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Police-Justice

"Ils ne rigolaient pas": au procès du groupe terroriste d'ultradroite AFO, les aveux embarrassants d'un ancien membre de la cellule

Une vue de l'intérieur du palais de justice du tribunal judiciaire de Paris, le 13 janvier 2025. (photo d'illustration)

Une vue de l'intérieur du palais de justice du tribunal judiciaire de Paris, le 13 janvier 2025. (photo d'illustration) - Martin LELIEVRE / AFP

Karl H., un des 16 membres de l'organisation Action des Forces Opérationnelles (AFO) jugés pour des projets d'attentats contre des musulmans, a livré ce mercredi 18 juin des aveux gênants pour la défense. Il a reconnu le caractère terroriste de leurs projets en 2017-2018, sapant les efforts de ses coprévenus qui tentent de réduire ce qui leur est reproché à de simples paroles.

À la barre ce mercredi 18 juin, un témoin très, très embarrassant. Quatre mois durant, entre décembre 2017 et mars 2018, Karl H. a été un membre actif du groupe clandestin "Action des Forces Opérationnelles" (AFO), dont treize membres sont jugés depuis une semaine par le tribunal correctionnel de Paris pour avoir fomenté des attentats contre des musulmans.

Réunions, entraînements, discussions... Il a été aux premières loges. Mais à la différence des autres, Karl H. reconnaît tout et divulgue les secrets de cette cellule terroriste: leurs projets de tuer des imams radicalisés, d'empoisonner de la marchandise halal avec du cyanure...

Au désespoir de ses coprévenus, douze hommes et trois femmes âgés de 39 à 76 ans –parmi lesquels un ancien diplomate, un ingénieur, une infirmière ou encore un vétéran de la guerre d'Afghanistan– qui réduisent, eux, leurs agissements à des propos malheureux sans véritable intention de passer à l'acte.

Association de malfaiteurs terroriste

"On sait pourquoi on est ici. On n’est pas des enfants de chœur", lâche Karl H. à la barre, sa voix nasillarde. Une procureure antiterroriste lui rappelle ce qui lui est reproché aujourd'hui: une association de malfaiteurs terroriste, c’est-à-dire des actes visant à préparer des attentats. "Je comprends très bien la définition", dit l'homme au front dégarni. "Est-ce que vous reconnaissez les faits?", demande la magistrate à ce prévenu qui gêne tant les quinze autres. "En les ayant côtoyés, oui. J'y suis mêlé", admet-il.

Un élan de sincérité rarissime devant une juridiction antiterroriste. Et des aveux terribles pour les autres. Karl H., 53 ans aujourd'hui, avait rejoint AFO fin 2017 par l’entremise de son père, militaire de carrière qui fréquentait à l’époque l’association Volontaires pour la France (VPF), fondée sous l'égide du général Antoine Martinez pour 'combattre l’islamisation du pays" après les attentats de 2015.

Le traumatisme l'a frappé de plein fouet: Karl H. travaillait comme traiteur au Stade de France le 13 novembre 2015 lorsque les deux terroristes irakiens s'y sont fait sauter. Il a aussi perdu deux amis dans la fosse du Bataclan. Mais lorsqu'il intègre AFO, une scission des Volontaires qui avait pour projet de passer à l’action, c'est d’abord pour faire du survivalisme. "Je cherchais gens de mon âge pour faire des sorties et faire du tir sportif", explique Karl H. Sauf que les choses prennent vite une autre tournure.

Cibler des "imams radicaux"

Le 16 décembre 2017, des membres d'AFO, organisation qui regroupera à son apogée quelque 50 partisans, se regroupent pour un week-end à Chablis (Yonne). Ils testent des cocktails Molotov et du Napalm.

"J’étais parfaitement conscient que ce n’était pas légal", déroule Karl H.

On le teste à la clandestinité. On lui fait faire une filature. Il doit, comme les autres, identifier un imam radicalisé à cibler: il en trouve un à Nanterre. La recrue apprend aussi à maquiller sa plaque d’immatriculation.

Mi-février, il se joint à un autre regroupement à Chablis. Ambiance plus lugubre. "Tendue", dit le prévenu. Cette fois, les partisans d'AFO testent des grenades. Ils parlent d'éliminer une centaine "d'imams radicaux". "Je me suis rendu compte qu'ils ne rigolaient pas. Ils avaient des explosifs", raconte-t-il à la barre.

Il prend ses distances. Mais leur fournira tout de même, par mail, une liste de modèles de grenades d’Airsoft qu'ils pourraient modifier. L'artificier d'AFO les garnira de TATP (peroxyde d'acétone, un explosif artisanal).

Tentative d'intimidation

Ses aveux et sa reconnaissance de l'infraction d'association de malfaiteurs terroristes embête la défense. "Dire de mon client qu'il est dangereux et qu'il est prêt à tuer quelqu’un, ce sont des déclarations à charge, fortes. On ne peut pas accuser quelqu’un à tort et à travers. Sur quoi vous vous fondez?", lui demande Me Fanny Vial, avocate d'un des principaux prévenus.

Réponse: "Ses propos limites, son attitude dominatrice. Il se baladait avec une arme non-déclarée. C'est mon ressenti de l’époque". "Ce que vous dites est grave. Vous ne semblez pas en prendre la mesure", lui oppose Me Vial. "Je le mesure. On risque tous dix ans de prison", fulmine Karl H.

AFO, "c'était beaucoup de baratin et pas grand-chose derrière", tempère Me Daphné Pugliesi, autre avocate de la défense. Karl H. rappelle alors le coup d'un téléphone qu'il reçoit le 23 juin 2018, juste avant la vague d'interpellations, l'invitant à tester des grenades au TATP. "Je pense que ça allait crescendo", dit-il.

Toute cette transparence avait fini par lui valoir des représailles. Le 22 novembre 2018, deux hommes cagoulés l'ont attendu en bas de chez lui, lui intimant de se taire devant les enquêteurs, "ce serait préférable pour ton bien-être personnel". Le jugement est attendu pour le 26 juin.

Paul Conge