Corse : le plan Taubira contre la criminalité

Manuel Valls (à droite) aux côtés de Christiane Taubira, à Bastia, en Corse. La ministre de la Justice, qui était en Corse lundi en compagnie du ministre de l'Intérieur, a présenté lundi une série de directives pour relancer l'action de la justice dans l' - -
Christiane Taubira a présenté lundi une série de directives pour relancer l'action de la justice en Corse contre le grand banditisme, remis en lumière par une série de meurtres dont l'expansion menace désormais l'ordre public au-delà de l'île.
La ministre de la Justice admet en des termes très alarmistes la gravité de ce phénomène, dans une circulaire aux procureurs présentée en Corse lundi. « La violence et l'affairisme ont atteint dans l'île un niveau qui est sans commune mesure avec les autres régions françaises et qui menace les fondements mêmes de la société », écrit Christiane Taubira dans cette circulaire, qui était encore dans l'île lundi en compagnie du ministre de l'Intérieur Manuel Valls. Elle fait état de statistiques accablantes avec 18 meurtres, 11 tentatives, 55 attentats en 2012 et un taux de résolution de ces crimes de 55% en 2011, la moitié de la moyenne nationale. Il y a eu une centaine d'homicides ou tentatives liés au crime organisé depuis 2007, pour un territoire de 300 000 habitants.
Pas de pôle antimafia mais une lutte contre la délinquance économique
Prégnant depuis des années mais tombé dans l'oubli, le phénomène est revenu brutalement dans l'actualité avec l'assassinat de deux figures publiques, l'avocat Antoine Sollacaro mi-octobre et le président de la chambre de commerce d'Ajaccio Jacques Nacer un mois plus tard. La ministre exclut implicitement la création d'un « pôle antimafia » à l'italienne et des renforts massifs, une méthode vue par certains aujourd'hui comme la seule susceptible de réussir un début d'éradication du phénomène.
La circulaire présente simplement quatre recommandations, la « prévention des assassinats » par la lutte contre la délinquance économique, une plus grande efficacité, l'amélioration de la coordination des enquêtes et de l'articulation avec l'autorité administrative.
Il est recommandé aux procureurs de s'attacher au racket et au blanchiment dans l'immobilier, la sécurité, les jeux, le bâtiment et le sport. Les affaires récentes mettent en lumière en effet une véritable imprégnation de l'économie légale par le banditisme, scénario de constitution d'une mafia à l'italienne.
La ministre leur suggère aussi de travailler avec la Banque de France pour suivre les flux financiers suspects, d'utiliser davantage les signalements de Tracfin, la cellule anti-blanchiment du ministère de l'Economie, de développer les relations avec la chambre régionale des comptes.
En creux, apparaît une critique du fonctionnement de l'appareil judiciaire, éclaté pour la Corse entre quatre tribunaux, Ajaccio, Bastia, Marseille (pôle crime organisé) et Paris (terrorisme).
Ce phénomène étant similaire pour la police, la ministre recommande une co-saisine plus fréquente des divers services d'enquête, la création d'une instance de coordination judiciaire Ajaccio-Bastia-Paris-Marseille.
« Dépayser » les affaires pour éviter l’intimidation
Le poids de l'intimidation et de la peur sur les dossiers corses est implicitement déploré, puisqu'il est recommandé de « dépayser » plus souvent les affaires ailleurs que sur l'île et de protéger les témoins avec l'aide de dispositions légales.
Cette circulaire ne dit mot d'un problème relevé dans une note interne du procureur de Bastia, publiée par la presse locale et soulignant « une forme de concurrence entre les services d'enquête eux-mêmes s'agissant de la captation et de l'exploitation du renseignement qui nuit gravement à leur efficacité ». L'action de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) est en cause dans une information judiciaire conduite actuellement par le juge Gilbert Thiel et qui semble montrer des liens entre certains de ses agents et des truands corses. Un dossier qui doit être jugé en décembre à Paris concernant le cercle de jeu de la capitale Wagram montre que deux clans du banditisme corse s'en sont disputés en 2008 le contrôle. Des personnalités de tous bords, comme des acteurs et des policiers, le fréquentaient.
Le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a promis dimanche en Corse le renfort de 40 policiers et gendarmes et une meilleure coordination.