"Chaque jour compte": un Franco-tunisien incarcéré en Tunisie depuis 2021 "se laisse mourir" en prison

Onsi Abichou est incarcéré en Tunisie depuis 2021. - Famille d'Onsi Abichou
Un "tsunami", un "calvaire sans fin", un "scandale". Inass Abichou ne tarit pas de mots pour décrire la situation dans laquelle se trouve son mari depuis bientôt quatre ans. Emprisonné depuis 2021 en Tunisie, soupçonné d'avoir pris part à un trafic de stupéfiants, ce qu'il nie sans relâche, Onsi Abichou se trouve aujourd'hui dans un état physique et psychologique alarmant, selon ses proches. "Chaque jour compte", alerte son épouse auprès de BFMTV.com, désemparée.
Ce garagiste franco-tunisien de 42 ans, n'a jamais eu affaire à la justice. Mais en 2008, un homme arrêté pour trafic de stupéfiants en Tunisie lâche le nom d'Onsi Abichou aux enquêteurs, entraînant l'arrestation de ce dernier. Quelques mois plus tard, le mis en cause revient sur ses aveux et innocente le garagiste, déclarant avoir cédé sous la torture.
Pourtant, Onsi Abichou, pris dans un imboglio juridique, n'a toujours pas été libéré malgré quatre acquittements successifs dans le dossier.
"Cette affaire, c’est 17 ans de procédure judiciaire, dix procès, quatre jugements par défaut, quatre acquittements, quatre pourvois du Ministère public", résument Mes Lily Ravon et William Bourdon, avocats français d'Onsi Abichou, parlant d'"erreur judiciaire".
Eux aussi tirent la sonnette d'alarme: leur client "a décidé de se laisser mourir après 17 ans d’acharnement judiciaire", déclarent-ils. "Il n'arrive plus à manger, c'est psychologique. Il ne supporte plus cet acharnement et ne voit pas le bout du tunnel", indique de son côté Me Chawki Tabib, ancien bâtonnier à Tunis et avocat tunisien d'Onsi Abichou.
Cité dans une affaire de trafic de stupéfiants
15 février 2008, port de La Goulette, dans le nord de la Tunisie. Des agents de la douane interceptent un camion qui s'apprête à partir en direction de Gênes, en Italie. À l'intérieur, ils trouvent 1,42 tonne de cannabis. Interrogé, l'homme au volant met en cause un certain Mohammed Z. Entendu à son tour, ce dernier dit que l'homme qui leur a vendu le camion s'appelle Onsi Abichou. Il ajoute que ce dernier est aussi impliqué dans un autre transport de stupéfiants, en 2007.
Onsi Abichou, 25 ans à l'époque, vit à près de 2.000 kilomètres de là, à Massy dans l'Essonne. Arrivé en France à l'âge de trois mois, l'homme revient régulièrement en Tunisie, mais seulement pour passer des vacances avec sa famille, assure-t-il.
C'est pourquoi, raconte son épouse, il tombe des nues lorsqu'il est arrêté pendant un voyage en Allemagne, le 17 octobre 2009. Alors qu'Inass Abichou vient d'accoucher de leur deuxième enfant, il apprend que les autorités tunisiennes ont lancé un mandat d'arrêt à son encontre dans deux affaires de trafic de stupéfiants, celle du port de La Goulette en 2008, et celle de 2007. Les deux dossiers font l'objet de procédures distinctes. Sonné, il clame son innocence: oui, il a bien vendu cette camionnette aux mis en cause, mais il n'a rien à voir avec le trafic auquel ces derniers se sont adonnés par la suite.
Détenu dans les geôles allemandes, il tente d'alerter la Cour européenne des Droits de l'Homme pour empêcher son extradition, en vain. Jugé en Tunisie en décembre 2010, il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
"Aveux obtenus sous la torture"
Pendant l'instruction, le dossier va néanmoins connaître un revirement important. Mohammed Z. revient sur ses aveux: s'il a prononcé le nom d'Onsi Abichou devant les enquêteurs, c'est parce qu'il a été torturé lors de son interrogatoire, affirme-t-il aujourd'hui.
"Du temps de Ben Ali, la torture était une pratique très courante", avance Me Chawfik Tabib, l'avocat tunisien d'Onsi Abichou. "Les policiers de l'époque voulaient ratisser large. Mais Onsi n'a rien à voir, on le voit à son casier judiciaire. C'est juste un homme normal, qui a un garage et qui a vendu une camionnette à ces messieurs."
"Les aveux ont été obtenus sous la torture et suite à ça j'ai déposé une plainte en France contre les tortures que j'ai eues en Tunisie. Je tiens à préciser que M. Abichou Onsi n'a aucun lien dans ces deux affaires", réitèrera-t-il plus tard, dans un courrier rédigé en 2014 et versé au dossier, que BFMTV.com a pu consulter.
À la faveur du changement de régime après le Printemps arabe, Mohammed Z. et l'autre mis en cause ont été graciés et libérés, leurs aveux ayant été extorqués sous la torture sous Ben Ali. En appel, sur la base de la réatractation de Mohammed Z. et de la vacuité du dossier, Onsi Abichou est pour sa part acquitté en 2011 et peut donc rentrer en France. Il est alors loin d'imaginer que sa débâcle judiciaire ne fait que commencer.
Acquitté quatre fois mais toujours en prison
À partir de là se mêle une situation inextricable. De retour en France après son séjour en détention, Onsi Abichou tente de reprendre le cours de son existence. Mais la Cour de cassation tunisienne signale qu'il manque la signature d'un juge dans les deux dossiers où le garagiste a été acquitté, et annule ces acquittements. Sans être informé de ce revirement judiciaire, il est jugé en son absence et à nouveau condamné à la perpétuité, par défaut.
