finalement à la géolocaliser à Asnières-sur-Seine, où elle semble s’être réfugiée chez une connaissance. Le 15 octobre au matin, la jeune femme est interpellée et placée en garde à vue, soupçonnée du meurtre de la petite fille de 12 ans.

"Je l'ai scotchée, tuée, et puis voilà"

Face aux policiers, Dahbia Benkired n’est au départ pas très bavarde. Non, elle ne sait pas ce que renfermait la caisse, les faits dont on lui parle lui sont inconnus. Il faudra d’autres auditions pour que la suspecte finisse par admettre son implication.

"Je lui ai demandé de me suivre, de me passer le pass et de m’accompagner dans l’ascenseur. Et puis je l’ai ramenée avec moi, je l’ai scotchée, je l’ai tuée, et puis voilà", prononce-t-elle.

En recroisant les quelques informations données par la mise en cause et les éléments recueillis pendant l'enquête, les policiers parviennent à reconstituer le déroulé des faits. Sans réellement expliquer ses gestes, Dahbia Benkired relate avoir forcé Lola à l’accompagner dans l’appartement de sa sœur, au 6ème étage. S’ensuit une série d’actes d’une cruauté sans nom, constitutifs de viol et de tortures, suivi du meurtre par asphyxie de la petite fille, à l’aide du scotch placé sur l’ensemble de son visage.

Dahbia Benkired dépose ensuite le corps dans la caisse opaque, inscrit les chiffres 0 et 1 sous les pieds de la victime au vernis, verse de l’eau de javel à l’intérieur pour couvrir l’odeur avant de nettoyer la scène de crime. Elle descend dans la rue avec la malle et deux valises, contenant entre autres les affaires de Lola.

C’est à ce moment-là qu’elle croise Carime B., lui dit vouloir "vendre un rein", puis cherche en vain un chauffeur. Elle finit par appeler un ami, Rachid N., qui accepte de venir la chercher puis l’amène chez lui, à Asnières-sur-Seine, avec ses bagages. Mis en examen pendant un temps pour "recel de cadavre", ce dernier n’aura de cesse, durant l’enquête, de dire qu’il n’a jamais su ce qui se trouvait dans la caisse. Un non-lieu sera finalement prononcé à l'encontre de Rachid N.

Vers 22 heures, Dahbia Benkired change d’avis, veut retourner chez sa sœur, à Paris. Son ami lui commande un VTC et la laisse partir avec sa malle et ses valises. A son arrivée dans le 19ème arrondissement au 40 rue d’Hautpoul, sa sœur, qui l’attend en bas de l’immeuble découvre la malle avec effroi et lui ordonne d’aller parler aux policiers. La suspecte fait tout le contraire et s’enfuit, abandonnant derrière caisse et valises. Elle part se réfugier chez un autre ami, où son téléphone borne, permettant aux autorités de l’interpeller le lendemain des faits.

Rites et discours mystiques

Les policiers disposent dès lors du déroulé des faits. Mais pourquoi ce déferlement de violences? A ce sujet, Benkired n’apportera jamais de réelles explications, si ce n’est qu’elle déclare avoir souhaité "prendre son plaisir" avant de tuer la petite fille. Elle dit aussi avoir nourri un vague ressentiment envers la mère de la victime qui, peu de temps avant, aurait refusé de lui fournir un badge d’accès à l’immeuble. Pourtant, reconnaît-elle, elle n’a jamais croisé Lola avant ce vendredi 14 octobre.

Lors de ses auditions, son discours semble décousu, bourré d’incohérences et de contradictions. Une fois, elle dit n’avoir pas été sous l’influence de substances lorsqu’elle a commis le meurtre. Plus tard, elle racontera avoir été empoisonnée la veille et avoir agi sous l’emprise de cette drogue. Les analyses toxicologiques révèleront seulement la présence de cannabis dans son organisme au moment des faits.

Ses recherches internet vont, elles, intéresser les enquêteurs. Dans son historique récent, des requêtes telles que "serpents dans les rêves" ou "sacrifice humain pour devenir riche" interpellent. Selon ses proches, Dahbia Benkired tenait depuis plusieurs mois des discours baignant dans le mysticisme, la sorcellerie et la paranoïa.

