Contrôles au faciès: le Conseil d'État reconnaît que le problème "existe", mais s'estime incompétent

Le Conseil d'Etat à Paris, le 21 juin 2023 - - © 2019 AFP
La pratique policière des contrôles au faciès "existe" et constitue "une discrimination" pour les personnes qui les subissent, mais le Conseil d'État, saisi par plusieurs ONG, s'est déclaré incompétent mercredi pour contraindre l'État à modifier de fond en comble sa "politique publique".
La plus haute juridiction administrative française a estimé, dans un communiqué accompagnant sa décision, que les mesures demandées par six associations et ONG dénonçant des pratiques systémiques "visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d'identité à des fins de répression de la délinquance et de prévention des troubles à l'ordre public qui ne relèvent pas des pouvoirs du juge administratif". "C'est pourquoi le Conseil d'État rejette le recours."
La pratique "ne se limite pas à des cas isolés"
La juridiction reconnaît toutefois que "la pratique de ce type de contrôles existe et ne se limite pas à des cas isolés".
"Si elle ne peut être considérée comme 'systémique' ou 'généralisée', cette pratique constitue néanmoins une discrimination pour les personnes ayant eu à subir un contrôle sur la base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée", ajoute-t-elle dans son communiqué.
Toutefois, "il n'appartient pas au juge administratif de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire", a estimé le Conseil d'État.
Les ONG réclamaient plusieurs mesures
Amnesty international, Human Rights Watch ou encore Open Society Justice Initiative soutenaient dans cette première action de groupe contre les contrôles au faciès que la pratique est "inscrite profondément dans l'action policière au point que la discrimination qu'elle constitue est systémique".
Ces ONG réclamaient une série de mesures, inspirées d'expériences menées à l'étranger, allant de la modification du Code de procédure pénale pour interdire la discrimination dans les contrôles d'identité à la délivrance d'un récépissé après chaque contrôle.
Un fait documenté depuis des années
L'existence des contrôles au faciès est largement documentée depuis des années. En 2017, le Défenseur des droits avait conclu qu'un jeune homme "perçu comme noir ou arabe" avait vingt fois plus de chances d'être contrôlé que le reste de la population.
Ces contrôles au faciès - l'Assemblée nationale les avait estimés à 14 millions par an en 2016 - "ne sont pas un simple problème de politique publique, c'est un fléau", avait plaidé le 29 septembre devant le Conseil d'État Me Antoine Lyon-Caen, représentant les six organisations.
La France a été plusieurs fois condamnée ces dernières années sur ce sujet: en juin 2021 par la Cour d'appel de Paris ou encore en 2016 par la Cour de cassation, qui avait pour la première fois condamné définitivement l'État pour faute lourde.
Améliorer la traçabilité des contrôles
Le président de la République, Emmanuel Macron, avait lui-même reconnu le 4 décembre 2020 l'existence des contrôles au faciès, après le tabassage du producteur de musique noir Michel Zecler, provoquant une levée de bouclier des syndicats policiers.
Afin d'améliorer la "traçabilité des contrôles", les requérants demandaient également que les policiers portent systématiquement un numéro de matricule, théoriquement obligatoire mais dont l'absence n'est jamais sanctionnée.
Dans une décision distincte, également rendue mercredi, le Conseil d'État a cette fois ordonné au ministère de l'Intérieur de rendre effective cette obligation, en s'assurant de la "lisibilité" de ce numéro "RIO".