"J'étais devenu une marionnette": la victime du chantage à la sextape de Saint-Étienne raconte son calvaire au procès

"J'étais devenu une marionnette": l'ancien Premier adjoint du maire de Saint-Etienne a témoigné vendredi du "cauchemar" qu'il a traversé depuis le jour où il a été filmé à son insu avec un prostitué, jusqu'à cette semaine au procès de ses maîtres-chanteurs.
Depuis lundi, le maire de Saint-Etienne Gaël Perdriau et trois anciens membres de son entourage - son ex-directeur de cabinet, un ancien adjoint et l'ex-compagnon de celui-ci - sont jugés à Lyon pour chantage, accusés d'avoir utilisé cette sextape pour contraindre Gilles Artigues à mettre en sourdine ses velléités d'indépendance.
Vendredi, ce dernier a décidé de témoigner devant le tribunal pour dénoncer l'"enfer" d'un "chantage vécu d'abord dans le silence" mais aussi parce qu'il n'a pas apprécié qu'on "le salisse encore" dans cette enceinte.
"Comme si j'avais mérité ce qui m'est arrivé"
"On a dit de moi que j'étais un homophobe, un prédateur sexuel, un traître...", rappelle Gilles Artigues avec une émotion contenue. "C'est comme si j'avais mérité ce qui m'est arrivé."
Dès le premier jour, l'ex-député centriste de 60 ans a vu son intimité exposée quand le tribunal a diffusé à huis clos un montage vidéo le montrant avec un escort-boy dans une chambre d'hôtel en janvier 2015.
"C'était très dur, ça m'a replongé dans l'atmosphère du bureau du maire", relate-t-il, en se tenant droit face aux juges, dos à sa famille.
Alors oui, "ce massage érotique, je pense que je l'ai voulu", admet ce catholique qui s'était publiquement opposé au mariage homosexuel et dirige aujourd'hui l'enseignement diocésain à Albi. Evoquant un "moment d'égarement" motivé par la "curiosité", il assure avoir immédiatement été "très honteux"
"Malaise"
Alors quand, en 2016, l'adjoint à l'Education Samy Kéfi-Jérôme, qui a posé la caméra cachée, lui montre la sextape et exige plusieurs renoncements: "J'ai eu envie de passer sous un tramway", confie Gilles Artigues.
A l'époque, il ne pense pas que le complot implique d'autres personnes.
En décembre 2016, il décide de s'en ouvrir au maire Gaël Perdriau. "J'attends de lui, un mot, une aide, quelque chose et je n'ai rien (...), ça créé un malaise et je me dis 's'il était dans le coup ?'"
Ses doutes sont levés en novembre 2017. Après un conseil de majorité houleux, lors duquel le Premier adjoint affiche publiquement un désaccord politique avec le maire, ce dernier le prend à part, assure Gilles Artigues. "Il m'a dit 'ce que tu as fait, jamais tu ne le referas, sinon je diffuse les images que tu sais'".
Après un "terrible moment de solitude", il décide d'enregistrer ses échanges avec le maire pour que sa famille ait des "preuves" si jamais il décidait de se suicider.
Dans un de ces enregistrements, Gaël Perdriau déclare avoir "une clé USB" avec des images embarrassantes et menace de les dévoiler "en petits cercles".
"Les cimetières"
A partir de là, "j'étais paralysé, je ne faisais plus rien" à la mairie, "j'étais comme une marionnette, on me posait là et je souriais", décrit Gilles Artigues.
La présidente du tribunal Brigitte Vernay lui demande s'il s'est éteint par "honte" ou parce qu'on lui a demandé de le faire - il faut qu'il y ait une demande de contrepartie pour que le chantage soit qualifié sur le plan juridique et le maire nie avoir exigé quoi que ce soit de son Premier adjoint.
Gilles Artigues assure qu'il a accepté, sous la menace du maire, de ne choisir que quatre candidats sur la liste des municipales de 2020, alors qu'un accord entre eux prévoyait qu'il puisse en désigner 15. "Vous croyez que sans cette menace j'aurais accepté?", interroge-t-il.
De même on lui a retiré des délégations sans qu'il conteste. "On m'a laissé les cimetières, la blague courait que c'est parce que j'étais mort."
A la maison, il n'est guère plus vivant, témoigne son épouse Mireille Artigues. "J'ai eu l'impression de voir mon mari se noyer et de ne pouvoir rien faire."
Le tribunal doit désormais entendre les avocats et la procureure jusqu'à mardi et mettra sans doute sa décision en délibéré. Gaël Perdriau encourt dix ans de prison et une peine d'inéligibilité.