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Le maire de Saint-Étienne, Gaël Perdriau, à l'ouverture de son procès pour chantage à la sextape, le 22 septembre 2025.

MATTHIEU DELATY / Hans Lucas /

Une sextape et des années de chantage: ouverture du procès du maire de Saint-Étienne, confronté à des "preuves accablantes"

Le maire de Saint-Étienne, Gaël Perdriau, est au coeur d'un procès qui s'ouvre ce lundi 22 septembre à Lyon. Il est accusé avec plusieurs complices, d'avoir organisé un chantage à la sextape contre son premier adjoint, Gilles Artigues. Retour sur cette affaire politico-judiciaire dans laquelle le maire clame toujours son innocence.

Un rival gênant, un escort boy et des soupçons de détournement de fonds... Cela aurait pu être le point de départ d'un scénario d'un film noir. Pourtant, ce sont les éléments principaux d'un scandale politique bien réel qui empoisonne la ville de Saint-Étienne et qui se retrouve face à la justice.

Pour couper les ambitions politiques à son premier adjoint, Gilles Artigues (Modem), le maire Gaël Perdriau (ex-Les Républicains) et son entourage sont accusés de l'avoir fait chanter avec une vidéo filmée à son insu le montrant en train de se faire masser par escort boy. Un plan machiavélique pour lequel Gaël Perdriau est jugé avec sept autres personnes ce lundi 22 septembre à Lyon.

L'édile comparaît devant le tribunal correctionnel pour "chantage, soustraction, détournement de fonds publics par un dépositaire de l'autorité publique et participation à une association de malfaiteurs". Un jugement qui sonne peut-être la fin d'un feuilleton judiciaire et politique inédit en France.

Une alliance pour conquérir la mairie

Cette affaire prend racine dans le microcosme politique de Saint-Etienne. En 2014, les Stéphanois sont invités à élire leur maire dans une élection municipale qui s'annonce serrée. L'édile socialiste sortant, Maurice Vincent, réussit à rallier derrière lui les principaux partis de gauche et est annoncé gagnant.

Pour gagner la mairie, le candidat UMP, Gaël Perdriau, est contraint de pactiser avec les centristes de l'UDI et du MoDem en créant une liste commune. À cette époque, le parti fondé par François Bayrou compte dans ses rangs Gilles Artigues, poids lourd de la vie politique de la Loire et ancien candidat à la mairie de Saint-Etienne en 2008.

Demanche pirate le 3216 : Chantage au sextape à Saint-Etienne - 08/09
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Pour se garantir le soutien des centristes, Gaël Perdriau promet un poste bien placé dans l'organigramme de la municipalité à l'ancien candidat. Une promesse qui sera tenue. En 2014, le prétendant de droite remporte l'élection et nomme Gilles Artigues comme premier adjoint.

À cette époque, le nouveau maire a le vent en poupe. Grâce à son poste d'édile, il est l'une des figures émergentes des LR. Lors de la réélection d'Emmanuel Macron, son nom est même un temps évoqué parmi les personnalités potentiellement ministrables. Sur le plan local, son alliance avec le centre semble tenir et la vie politique stéphanoise est en façade loin des scandales. Dans les coulisses, la réalité est moins reluisante.

"Un 'barbouzage' de mœurs"

À peine en place à la tête de Saint-Etienne, l'entourage du nouveau maire craint que Gilles Artigues ne veuille à un moment s'émanciper de la majorité municipale pour retenter sa chance à la course à la mairie. Une cohabitation entre deux hommes dans une même majorité que Gaël Perdriau veut dominer.

Dans la garde rapprochée du maire, des réunions s'organisent pour trouver un moyen de contrôler politiquement Gilles Artigues. Parmi les têtes pensantes désignées par l'accusation, se trouvent l'ex-directeur de cabinet du maire, Pierre Gauttieri, son ancien adjoint à l'Éducation, Samy Kefi-Jérôme, et l'ex-compagnon de ce dernier, Gilles Rossary-Lenglet.

"Pierre Gauttieri m'a convoqué à la mairie. Dès le premier rendez-vous, je leur ai dit que cela serait un 'barbouzage' de mœurs", concédait auprès de Mediapart, Gille Rossary-Lenglet. L'idée d'un chantage à la "sextape gay" est alors choisie.

Un angle d'attaque qui ne doit rien au hasard. Sur la scène politique nationale et locale, Gilles Artigues n'a jamais caché ses valeurs traditionnelles et conservatrices. Une pensée notamment illustrée en 2013, lorsqu'il décide de s'opposer au mariage pour tous en raison de ses convictions religieuses.

Une machination bien huilée

Lentement, le piège commence à se refermer sur Gilles Artigues qui ne se doute de rien alors qu'en coulisses, le couple Kefi-Jérôme-Rossary-Lenglet, s'active dans l'ombre. Fin 2014, Gilles Artigues et Samy Kéfi-Jérôme se rendent à une réunion à Paris. Pour ce déplacement, les deux hommes logent dans le même hôtel.