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Lors d’une discussion entre amis dans un restaurant à Pornic (Loire-Atlantique) à l’été 2022, elle mentionne notamment l’existence d’enfants, appelés "Zouhris" au Maroc et en Algérie. Selon elle, ces mineurs sont enlevés et tués dans le cadre de rites occultes afin de retrouver "des trésors enfouis".

En se penchant davantage sur le sujet, les enquêteurs constateront que les chiffres 0 et 1 ont une place centrale lors de ces cérémonies de magie noire évoquées par la suspecte. Pourtant, interrogée à ce sujet, Dahbia Benkired nie avoir un jour abordé le sort des enfants "Zouhris" avec des amis. Alors que plusieurs convives maintiennent le contraire, elle l’assure: lors de cette soirée entre amis, elle n’a fait que jouer au baby-foot.

"Ça ne me fait ni chaud ni froid"

Sur son passé, également, la mise en cause est peu prolixe. A partir des rares informations qu’elle accepte de livrer et de celles fournies par ses sœurs, les policiers comprennent qu'elle a grandi dans un climat de violences, en Algérie, entourée de femmes de sa famille se prostituant, son père battant sa mère. Elle aurait également subi un viol dans son enfance, mais refuse de s’étendre plus à ce sujet.

Selon sa sœur Friha, c’est à la disparition de leur mère, morte fin 2020 d’un cancer foudroyant, que Dahbia Benkired aurait commencé à vriller, changeant d’humeur très rapidement, développant une paranoïa importante. Une expertise psychiatrique réalisée l’année suivant son arrestation, en 2023, conclura qu’elle semble évoluer dans un "univers évoquant cauchemars et maléfices".

En garde à vue, confrontée aux photographies du corps meurtri de Lola, la jeune femme prononce ces mots, glaçants à plus d’un titre: "ça ne me fait ni chaud ni froid. Moi aussi, je me suis fait violer et j’ai vu mes parents mourir devant moi".

En détention, les surveillants pénitentiaires font remonter qu’elle est violente envers elle-même. En 2023, elle est donc internée dans une Unité pour malades difficiles (UMD), et ne retourne en établissement pénitentiaire qu’au début de l’année 2024.

Pas d'altération ni d'abolition du discernement

Si son état mental a pu interroger, les psychiatres et psychologues qui l'ont expertisée pendant la phase d'instruction sont formels: son discernement au moment des faits ne semblait ni altéré, ni aboli. De fait, Dahbia Benkired comparaît devant une cour d’assises dès ce vendredi, jugée pour meurtre et viol sur mineure de moins de 15 ans, avec actes de torture ou de barbarie.

Sur les enjeux de ce procès, prévu pour durer une semaine, les différentes parties s’accordent à dire qu’elles attendent de connaître le mobile du passage à l’acte de l’accusée. "Cette compréhension, indispensable aux parties civiles pour qu’elles puissent faire leur deuil, participe également à ce qu’une décision de justice soit rendue de façon efficiente", nous indiquent Mes Alexandre Valois et Lucile Bertier, avocats de Dahbia Benkired.

"Ça n’est qu’en redonnant sa place à ce temps judiciaire que l’on pourra savoir ce qu’il s’est réellement passé, évitant ainsi de tomber dans l’écueil d’un procès expéditif", poursuit la défense.

"Pourquoi l’a-t-elle choisie, pourquoi lui a-t-elle imposé de telles atrocités?", questionne de son côté Me Mathias Darmon, avocat de l’association Innocence en danger, qui s’est constituée partie civile dans le dossier. "Il y a des interrogations sur le motif, la motivation de passer à un tel acte de cruauté et de barbarie."

En l’absence de détails sur le parcours de l’accusée, avec une enquête de personnalité "à trous", les parties civiles attendent également beaucoup des débats pour en apprendre davantage sur Dahbia Benkired; "On espère que ce sera plus clair dans son esprit, pour que ce le soit aussi dans le nôtre. Espérons qu’elle a effectué un cheminement et qu’elle va nous apporter des réponses plus cohérentes et structurées", insiste Me Darmon.

Les débats, qui s'ouvrent quasiment trois ans jour pour jour après les faits, se dérouleront en l’absence du père de Lola, Johan Daviet, mort brutalement dans le courant de l’année 2024. Un nouveau drame pour cette famille, désormais en quête de réponses.

Elisa Fernandez avec Charlotte Lesage