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Affaire Halimi: des experts psy expliquent pourquoi le meurtrier a été considéré irresponsable

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"C’est le délire qui a entraîné le passage à l’acte, le meurtre", explique un expert psychiatre ce lundi du BFMTV, parlant d'une "bouffée délirante exotoxique".

Le 14 avril, la Cour de cassation a confirmé l'irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi, Kobili Traoré, pris d'une "bouffée délirante" - selon les conclusions de sept experts psychiatriques consultés par la justice - au moment du meurtre de la sexagénaire juive, tuée en 2017 à Paris. Le tribunal a entériné le caractère antisémite du crime, mais a confirmé l'impossibilité de juger le meurtrier, un gros consommateur de cannabis, compte tenu de l'abolition de son discernement lors des faits.

Cette décision a été lourdement critiquée par les proches de la victime, mais aussi par des membres du gouvernement. Pour ses détracteurs, cela sous-entend qu'il est possible en France de fumer du cannabis et de tuer impunément ensuite.

"On s'imagine qu'il a fumé un peu ou beaucoup de cannabis et qu'il a démarré un état délirant, ce n'est pas du tout cela", a rétabli dimanche soir sur BFMTV Paul Bensussan. L'expert psychiatre qui a examiné le meutrier de Sarah Halimi souhaite "mettre un mal un raccourci dans cette affaire".

Un "trouble psychotique aigu" 48h avant le crime

Kobili Traoré "fume depuis l'entrée dans l'adolescence, il est consommateur chronique régulier, il n'a jamais déliré sous cannabis, mais 48 heures avant les faits il démarre un trouble psychotique aigu, avec une insomnie totale, une agitation anxieuse, des thèmes délirants, des hallucinations auditives", rapporte l'expert psychiatre.

L'homme "se croit marabouté, il est persuadé que son beau-père veut l'empoisonner, que l'auxiliaire de vie de sa mère pratique sur lui des rituels vaudous, son agitation monte comme cela".

Paul Bensussan rappelle qu'avant d'entrer chez Sarah Halimi et de commettre le crime, il se dit "persuadé d'être possédé par des démons". "Et puis, quand on approche de l'heure du drame, il fait irruption chez ses voisins qui prennent peur parce qu'il est transfiguré." Ces derniers se barricaderont dans leur chambre, et appelleront la police. Kobili Traoré entrera pendant ce temps chez Sarah Halimi et la tuera.

Ainsi, selon les observations du collège d'experts psychiatres, la prise de cannabis a été un déclencheur, mais n'est pas l'unique raison du passage à l'acte meurtrier, du comportement délirant du meurtrier ce jour-là qui, en-dehors de la prise de cannabis, présente des troubles psychiatriques.

"Folie et antisémitisme ne sont pas incompatibles"

"Tous les collègues ont dit que c’était une bouffée délirante exotoxique, une bouffée délirante qui est liée à la consommation excessive de haschisch", explique lundi matin sur BFMTV Roland Coutanceau, autre expert psychiatre dans cette affaire. "Donc au moment des faits, le sujet était délirant, si je l'avais vu à ce moment-là et qu'il n'y avait pas eu de passage à l'acte, j'aurais dit qu'il fallait l'hospitaliser. Mais surtout le sens de l’acte, ce qui sous-tend et motive l’acte, est inspiré fortement par le délire. C’est le délire qui a entraîné le passage à l’acte, le meurtre."

Paul Bensussan souligne que parmi les Français qui sont des consommateurs très réguliers de cannabis, "il y a extrêmement peu de troubles psychotiques, donc les effets attendus du cannabis n'étaient évidemment pas ceux là, ce n'est pas comme s'il avait pris du LSD. Ça fait 15 ans que cet homme fumait, essentiellement pour s'abrutir, ou s'endormir. Là il ne trouvait pas l'apaisement parce qu'il a démarré un trouble psychotique."

L'expert souligne que l'homme était un "baril de poudre au moment où il fait irruption chez Sarah Halimi". "L'étincelle est la vision du chandelier à 7 branches", objet cultuel juif. Ce dernier épisode est une des raisons pour lesquelles le caractère antisémite a été retenu pour le meurtre. "Folie et antisémitisme ne sont pas incompatibles", note Paul Bensussan.

"Beaucoup de contre-vérités, beaucoup de raccourcis simplificateurs"

Plus de 25.000 manifestants, selon les autorités, se sont rassemblés dimanche dans plusieurs villes de France pour contester l'absence de procès après le meurtre de Sarah Halimi, à l'appel de collectifs citoyens et de représentants de la communauté juive. Reprenant les critiques contre la décision de la Cour de cassation, Roland Coutanceau comprend "que chaque famille de victime souhaite que l’homme qui a tué l’un des leurs soit jugé, c’est tout à fait compréhensible et humain".

Paul Bensussan abonde, expliquant entendre "dans ce déferlement émotionnel beaucoup de contre-vérités, beaucoup de raccourcis simplificateurs qui me choquent. Bien sûr, venant des proches de Sarah Halimi, ils sont légitimes et compréhensibles, venant du grand public ils le sont encore, mais venant d'autorités morales, d'autorités politiques, ou de professionnels du droit, c'est beaucoup moins compréhensible", déclare-t-il.

Plusieurs responsables politiques ont en effet été très critiques envers la décision judiciaire concernant l'impossibilité de juger Kobili Traoré. L'exécutif a même annoncé un projet de nouvelle loi sur l'irresponsabilité pénale dimanche, qui vise selon le ministre de la Justice à "combler (un) vide juridique", celui de "l'absence de possibilité offerte par le droit actuel de tenir compte de la prise volontaire de substances toxiques par un individu conduisant à l'abolition de son discernement".

"Quand le délire, la maladie mentale, l’état psychiatrique aigu est lié à une consommation excessive de cannabis, est-ce qu’on doit juger autrement? Ça peut se discuter, c’est le sens de ce que va peut-être proposer le garde des Sceaux avant fin mai", déclare Roland Coutanceau.
Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV