"J'étais un punching-ball": un maire raconte sa violente agression

Les statistiques, en provenance du ministère de l'Intérieur, sont connues depuis mars mais l'attaque au couteau d'un adjoint au maire d'Ivry-sur-Seine vendredi soir les fait resurgir dans l'actualité. En 2020, 1276 agressions contre des élus ont été dénombrées, dont 500 physiques. Un chiffre qui a triplé en deux ans, et grimpé de 200% en douze mois.
"Il faut que j'arrête"
Philippe Bécheau est le maire de Saint-Philippe d'Aiguille, en Gironde. En août 2020, il a interrompu une partie de pétanque pour demander à ses participants de baisser le volume sonore de la musique qu'ils écoutaient en jouant.
Le bruit empêchait en effet des enfants de dormir. Mais il a du faire face à un déchaînement de violence, comme il l'a raconté ce mardi matin sur BFMTV: "J’ai été un punching-ball. J’ai été agressé par un jeune, à terre, coups de poing, coups de pied au visage."
Le maire de ce village - qui compte moins de 400 habitants selon l'INSEE - tient à souligner que ses agresseurs venaient "de l'extérieur" et que les choses "se passent toujours bien" dans la localité. Pour autant, l'événement l'a bouleversé: "La nuit qui a suivi l’agression, je me suis posé des questions. 'Pourquoi? Il faut que j’arrête, c’est pas la peine'".
Jean Wechsler, adjoint au maire d'Ostwald, dans le Bas-Rhin, en charge de la sécurité, a vécu un épisode similaire en 2021.
"La personne m’a demandé de ne pas photographier sa voiture. Et c’est là que l’agression a eu lieu. (…) Un bon coup de tête", s'est-il souvenu, notant: "J’étais complètement sonné. J’ai constaté que je saignais abondamment. J’ai demandé à mon épouse d’appeler le 17, ce qu’elle n’a pas pu faire car elle était traumatisée, donc c’est moi qui ai dû le faire."
Une formation spécifique
Si Jean Wechsler a eu le réflexe d'appeler les forces de l'ordre, le geste n'est pas si répandu parmi les élus. D'après un document rédigé par la Commission des Lois du Sénat en 2019, seuls 37% des élus agressés ont saisi la justice.
"Je prône effectivement le dialogue. Jusqu’à présent quand il y avait un conflit, j’y allais tout de suite car il ne faut pas laisser ça se larver. Aujourd’hui, on va plutôt appeler la gendarmerie, ce que je n’avais pas fait il y a un an", concède d'ailleurs Philippe Bécheau.
La gendarmerie cherche par conséquent à agir en amont. Certains de ses membres, formés par le GIGN, proposent depuis 2020 une formation spécifique pour réduire ces tensions.
"Il faut savoir faire preuve d’empathie, d’écoute active, de façon à ce que la pression descende et qu’un dialogue s’instaure", a expliqué l'un de ces formateurs à BFMTV. Apparemment convaincue, l'Association des Maires de France (AMF) demande aujourd'hui l'extension du programme au personnel d'accueil des mairies.
"Monsieur et madame Tout-le-Monde"
Mais d'où vient la menace? Quelle situation est plus susceptible de voir un individu s'en prendre à un conseiller municipal, à un maire, ou à tout autre porteur d'écharpe tricolore?
Aux boulistes de Philippe Bécheau, au conducteur irrascible de Jean Wechster, Alexandre Touzet, de l'AMF, ajoute "des personnes qui réagissent à un refus de permis de construire, ou à un refus d’aide sociale". "Les auteurs de ces violences peuvent être ‘Monsieur’ et ’Madame Tout-le-Monde’. C’est le plus préoccupant", explique-t-il.
"Pourquoi? Est-ce que c’est parce qu’on est l’autorité?", s'interroge tout haut Philippe Bécheau, qui remarque: "Il n’y a pas que nous qui sommes agressés, les gendarmes aussi, les policiers, et il y a quelques jours une enseignante".
Si l'élu n'a pas de réponse définitive, c'est pour trouver des "solutions à ces faits intolérables à (son) petit niveau" qu'il a choisi de poursuivre l'exercice de ses fonctions. Il suggère pour sa part un retour au service national: "J’ai fait mon service national et ce service national faisait qu’on avait une photo de tout le monde. Et on avait l’autorité en face de nous. Les petits caïds ne faisaient pas les malins devant les sous-officiers ou les officiers".
"Ça permettait de connaître ceux qui avaient des problèmes sociaux, ne savaient pas lire, pas écrire, on faisait passer le permis de conduire. Et cette photo on ne l’a plus", regrette-t-il.