"Il s'est rendu dans une chambre dans laquelle il a trouvé Samy Kéfi-Jérôme accompagné d'une 'connaissance'. Ils se sont mis à boire et discuter", relate auprès de BFMTV, Maître André Buffard, l'avocat de Gilles Artigues.

Une connaissance qui s'avère être un escort boy recruté en amont par l'adjoint à l'éducation. Ce dernier finit par quitter la pièce dans laquelle sont dissimulées des petites caméras, les laissant seuls. Des appareils que Gilles Rossary-Lenglet a récupérés auprès d'une secrétaire de mairie.

Une fois Samy Kéfi-Jérôme parti, le travailleur du sexe, qui n'est pas au courant du piège, prodigue au premier adjoint un massage à caractère sexuel. Les images captées, sont montées par Gilles Rossary-Lenglet. Un montage qu'il remettra à son compagnon Samy Kefi-Jérôme.

"Si vous dites du mal sur les homos et qu'on vous voit batifoler avec un escort gay, il va de soi que là vous tenez une mise à mort politique sur la personne", déclarait au Parisien, Gilles Rossary-Lenglet.

Retrouvé par Mediapart, l’escort confirme la scène, se disant aujourd’hui "attristé" d’avoir pu être utilisé ainsi pour un chantage.

"Le chantage a marché"

À la fin de l'année 2016, le piège se referme définitivement sur Gilles Artigues. Samy Kefy-Jérôme le convoque chez lui et lui montre un montage de deux minutes mélangeant des images captées dans la chambre d’hôtel avec des éléments biographiques de Gilles Artigues faisant allusion à son engagement catholique.

"Il fallait trouver un moyen de le tenir. Le chantage a marché. Gilles Artigue a eu peur que ça soit dévoilé et que son honneur soit détruit", explique à BFMTV, Me André Buffard, l'avocat de la victime.

Face à cette situation, le premier adjoint décide d'alerter le maire qui nie être au courant de ces images. Le temps passe, mais le chantage ne disparaît pas.

"C’est une exécution"

En 2017, Gilles Artigues exprime un léger désaccord avec le maire lors d'une réunion. Une fois la salle vidée, le directeur de cabinet du maire, Pierre Gauttieri, actionne le Kompromat, mais l'ancien député centriste enregistre discrètement.

Dans les extraits diffusés par Mediapart, le directeur de cabinet menace Gilles Artigues de propager la vidéo auprès des parents d’élèves des établissements où sont scolarisés ses enfants, ajoutant: "Si le fait que j’aille en taule vous fait tomber parce que vous passez pour une vieille pédale sur le retour, je n’en ai aucun problème".

"Il y a d'autres moyens de faire, on n'est pas obligé de diffuser publiquement", en évoquant une diffusion "en petits cercles, avec parcimonie", complète Gaël Perdriau. "Une fois que c’est sur les réseaux, c’est plus du chantage. C’est une exécution", avertit l'édile.

Durant 6 ans, la vidéo a été utilisée pour priver de toute ambition politique de l'ancien député centriste.

Un tremblement de terre local, un scandale national

Le chantage prend fin lorsqu'en août 2022, Mediapart dévoile dans ses colonnes la machination et les enregistrements. À Saint-Étienne, c'est la déflagration. Ces révélations laissent les Stéphanois pantois et l'indignation est unanimement partagée. De son côté, Gilles Artigues sort du silence et décide finalement de porter plainte pour "guet-apens en bande organisée".

"Pour lui, les articles de Mediapart ont été la fin du calvaire. Cela lui a permis d'enfin se libérer de cette chape de plomb qui pesait sur lui", relate auprès de BFMTV, Maître André Buffard, l'avocat de Gilles Artigues.

Le 2 septembre, le parquet de Lyon ouvre une information judiciaire des chefs "d'atteinte à l'intimité de la vie privée, chantage aggravé, soustraction de bien public par une personne chargée d'une fonction publique, abus de confiance et recel de ces infractions" dans le cadre de cette affaire.

Rapidement, Gaël Perdriau clame son innocence et dit ne pas être au courant de cette affaire. Dans son propre camp, les soutiens s'amenuisent au fur et à mesure que les révélations sur le traquenard s'accumulent et que les chefs d'accusation s'aggravent.

Il finit par être exclu des LR et plusieurs membres de sa propre majorité municipale lui demandent de quitter son poste de maire. Malgré cela, Gaël Perdriau y reste accroché, mais consent tout de même à se mettre en retrait de son poste de président de Saint-Étienne Métropole.

En plus de Gilles Rossary-Langlais, qui témoigne auprès de journal d'investigation, sa garde rapprochée l'accuse désormais directement.

Devant les juges d’instruction, l’ancien adjoint, Samy Kéfi-Jérôme, désigne Gaël Perdriau comme l'un des commanditaires de l'opération. En janvier 2024, son ex-directeur de cabinet, Pierre Gauttieri, déclare aux magistrats que c'est bien le maire de Saint-Étienne qui a décidé de piéger son premier adjoint.

