Accusé d'avoir soigné illégalement un meurtrier en cavale, un infirmier risque les assises

"Cette affaire est une honte pour l’institution judiciaire." Ce mardi, Me Manuel Abitbol plaide devant la chambre de l’instruction l’annulation de la mise en examen de son client pour "exercice illégal de la médecine". La justice reproche à cet infirmier libéral de 48 ans d’avoir prodigué des soins à un homme soupçonné de meurtre.
Le 3 août 2016, les pompiers découvrent le corps calciné de Maria Paz Gallardo dans un appartement de la rue Fondary, à Paris. La veille, cette proxénète de 26 ans avait demandé à un groupe de voyous de faire disparaître le corps d’une de ses escort-girl – son cadavre ne sera retrouvé que le 23 septembre dans la cave d’un immeuble du XVIIe arrondissement – et de nettoyer l’appartement. Paniqués face aux traces de sang qu’ils ne parviennent pas à effacer sur les lieux du crime, ils décident de mettre le feu au logement mais provoquent une explosion, tuant Maria Paz Gallardo, alors présente dans l'appartement avec eux, et blessant l’un des incendiaires.
"C'est le début du cauchemar"
Le soir de l’explosion, l’infirmier est appelé par le fils d’un de ses patients qui lui demande de venir soigner un ami. A la fin de sa tournée, vers 22 heures, il se rend à l’adresse indiquée: une chambre d’hôtel de l’avenue de Clichy, à Paris. Il y découvre un homme souffrant de plusieurs brûlures sur le corps.
"En voyant son état, je lui ai immédiatement dit que je devais appeler les pompiers pour qu’il se fasse hospitaliser, explique le quadragénaire à BFMTV.com. Mais il a catégoriquement refusé et réclamé que je nettoie ses plaies et change ses pansements."
L’infirmier s’exécute mais n’abandonne pas l’idée de lui faire consulter un médecin. Deux fois encore, il tente d’appeler les secours avant de renoncer, découragé par la réticence de son patient. "Son pronostic vital n’était pas engagé, alors je n’ai pas insisté", accorde le soignant.
Interdiction d'exercer pendant 5 mois
Pendant plusieurs jours, il se rend dans la chambre d’hôtel, nettoie ses plaies, change ses bandages, jusqu’au 22 août. Ce jour-là, le suspect est interpellé par la police et "c'est le début du cauchemar" pour l’infirmier. Le 14 février 2017, il est mis en examen pour "non dénonciation de crime" et "recel de malfaiteurs" et écope d’une interdiction d’exercer pendant cinq mois. Les magistrats lui reprochent d’avoir permis au meurtrier d’échapper à la police.
Une hérésie pour Me Abitbol. "Comment pouvait-il se douter que la personne qu’il soignait venait de commettre un crime? Il a essayé à plusieurs reprises de prévenir les secours, j’ai les relevés téléphoniques qui le prouvent. Son patient s’y est opposé, il ne pouvait pas le forcer à se faire hospitaliser", indique-t-il à BFMTV.com.
Le quadragénaire explique avoir tenté d’en savoir plus, mais le jeune homme restait très évasif. "Il a simplement dit qu’il s’était brûlé avec de l’essence", précise-t-il.
"Sa place n’est pas devant les assises"
En mars 2018, le conseil parvient à faire annuler l’accusation de "non dénonciation de crime", mais celle de "recel de malfaiteurs" est maintenue et une nouvelle mise en examen enfonce le clou: à partir du mois de mai, l’infirmier est poursuivi pour "exercice illégal de la médecine".
"C’est totalement infondé. Ce chef d’accusation suppose de s’être fait passer pour un médecin ou d’avoir prodigué des soins qui relèvent des compétences d’un médecin. Or, mon client n’a fait que changer des bandages, ce sont des soins purement infirmiers", affirme Manuel Abitbol. "Je n’ai fait que mon travail et on me traite comme un criminel", se désespère l’infirmier, qui exerce en libéral depuis plus de 25 ans.
"J’avais un cabinet depuis 11 ans, mais avec ma garde à vue, les mises en examen et mon interdiction temporaire d’exercer, tout s’est effondré", raconte-t-il, exaspéré par la tournure des événements. "C’est mon travail de soigner des gens mais avec cette affaire, maintenant, je me méfie de mes patients alors que tout le monde a droit aux soins."
L’infirmier est aujourd’hui poursuivi pour "recel de malfaiteurs" – un délit puni de 5 ans d’emprisonnement – et pour "exercice illégal de la médecine" – puni de 2 ans de prison – si son avocat ne parvient pas à convaincre la chambre de l’instruction d’annuler ce chef d’accusation. Circonspect, il ne comprend pas ce que la justice lui reproche, "je ne suis qu’une petite poussière dans cette affaire de meurtre sordide". "Sa place n’est pas devant les assises", s’indigne Me Manuel Abitbol.