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Police-Justice

"Quelle est la logique?": la question du mobile au cœur des débats du procès de Frédéric Péchier

L'ex-anesthésiste Frédéric Péchier (au centre) marche derrière son avocat Me Randall Schwerdorffer, le 8 septembre 2025 à la cour d'assises de Besançon

L'ex-anesthésiste Frédéric Péchier (au centre) marche derrière son avocat Me Randall Schwerdorffer, le 8 septembre 2025 à la cour d'assises de Besançon - SEBASTIEN BOZON © 2019 AFP

La cour d'assises du Doubs tente de comprendre le mobile qui aurait pu pousser Frédéric Péchier, accusé de 30 empoisonnements, dont 12 mortels, à passer à l'acte.

Un passage à l'acte "multifactoriel". La cour d'assises du Doubs tente d'identifier le mobile qui aurait poussé Frédéric Péchier à empoisonner 30 patients âgés de 4 à 89 ans, dont 12 sont morts, dans deux établissements privés de Besançon entre 2008 et 2017, "Quelle est la logique", a interrogé ce mardi 14 octobre son avocat, Randall Schwerdorffer.

"C'est multifactoriel", a répondu l'un des enquêteurs, Olivier Verguet, entendu par la cour qui en cette 6e semaine d'audience se penche sur le décès de deux patientes, Monique Varguet et Annie Noblet, en 2010 et 2012, victimes d'un arrêt cardiaque inexpliqué à la clinique Saint-Vincent.

Dès le début de l'enquête, en janvier 2017, après deux arrêts cardiaques rapidement identifiés comme des actes malveillants - des anesthésiques locaux et du potassium ont été retrouvés dans des poches de perfusion et des seringues - la police judiciaire soupçonne le docteur Péchier. Il sera mis en examen en mars 2017.

Les policiers avancent alors l'hypothèse d'un "pompier pyromane" qui s'en prendrait aux patients de ses collègues pour voler ensuite à leur secours, et montrer ainsi ses talents de réanimateur. Une thèse balayée par l'accusé lui-même: "je ne me considérais pas comme le sauveur de la clinique", s'est-il défendu au cours des débats.

"Votre logique d'enquêteur, c'est de dire que Frédéric Péchier va provoquer des EIG (évènements indésirables graves) pour faire de la réanimation car c'est ça qui l'intéresse", décrypte maître Schwerdorffer. Pourtant, le jour de l'arrêt cardiaque d'Annie Noblet, "ça ne marche pas" car l'accusé "n'est pas dans le bloc contigu, il est en consultation" dans un bâtiment de l'autre côté de la route, souligne le défenseur.

Plusieurs hypothèses

Depuis le début du procès le 8 septembre, la cour s'est penchée sur 11 empoisonnements présumés. Or, dans la plupart de ces cas, l'intervention de Frédéric Péchier n'a pas été déterminante pour sauver ces patients, dont quatre sont décédés.

Une autre hypothèse avancée par les enquêteurs est que l'accusé aurait empoisonné les patients de ses collègues pour les heurter et leur nuire, pour des raisons d'ego ou d'argent.

Les deux premiers cas, dans l'ordre chronologique, se sont produits en 2008 lorsque l'anesthésiste s'apprêtait à quitter la clinique Saint-Vincent - sur fond de conflit avec la direction de l'établissement -, pour rejoindre la Polyclinique de Franche-Comté.

"Pris la main dans le sac", selon un avocat des parties civiles, alors qu'il essayait de vendre son ancienne patientèle sans en avoir informé ses nouveaux collègues, le docteur Péchier claque la porte de la Polyclinique seulement six mois après son arrivée. Pendant cette courte période, l'établissement enregistre trois arrêts cardiaques inexpliqués.

Le praticien revient ensuite à la clinique Saint-Vincent, où de nouveaux EIG touchent des patients pris en charge par un anesthésiste qui s'était opposé à son retour, par d'autres qu'il jugeait "en bout de course" et qu'il voulait "pousser vers la sortie", selon l'accusation, ou encore par des collègues avec qui il était en conflit.

"On peut n'avoir aucun mobile"

Devant la cour, l'accusé de 53 ans, qui a toujours clamé son innocence, a contesté avoir de la rancœur pour certains collègues et minimisé l'ampleur de ces querelles.

"Quand je me fâche avec quelqu'un, c'est extrêmement rare, et en général ce n'est pas pour un motif futile", a-t-il asséné. Questionnés par la défense, plusieurs anesthésistes touchés par des arrêts cardiaques suspects ont confirmé ne pas avoir eu de conflit particulier avec lui, contrairement à d'autres.

Pour son avocat, "il n'y avait pas plus de conflits à la clinique Saint-Vincent que dans n'importe quelle autre entreprise".

"Le mobile, c'est toujours un terrain glissant", selon le policier Fabrice Charligny, qui a enquêté sur le décès de Monique Varguet. "On n'a aucune preuve absolue" sur ce point, et d'ailleurs, dans une affaire criminelle, "on peut n'avoir aucun mobile", constate-t-il.

"Pour avoir des explications claires sur le passage à l'acte, il faut que le criminel s'explique", tance l'avocate générale Christine de Curraize. Et "le mobile n'est pas constitutif de l'infraction", recadre-t-elle.

Frédéric Péchier comparait libre, mais risque la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est attendu le 19 décembre.

S.M avec AFP