Lâché par deux de ses plus proches collaborateurs, l'édile est maintenant isolé et sa défense se fissure. Pourtant, Gaël Perdriau n'est pas encore au bout de ses peines.

Une affaire avec un volet financier

Gaël Perdriau se voit lesté de nouvelles mises en examen pour "détournement de fonds publics" et "association de malfaiteurs". Pour rémunérer les auteurs de la sextape, l'édile est accusé d'avoir utilisé des subventions municipales d'un montant total estimé à 40.000 euros.

Deux couples à la tête d'associations stéphanoises soupçonnées d'avoir servi à rémunérer les auteurs de la sextape en échange de prestations fictives financées par la mairie sont jugés pour "abus de confiance".

Un aspect financier qui finit d'isoler le maire, désormais lâché par ses derniers fidèles de sa majorité municipale. Dans les groupes politiques stéphanois, plusieurs discussions ont lieu pour essayer de provoquer des élections municipales anticipées et renverser Gaël Perdriau, mais sans succès.

Neuf élus de la majorité ont certes quitté la majorité en juin 2024, mais ils n’ont pas souhaité s’associer à l’opposition de gauche dans sa volonté d’organiser une démission collective du Conseil municipal, seul moyen de provoquer un nouveau scrutin.

"Les preuves sont accablantes"

Pour Gilles Artigues, l'arrivée de ce procès est attendue avec impatience. "C'est un homme soulagé que la justice le prenne en compte comme une victime", déclare auprès de BFMTV, Maître André Buffard, l'avocat de l'ancien Premier adjoint. "Il continue néanmoins de faire l'objet de dénigrements de la part de l'entourage de Gaël Perdriau. Il y a des relents homophobes dans cette affaire", souligne-t-il.

Concernant l'issue du jugement et sur la question de la culpabilité du maire, l'avocat de Gilles Artigues n'a pas de doute.

"J'ai rarement vu un dossier avec autant de preuves accablantes. On sait qu'il a encouragé le chantage et qu'il en a profité", assure Maître Buffard.

"Tous les accusés assument leurs actes sauf le maire", assène-t-il.

Pourtant, Gaël Perdriau se présente au procès avec un objectif: être innocenté. "Nous sommes dans un état d'esprit combatif, Monsieur Perdriau a à cœur de se défendre et de faire émerger la vérité", déclare Maître Luciani. "On va en venir à la réalité des faits et on va se rendre compte que c'est un dossier complexe avec des personnalités complexes", ajoute le conseil auprès de BFMTV.

Gaël Perdriau "convaincu de son innocence"

Au fur et à mesure de l'instruction, Gaël Perdriau a fait progressivement évoluer sa défense en fonction des découvertes de l'enquête. Dans un premier temps "étranger" à cette histoire, l'édile indique désormais être victime d'un complot, en concédant avoir entendu parler de cette sextape.

"S'il n'était pas convaincu de son innocence, il ne serait pas resté maire. En quittant son poste, il aurait donné raison à ses détracteurs", assure auprès de BFMTV, Maître Luciani, l'un des avocats de l'édile.

Directement mis en cause par Pierre Gauttieri, Samy Kefi-Jérôme, et Gilles Rossary-Lenglet, eux aussi jugés ce 22 septembre, la défense du maire nie frontalement leurs témoignages.

"Gaël Perdriau a bien conscience que l'ensemble de ses accusateurs ont des raisons de l'accuser", cingle son avocat. "Dans ce dossier, il y a une volonté d'écrire une histoire", abonde-t-il.

Concernant les enregistrements diffusés où Gaël Perdriau menace de diffuser la sextape, son avocat plaide pour "le coup de colère". "Il n'en pouvait plus cela faisait des mois qu'il entendait parler de cette rumeur. Il est étranger à ce complot", assure ce dernier. "La fin de cet enregistrement a été coupée", ajoute-t-il.

Interrogé par BFMTV sur la mise en examen de Gaël Perdriau pour détournement de fonds publics et associations de malfaiteurs, son avocat estime que ces informations judiciaires ont été faites pour "alourdir le fardeau des charges". Reste désormais à savoir si cette stratégie résiste aux éléments de l'accusation.

2026 dans les esprits

Si Gaël Perdriau souhaite être absolument relaxé ce qu'il n'a pas exclu de se représenter aux élections municipales de 2026. Durant l'instruction, les avocats de l'édile ont multiplié les demandes d'actes auprès des juges. Une stratégie visant à gagner du temps pour que le procès se tienne après le scrutin électoral afin d'éviter de se présenter devant les urnes, lesté d'une possible condamnation. Un plan qui s'est avéré être un échec.

Dans la préfecture de la Loire, les forces politiques et les Stéphanois aspirent désormais au retour au calme après plusieurs années à être secoués par ce scandale. Sept partis politiques UDI, LR, Renaissance, Horizons, Modem, Parti radical, Parti radical de gauche ont annoncé une union politique inédite pour les élections municipales 2026 afin de tourner définitivement la page Perdriau.

Sylvain Allemand avec Théophile Magoria