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Police-Justice

"Ils ont laissé faire ces empoisonnements": la colère des familles des victimes présumées de Frédéric Péchier

Frédéric Péchier à la cour d'assises du Doubs, à Besançon, le 8 septembre 2025

Frédéric Péchier à la cour d'assises du Doubs, à Besançon, le 8 septembre 2025 - SEBASTIEN BOZON © 2019 AFP

Les familles des victimes présumées de Frédéric Péchier ont dénoncé des lenteurs administratives et un manque de vigilance face aux empoisonnements inexpliqués survenus dans la clinique Saint-Vincent de Besançon, ce jeudi 16 octobre devant la cour d'assises du Doubs.

En dix ans, la clinique Saint-Vincent de Besançon a enregistré 27 des 30 empoisonnements présumés de patients dont est accusé l'ex-anesthésiste Frédéric Péchier. Une série noire stoppée tardivement, qui nourri la colère des familles de victimes.

"J'en veux beaucoup à la clinique et l'ARS (Agence régionale de santé), aux enquêteurs. Ils ont laissé faire ces empoisonnements", a estimé devant la cour d'assises du Doubs Céline Comtois, dont la mère Monique Varguet est décédée en 2010, après un arrêt cardiaque inexpliqué, ce jeudi 16 octobre.

Cette femme "solaire" et "battante" opérée pour une ablation du colon, est chronologiquement la 8e victime reprochée au docteur Péchier, jugé depuis six semaines pour l'empoisonnement de 30 patients âgés de quatre à 89 ans, dont 12 sont morts, dans deux cliniques de Besançon entre 2008 et 2017.

"J'ai beaucoup de colère en moi. S'ils avaient enquêté plus rapidement, on aurait pu arrêter avant" l'empoisonneur, regrette la femme de 42 ans.

Une enquête de police avait bien été ouverte dès le premier arrêt cardiaque suspect en 2008, qui avait conduit au décès de Damien Iehlen, mais les investigations s'étaient enlisées.

Devant la cour, l'une de ses filles, Mélusine Iehlen, a elle aussi critiqué l'établissement, l'ARS et la justice: "L'impensable aurait dû poser question beaucoup plus tôt." Le procureur a demandé aux enquêteurs en 2009 de joindre le dossier de Damien Iehlen à leurs investigations lorsqu'une autre enquête a été ouverte sur trois autres arrêts cardiaques suspects, survenus cette fois-ci à la polyclinique de Franche-Comté.

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Surdoué ou manipulateur? Accusé d'avoir empoisonné 30 patients, Frédéric Péchier clame son innocence
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La présence d'un empoisonneur était "inconcevable"

Ils avaient relevé le nom de Frédéric Péchier, seul médecin a avoir exercé dans les deux établissements au moment de ces évènements, sans toutefois l'incriminer. Le parquet avait classé l'enquête pour "auteur inconnu".

Il faudra attendre janvier 2017 pour que l'affaire Péchier soit lancée, grâce à la détermination de l'anesthésiste Anne-Sophie Balon, qui a permis de réaliser qu'un empoisonneur sévissait à la clinique Saint-Vincent.

Le chef du service de réanimation du CHU de Besançon s'était alors alerté de ces "trop nombreux" patients en provenance de la clinique Saint-Vincent présentant des arrêts cardiaques inexpliqués.

Les chirurgiens, anesthésistes et infirmières qui se sont succédé à la barre depuis l'ouverture du procès le 8 septembre ont témoigné qu'il leur était "inconcevable" d'imaginer un "empoisonneur" parmi eux.

A l'époque des premiers faits, "il n'y avait pas de statistiques" disponibles pour comparer le nombre d'EIG (évènements indésirables graves) d'un établissement à l'autre a en outre expliqué l'ancienne directrice de la clinique Saint-Vincent, Valérie Fakhoury.

"Le docteur Péchier lui-même nous avait dit qu'il n'y avait pas d'anomalie", a-t-elle relevé, "je ne vois pas comment moi, de ma fenêtre, j'aurais pu avoir une autre vision".

L'accusé est suspecté d'avoir usé de plusieurs modes opératoires (pollution de poches en amont des opérations, injection de doses toxiques de produits pendant les interventions...), utilisant différentes substances (potassium, anesthésiques locaux, adrénaline, héparine).

Un manque de communication

"Comment pensez-vous que pendant 10 ans, nous n'avons jamais, jamais, soupçonné qu'il y avait un empoisonneur parmi nous ?", a interrogé jeudi devant la cour Martial Jeangirard, anesthésiste de plusieurs victimes.

"Un coup c'est arrivé à l'un, un coup à l'autre... Une fois c'est de l'héparine, une fois de la mépivacaïne, un fois du potassium.... C'est pour ça qu'on n'a pas réagi plus tôt", a-t-il répondu.

"On a un empoisonneur qui s'adapte aux protocoles utilisés. C'est redoutable", selon l'avocate générale Christine de Curraize.

Une infirmière de la clinique, Catherine Party, a précisé que "chacun allait dans son bloc, on ne partageait pas ce qui ce passait".

Céline Comtois est aujourd'hui certaine de la culpabilité de l'accusé de 53 ans, qui a toujours clamé son innocence. "C'est une personne sans empathie, sans sentiment pour les victimes. Quand on fait quelque chose comme ça, on est inhumain", juge la jeune femme. Elle aurait "aimé avoir des réponses" mais selon elle "l'accusé est dans le déni donc on n'en aura pas".

"J'espère juste que les jurés prendront la bonne décision", a-t-elle ajouté. Frédéric Péchier comparait libre, mais risque la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est attendu le 19 décembre.

S.M avec AFP