"Ça peut commencer à 8 ans": comment des réseaux criminels ciblent et se servent de mineurs de plus en plus jeunes

Un pickpocket. (Illustration) - Andreas Arnold / DPA via AFP
Le réseau avait été démantelé il y a quelques mois. Plusieurs adultes, soupçonnés d'exploiter des mineurs afin qu'ils commettent des vols, ont été interpellés au mois de juin, tous de nationalité bosnienne. Dix membres de ce clan comparaissent dès ce vendredi 26 septembre et jusqu'au 9 octobre au tribunal correctionnel de Paris, soupçonné de traite d'enfants et de vols dans le métro parisien.
Le 18 juin dernier, interrogée par Le Parisien sur cette thématique, la procureure de Paris Laure Beccuau affichait sa volonté, dans ce type de dossiers, d'engager des poursuites contre les majeurs qui exploitent des enfants à des fins délictuelles.
"Notre credo, aujourd’hui, c’est de s’attaquer aux adultes qui se cachent derrière ces enfants et commanditent leurs actions", affirmait-elle à nos confrères.
Si le parquet de Paris semble faire d'une priorité le démantèlement de ces réseaux et l'interpellation de leurs têtes, plusieurs associations et avocats déplorent que certaines enquêtes n'aillent, encore aujourd'hui, pas au-delà de l'arrestation de ces mineurs, niant ainsi leur statut de victimes.
D'après un communiqué de l'Uncief, publié en juillet dernier à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre la traite d'êtres humains, ces enfants "ne sont que très insuffisamment reconnus et protégés en tant que victimes". Ils "sont trop souvent poursuivis et sanctionnés pénalement pour les infractions commises en conséquence de leur exploitation", détaillait le communiqué.
Pourtant, abonde auprès de BFMTV Geneviève Colas, coordonnatrice du collectif Ensemble contre la traite des êtres humains, ce sont bien des majeurs qui recrutent ces jeunes et les forcent à commettre des délits pour leur compte. "C'est facile d'avoir de l'emprise sur des enfants qui n'ont rien et qui finalement ne comprennent même pas qu'ils sont victimes", décrit-elle.
"Ça peut commencer à 8 ans"
Nombreux sont les dossiers similaires à celui dont le procès s'ouvre aujourd'hui. Dans la grande majorité des cas, le profil des victimes est le même: des jeunes en perte de repères, non scolarisés, dans une situation très précaire, et dont l'âge ne cesse de reculer. Aujourd'hui, d'après Geneviève Colas, "ça peut commencer à 8 ans, alors qu'avant c'était plutôt vers 14 ou 15 ans."
"Ça s'est rajeuni très nettement ces dernières années, c'est absolument certain."
Un profil justement très attractif pour les réseaux qui les repèrent et les approchent: l'exploitation de ces enfants se révèle très lucrative et évite aux adultes de s'exposer directement à des risques pénaux. Les mineurs, du fait de leur âge, s'exposent eux à des peines moins élevées. Sans avoir conscience de leur statut de victime, difficile pour eux de s'affranchir de ce système d'exploitation.
Pourtant, c'est bien comme "auteurs" de délits qu'ils sont poursuivis lorsqu'ils sont interpellés par les autorités. "Ça ne les aide absolument pas à conscientiser qu'ils sont victimes", commente Me Kathleen Taïeb, avocate spécialisée dans ces dossiers. Elle souligne pourtant que le droit européen impose un principe de non-sanction des mineurs victimes de traite. "Ce n'est pas encore dans notre droit pénal, mais on espère un changement de législation bientôt à ce sujet."
Le procès "du Trocadéro", un tournant
Un procès est malgré tout considéré comme une avancée majeure par les associations qui interviennent auprès de mineurs exploités. Cleui de l'affaire dite "du Trocadéro", qui s'est tenu entre 2023 et 2024.
Au printemps 2021, des nuées de touristes et promeneurs se font détrousser, place du Trocadéro. Aux policiers qui enregistrent leurs plaintes, ils décrivent des voleurs très jeunes, très agressifs, comme désinhibés. Les signalements s'accumulant, la nécessité de sécuriser le lieu s'impose et marque le début d'une enquête d'envergure.
