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Corps retrouvés dans la Seine: centrifugeuse, microscopes électroniques... Comment les gendarmes scientifiques font parler les noyés

Hubert Joulin, commandant de gendarmerie et chef du Département faune et flore forensique (FFF) spécialisé dans les analyses des cas de décès par noyade.

Hubert Joulin, commandant de gendarmerie et chef du Département faune et flore forensique (FFF) spécialisé dans les analyses des cas de décès par noyade. - BFMTV

Après la découverte de quatre corps flottant dans la Seine à Choisy-le-Roi, le parquet de Créteil a ouvert une information judiciaire pour "meurtres en concours". Hubert Joulin, commandant à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), explique à BFMTV comment il fait parler les corps "noyés"

À l’écran, une photographie agrandie 5000 fois au microscope. Blouse blanche et gants de laboratoire, le commandant Hubert Joulin pointe du doigt une étrange forme longiligne qui apparaît à l’image. "On reconnaît bien un squelette de silice", indique ce 25 août à BFMTV cet expert de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).

Ce squelette, c’est celui des diatomées: des microalgues qui ont été retrouvées en quantité dans les poumons d’un homme repêché dans l’eau. Présentes dans tout milieu aquatique, dont la Seine, celles-ci peuvent, dans certaines conditions, se répandre dans les corps noyés, explique le gradé. "Avec l’expérience, en voyant ces diatomées, on penchera vers l’hypothèse d’une victime qui se débattait pour survivre et qui a inhalé beaucoup d’eau avant de mourir", ajoute-t-il.

Le commandant Joulin dirige le département "faune et flore forensique" (FFF) à l’IRCGN, vaisseau amiral de la gendarmerie scientifique situé à Pontoise (Val-d(Oise). Son équipe a été récemment chargée d’analyser les quatre corps repêchés le 13 août, dans la Seine, à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). Monji H., un SDF d’une vingtaine d’années, a été mis en examen et écroué dimanche pour "meurtres en concours", c’est-à-dire des homicides en série.

Une analyse des tissus biologiques

Mais parmi ces cadavres, deux avaient atteint un stade de décomposition extrêmement avancé (plus de quinze jours dans l’eau), si bien qu’il reste très difficile de savoir de quoi ils sont morts. Pas de traces de coups, pas de lésions apparentes... L’’autopsie et le scanner réalisé par le médecin-légiste n’ont pas suffi. C'est là que l'IRCGN intervient. 

Eux analysent des tissus biologiques prélevés sur les corps. "Ce qu'on demande au légiste, c'est, a minima, 20 grammes de poumon, foie, rein et une section fémorale osseuse", sous-titre Hubert Joulin. "On découpe l’organe, on le pèse, on le met dans des bains de sable pour réaliser une 'digestion chimique' avec des acides. L’objectif est de ne conserver que le squelette de silice des diatomées, qui est particulièrement résistant", relève le gendarme, qui place ensuite l'échantillon dans une centrifugeuse puis un microscope. 

Peu importe si le corps est putréfié et méconnaissable, cela ne pose pas de problème tant que ces organes internes n'ont pas été touchés par l'eau. "Les diatomées sont imputrescibles (ne se putréfient pas, NDLR)", indique le gendarme.

Un élément qui peut être important pour l'enquête

Si le cœur battait encore au moment où le corps a atteint l'eau, il inhale alors ces microalgues, lesquelles sont ensuite disséminées à travers tout le corps notamment le cerveau ou le foie, via la circulation sanguine. "Cela va tapisser tous les organes d'une personne", relève l’expert. Et cela indique une mort par noyade.

En revanche, si les diatomées ne se retrouvent pas dans ces organes vitaux, ou alors pas dans des concentrations significatives, les scientifiques du FFF excluront ce diagnostic de la noyade. Selon leurs critères, pour conclure à une noyade, il faut au moins 20 diatomées dans le prélèvement de poumon et 5 dans les autres organes. Une personne déjà morte et jetée à l’eau en aura beaucoup moins. 

"Si on peut certifier à un enquêteur que la personne n'est pas morte par noyade, ce sera un élément important pour son enquête" explique le commandant Joulin. Par exemple, si d'autres éléments pointent vers une mort d'origine criminelle. 

Il ne se prononce en revanche pas devant BFMTV sur son diagnostic pour les deux derniers corps de Choisy-le-Roi, pour préserver le secret de l'enquête.

Paul Conge