En 2016, à l'occasion d'un nouveau voyage en Tunisie pour rendre visite à ses parents, Onsi Abichou est interpellé à l'aéroport. Là, il est informé de la situation mais il peut repartir libre après avoir fait opposition de sa condamnation. Ce n'est qu'en août 2021, au cours d'une autre visite à ses parents, qu'il est interpellé à nouveau et, cette fois, emprisonné à la prison de Mornaguia, à l'ouest de Tunis. "Le cauchemar recommence", commente Inass Abichou.
En l'espace de trois ans et demi, il est acquitté à deux reprises dans l'affaire du trafic sur le port de La Goulette. Mais à chaque fois, la Cour de cassation annule l'acquittement, pointant des vices de procédure. Quant au second dossier, celui du trafic de stupéfiants datant de 2007, la demande de révision faite en 2023 n'a toujours rien donné.
À la joie qu'apporte chaque nouvel acquittement succèdent la déception et le découragement de voir la décision annulée. "On fait un pas avant, puis deux pas en arrière. C'est un calvaire judiciaire sans fin", résume Inass Abichou. "On est sur un déni de justice, personne ne veut prendre la responsabilité de cette décision", abonde son cousin, Sami Chafei.
Juriste de formation, ce dernier suit de près les déboires judiciaires d'Onsi Abichou. Il témoigne d'une justice tunisienne expéditive, qui repousse sans cesse les audiences et qui étudie chaque fois le cas de son cousin par alliance en 15 minutes, entre une affaire de violences et un dossier de chèque impayé. "Onsi n'a jamais eu aucun interprète depuis le début, alors qu'il ne lit pas et ne parle pas l'arabe littéraire. Il est forcé de s'exprimer dans un mélange de dialecte et de Français. Je suis outré", ajoute Sami Chafei.
Des conditions de détention difficiles
Contacté par BFMTV.com, un homme ayant partagé la cellule d'Onsi Abichou pendant quelques semaines en 2024 évoque les difficiles conditions d'incarcération au sein de la prison de Mornaguia. Alors qu'il y séjournait, trente-cinq personnes étaient réparties sur des lits superposés à trois étages, explique-t-il. "Tout en haut de la cellule, il y a d'étroites fenêtres grillagées. Mais elles sont constamment ouvertes parce que les détenus ont le droit de fumer à l'intérieur", raconte cet ancien codétenu.
Pas de chauffage en hiver, ni de climatisation en été et un environnement particulièrement bruyant. "Il y a une télévision constamment allumée et des spots de lumière blanche qui ne s'éteignent jamais", décrit encore l'ex-codétenu. Côté hygiène, les prisonniers se partagent trois toilettes turques et n'ont que de l'eau glaciale à disposition.
"Onsi est quelqu'un de très résilient, de très respecté dans la cellule et juste dans sa manière de voir les choses", conclut-il.
Mais les mois passant, de désillusion en désillusion, la santé mentale et physique d'Onsi Abichou se dégrade, alertent ses proches. "Mon frère a toujours été sportif, plein d'énergie, avec du caractère. Là, c'est comme s'il avait perdu goût à la vie", explique Aymen Abichou, son petit frère.
Si ce dernier lui rendait visite très régulièrement au début de son incarcération, allant jusqu'à prendre un appartement à Tunis pour éviter de payer des nuits d'hôtel, il lui est de plus en plus difficile de faire face à la détresse de son frère, relate-t-il. "Quand je vais le voir, il se met directement à pleurer. Il est très amaigri, ce n'est plus le même homme. J'ai l'impression que je ne récupèrerai jamais mon frère."
Même discours du côté d'Inass Abichou, tombée en dépression après l'incarcération de son mari: "Dans notre famille, ça a provoqué un tsunami. Ma fille a été mise sous anti-dépresseurs à l'âge de 16 ans. Mon fils est en décrochage scolaire. Chacun s'est réfugié dans sa tristesse."
"Je leur en voudrai toute ma vie. Tout ce temps perdu, ils ne nous le rendront pas. Je n'arrive plus à tenir, on est au bout du rouleau", lâche-t-elle, en larmes.
Le Quai d'Orsay "pleinement mobilisé"
Les parents d'Onsi Abichou ont fait une demande de grâce présidentielle qui n'a jamais abouti. De son côté, Inass Abichou dit avoir écrit à plusieurs reprises au consulat et au gouvernement, pour alerter sur la situation de son époux. Elle conserve la sensation que rien ne bouge: "On se sent impuissant", déclare-t-elle aujourd'hui.
Auprès de BFMTV.com, une source diplomatique indique que la situation d'Onsi Abichou est connue et suivie par les services du Quai d'Orsay, à Paris comme à Tunis. "Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) et notre ambassade à Tunis sont pleinement mobilisés et en contact étroit avec les autorités tunisiennes à ce sujet", explique-t-elle, ajoutant qu'Onsi Abichou bénéficie d'une protection consulaire.
"Les services du MEAE à Paris et à Tunis demeurent très attentifs à (sa) situation, et continuent de lui apporter tout le soutien et l’assistance possibles", selon la même source.
"La responsabilité de la Tunisie, tout comme celle de la France, est immense", soulignent Mes Lily Ravon et William Bourdon. Si les proches d'Onsi Abichou attendent beaucoup de la prochaine audience, fixée au 24 juin, ils estiment qu'une solution doit aussi être trouvée au niveau diplomatique. Pour son frère Aymen, "il suffit juste d'ouvrir le dossier pour comprendre, dès la première ligne, qu'il est innocent. Onsi n'est pas un détenu politique, mais un détenu par malchance."