On retrouve d'abord les mineurs en question. Originaires du Maroc, ils "venaient pour l'Eldorado, pour la tour Eiffel", décrit à BFMTV Me Céline Astolfe, avocate de l'association Hors la rue, partie civile au procès. "Ils sont partis seuls de leur pays, ont traversé des épreuves qui dépassent l'entendement et ils arrivent dans un état psychologique déjà très préoccupant", poursuit-elle.
Accompagnés et encouragés par les associations, ces enfants âgés de 8 à 16 ans acceptent peu à peu d'en dire plus aux policiers: à leur arrivée en France, ils ont été approchés par des majeurs d'origine algérienne. "Ils vont venir les voir en jouant la carte du référent et vont facilement s'instaurer comme des pseudos-tuteurs", précise encore Me Céline Astolfe.
"Ils ont joué un peu un rôle de famille à l'étranger", détaille Kathleen Taïeb, qui défendait plusieurs victimes lors du procès. Elle explique ensuite comment le piège s'est peu à peu refermé sur ces enfants. "Les exploitants ont ajouté une contrainte chimique en les droguant progressivement, les rendant complètement addicts à des substances psychotropes."
L'emprise se noue autour de l'addiction des mineurs à ces drogues: en échange de leur dose quotidienne, ils doivent voler pour le compte des adultes. D'autant que cette prise de stupéfiants désinhibe totalement les jeunes voleurs. "Ils volent sans aucune gêne, sans que cela ne provoque un stress. Il n'y a plus de barrière", commente Me Céline Astolfe.
À partir du témoignage des enfants, douze victimes sont identifiées et les enquêteurs retrouvent la trace des exploitants. En janvier 2024, renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris, six d'entre eux sont condamnés à des peines allant d'un à six ans de prison ferme, assorties d'amendes.
"C'était quelque chose d'assez nouveau en France, de penser que ces personnes sont des victimes et ne sont pas directement des personnes délinquantes", se remémore Geneviève Colas. Pour Me Kathleen Taïeb, c'est un bon début, mais "un début seulement", la justice rechignant encore à indemniser les mineurs dans ce dossier, et les ayant laissés livrés à eux-mêmes à l'issue du procès.
Les "vies volées" de l'Aide Sociale à l'Enfance
Comme celles de l'affaire du Trocadéro, 92% des victimes de ces réseaux criminels seraient des mineurs étrangers non accompagnés, indiquent les associations. Mais Me Kathleen Taïeb rappelle que le problème s'étend aussi à des mineurs français désœuvrés et placés dans des foyers.
Elle évoque notamment des dossiers dans lesquels des jeunes filles de l'Aide Sociale à l'Enfance tombent sous l'emprise de proxénètes. Attirées par des propositions attractives sur des réseaux et messageries comme Snapchat ou Telegram, elles sont ensuite exploitées sexuellement, mais aussi contraintes de trafiquer des stupéfiants en échange d'un hébergement.
"On ne se rend pas compte du nombre de ces vies volées, censées être protégées par l'institution parce qu'elles sont sous la responsabilité de l'État", souffle l'avocate, qui constate ce type de parcours "à longueur de dossiers".
Pour ces mineurs piégés par les réseaux, sortir de cet engrenage s'avère souvent un parcours du combattant. "La porte de sortie, c'est de parler. Pour ça, il y a des associations qui font un travail fabuleux", à l'image de Hors la Rue ou de la Mission d'intervention et de sensibilisation contre la traite des êtres humains (Mist), pointe encore Kathleen Taïeb.
Geneviève Colas, elle, milite pour qu'un système soit mis en place au niveau national pour "repérer les victimes" et leur proposer un "réel accompagnement, le plus complet possible". Elle rappelle qu'une association, Koutcha, travaille elle à créer un réseau de lieux d'accueil partout en France pour les enfants victimes de traite.