Infanticide annoncé sur les réseaux sociaux: "sidération et incompréhension" après le meurtre d’Emma, 13 ans

Le tribunal d'Angers - JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
Un dernier hommage à Emma. Six jours après qu'une adolescente de 13 ans a été retrouvée sans vie vendredi, tuée par son père à Murs-Erigné, près d'Angers (Maine-et-Loire), les obsèques se déroulent ce jeudi 15 mai.
"Je t’aimerai toujours, tu es ma seule et unique fille, je ne t’oublierai jamais, on se retrouvera un jour en haut. (...) Tu voulais vivre, toi", a écrit sa mère, qui était séparée du père, dans une publication sur Facebook.
Vendredi 9 mai dernier, la mère d'Emma avait reçu un appel du collège lui indiquant que l'adolescente n'était pas présente en cours. Tentant en vain de contacter sa fille, puis son ex-compagnon, elle découvre l'inquiétant message que ce dernier a posté sur ses réseaux sociaux: "Ce mercredi 7 mai 2025, je me suis donné la mort après avoir commis un infanticide en la personne de ma fille", a écrit Philippe C.
La mère de l'adolescente donne l'alerte et la jeune fille est effectivement retrouvée morte au domicile de son père à Mûrs-Erigné, commune située à 15 kilomètres au sud d'Angers. Selon le parquet, ce dernier se trouve à proximité, "en vie bien qu'ayant visiblement absorbé des médicaments". Immédiatement interpellé, l'homme n'a passé que quelques heures en garde à vue avant d'être hospitalisé sous contrainte. Il n'a depuis pas pu être entendu par les enquêteurs.
Harcèlement et menaces de mort
Concernant le profil de cet individu de 42 ans, le procureur d'Angers, Eric Bouillard, indique qu'il avait la garde alternée de sa fille depuis sa séparation avec son ex-compagne, en 2018. Le parquet ajoute que Philippe C. était déjà connu des services judiciaires sur des faits très différents.
L'homme a notamment fait appel après avoir été condamné à 10 mois de réclusion avec sursis probatoire, jugé en mars dernier pour "harcèlement" et "menaces de mort" à l'encontre de la Chambre des notaires. L'homme s'était en effet lancé dans un combat contre cet organisme et la profession.
Tout commence en 2021, année durant laquelle Philippe C. fait l'acquisition d'une maison. Quelques temps après son achat, il déclare que son bien présente des malfaçons et décide de porter plainte. S'engage alors une véritable lutte contre le notaire qui lui a fait signer l'acte de vente et qu'il accuse de lui avoir caché les vices de la maison, mais aussi contre la Chambre des notaires.
Combat contre les notaires
Philippe C. médiatise son combat, à la manière d'un lanceur d'alerte, ouvre un site internet pour documenter son affaire et crée ce qu'il appelle l'"Observatoire du notariat en France". "Journaliste malgré lui", comme il se décrit, il lance même une revue consacrée à "l'actualité immobilière, notariale et judiciaire".
"Il assumait totalement ce qu'il faisait. Il avait une revendication très forte qu'il rendait publique. Il ne se cachait pas du tout", explique Me Patrick Descamps auprès de BFMTV.com.
L'avocat l'a défendu lors de son procès pour "menaces de mort" et "harcèlement", en mars dernier, après que des notaires ont porté plainte. "Il était virulent dans ses propos, il avait un exutoire public. Mais il s'adressait toujours à la justice, il disait d'ailleurs qu'elle (la justice, NDLR) était son obsession. Je ne pensais pas qu'il aurait un geste aussi extrême", commente encore l'avocat.
"Je suis beaucoup moins dangereux en verbalisant plutôt que de garder tout pour moi et de passer à l’acte. C’est mon exutoire", expliquait-il à la barre du tribunal d'Angers, comme le relatait le Courrier de l'Ouest.
"Sidération et incompréhension"
Car si le combat de Philippe C. contre les notaires était bien connu, jamais ses avocats ne se seraient imaginés qu'il puisse s'en prendre à sa famille. "C'est quelqu'un d'un bon niveau d'instruction, qui s'exprime bien. Quelqu'un avec qui on échange facilement", relate Me Patrick Descamps. "Il n'a jamais été question de problèmes avec sa fille", ni de tendances suicidaires.
Même son de cloche du côté de Me Patrice Hugel, qui représente Philippe C. au civil, sur le volet des vices cachés de sa maison. Auprès de BFMTV.com, ce dernier parle d'un dossier "tout à fait classique", qui suivait son cours et ne soulevait pas de difficultés particulières. "J'avais un contact très normal avec lui", explique-t-il, précisant n'intervenir ni sur la vie privée, ni sur la psychologie de ses clients.
Les deux avocats disent avoir été "sidérés" par la nouvelle du meurtre de la jeune fille. "Je l'ai pris en pleine face. Ça nous a heurtés, évidemment. C'est terrible, nous sommes dans l'incompréhension et la sidération", réagit Me Hugel. "C'est dramatique, épouvantable. Infiniment triste", abonde Me Descamps.
En amont du procès pour "harcèlement" et "menaces de mort" en mars, ce dernier avait demandé à ce que son client fasse l'objet d'une expertise psychiatrique. Le diagnostic est tombé peu après: selon les conclusions de l'expert, Philippe C. est atteint de "quérulence", ce que l'Académie de médecine décrit comme une "tendance pathologique à orienter tous les actes de sa vie vers la réparation d'un préjudice que la personne estime avoir subi".
Un ouvrage "post-mortem" dédié à sa fille
Juste avant de passer à l'acte, Philippe C. a publié sur son site internet un "ouvrage post-mortem", un document de 230 pages intitulé Les notaires m'ont tué. La justice leur a fourni les armes que BFMTV.com a pu consulter.
Dédiant son texte notamment à sa fille, l'homme y raconte encore son combat contre le notariat, ce "colosse aux pieds d'argile", et fait le récit des 48 heures qu'il a passées en garde à vue pour les menaces à l'encontre des notaires.
Me Bertrand Salquain, l'avocat l'ayant assisté pour le dépôt de plainte contre le notaire qui lui a fait signer l'acte de vente, raconte que Philippe C. lui avait présenté une première version de ce livre avant de le publier en ligne. Dans ce premier jet, il faisait le récit de son suicide imaginaire en garde à vue. "Je lui ai conseillé de s'en tenir aux faits" et de supprimer ce passage inventé.
"J'ai repensé à cette conversation, rétrospectivement. C'est comme si ce geste (sa tentative de suicide, NDLR) était la conclusion de son livre", explique l'avocat à BFMTV.com, qui dit s'être "refait le film" et admet être peut-être passé à côté de certains signes.
"Ça devenait obsessionnel. Il a visiblement été dépassé par ses démons, cette torture qui était la sienne", commente encore Me Bertrand Salquain.
L'inhumation prévue ce jeudi
Pour l'heure, le parquet d'Angers confirme seulement qu'Emma est morte à la suite de "l'action d'un tiers", mais ne souhaite pas communiquer plus précisément sur les causes du décès. Auprès de Ouest-France, sa mère dresse le portrait d'une jeune fille "pétillante et solaire" et qui "aimait ses deux parents". Elle indique qu'elle-même s'entendait très bien avec son ex-conjoint.
"J’étais loin d’imaginer un tel drame, perdre un enfant c’est horrible, dans ces conditions c’est encore pire", a-t-elle confié à nos confrères.
Une cérémonie religieuse doit se tenir ce jeudi après-midi, à 15 heures, à l'église de Juigné-sur-Loire, avant l'inhumation.