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"Le drag, ce ne sont pas que des paillettes": la drag queen Nicky Doll se confie

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PORTRAIT - L'artiste de 34 ans, présentatrice de Drag Race France, traverse mille vies : le maquillage, le drag, la scène, la télévision. Et désormais, la musique avec son premier disque APOLLO • ARTEMIS, sorti début septembre.

Le timing de Nicky Doll est minuté. Perruque blonde façon Marylin Monroe. Robe dos nu noire à paillettes. Vernis blanc. Bijoux en simili-diamants. Talons à n'en plus finir. Comme une armure pour s'élancer dans son marathon d'interviews. Après plusieurs singles, la drag queen la plus connue de France - et présentatrice de Drag Race sur France 2 - se lance véritablement dans la musique avec son album APOLLO • ARTEMIS, sorti le 4 septembre 2025.

Cette compilation se place dans un héritage eurodance, avec des inspirations pop des années 2010, mais pas que. Le single How Do I Look en est le parfait exemple - un emprunt à Flawless, hymne queer de The Ones, réarrangé avec des sonorités disco rappelant les plus belles heures du Studio 54, la mythique discothèque new-yorkaise.

Figures mythologiques

Parmi ses références, se retrouvent en vrac Madonna, David Bowie, Lady Gaga - des références qui s'étaient créées, elles aussi, un avatar" - Grace Jones, Cher…Et les histoires d'Homère. "J'étais un gros geek quand j'étais gamin, rit-elle. J'ai toujours aimé la mythologie grecque, c'étaient pour moi les premiers contes de fées. Quand j'ai découvert l'Iliade et l'Odyssée à l'école, ces livres m'ont fasciné, je les ai lus et relus."

Rien de plus évident qu'invoquer les deux jumeaux divins Apollo et Artémis, dieu du soleil et de la beauté, et déesse de la nuit et de la chasse, pour son premier album. "Je voulais parler de plusieurs dualités, raconte-t-elle. La dualité de genre - je suis un homme qui performe le genre féminin, et la dualité dans la pop que j'explore: l'une très summer, disco, ensoleillée et l'autre plus dark, sexy et triste. Cela me permettait à la fois de rendre hommage au disco, à l'EDM, à la dark pop, et de proposer des chansons à texte, plus introspectives comme les titres À mes côtés ou Come with me."

Nicky Doll
Nicky Doll © Universal Music France

Cette dualité traverse toute la personnalité de Nicky Doll - un nom inspiré de la "pop culture japonaise" et la "haute couture des années 90 en France". Sous des allures extravagantes, drôles et joviales, se cache aussi une artiste plus réservée, dans le contrôle, et perfectionniste. Il n'y a qu'à observer son maquillage - minutieux - et la manière dont la lumière doit l'éclairer pour le comprendre. Son double ne peut être qu'impeccable, autant sur l'écran de l'iPhone que face à des journalistes, une version améliorée qui ne livre ses failles ailleurs que dans ses performances. Cette pleine maîtrise, Nicky Doll l'a peut-être forgée au gré des blessures d'enfance qui ont façonné son personnage.

"Drag queen en puissance"

Karl Sanchez naît à Marseille, en 1991. Les traits fins, l'allure frêle, le garçon est confondu avec une fille et subit les brimades de ses camarades. "J'étais 'toujours trop' ou 'jamais assez'", résume-t-il sobrement. Dans la cour de récré, il tente de s'endurcir, d'adopter une "apparence très masculine", comme une manière de se protéger. Sans succès.

L'enfance défile, itinérante, entre Marseille, les Caraïbes et le Maroc. "Beaucoup peuvent penser que c'est difficile car on n'a pas d'amis d'enfance, on est baladé à droite et à gauche, concède-t-il. Mais, j'ai adoré. Je remercie ma maman de ne pas savoir poser ses valises plus de cinq ou sept ans!" Cette vie, estime Nicky Doll, lui a donné "le goût des autres" et "la volonté de ne pas faire de la différence, un ennemi" - un regard qu'il partage dans Les Voyages de Nicky sur France 5, à la rencontre des cultures queers et personnalités qui les façonnent dans chaque pays.

Une représentation queer qui compte - à l'heure où ces sujets peuvent être tus. L'artiste ne le sait que trop bien. C'est à Tanger qu'adolescent, Karl découvre son homosexualité. Pour échapper aux lois qui le persécutent, il vit dans le mensonge, cache son orientation. Tant bien que mal - l'âge ingrat reste une période où domine parfois la volonté de se distinguer à tout prix. "J'étais une drag queen en puissance, rit-il. Je me maquillais, j'avais des chaussettes montantes à rayures, c'était beaucoup trop d'infos pour le collège!"

La majorité arrive, et le désir de liberté devient irrépressible. Le bac en poche, Karl Sanchez s'ouvre à sa mère et ses sœurs sur sa sexualité, part pour la capitale, et rêve de la vie d'artiste. "Mais, je me suis vite rendu compte que se lancer dans la musique demandait énormément d'investissements financiers, raconte-t-il. Je n'avais pas les moyens, j'avais à peine de quoi payer mon loyer."

Maquilleur le jour, drag la nuit

Comme gagne-pain, le jeune homme maquille les autres chez Mac Cosmetics - autodidacte, il apprend avec des tutos Youtube. "Je me suis entraînée sur mes clientes, se souvient-elle, rieuse. Je m'excuse auprès des premières - vous aviez raison de lever vos sourcils en vous regardant dans le miroir !"

Quelques coups de pinceaux que Karl s'applique aussi à lui-même. Pour sa première pride à Paris, il défile en drag et y trouve une manière de canaliser sa féminité. "Devenir Nicky Doll m'a appris à découvrir qui était Karl et à m'affirmer en tant qu'homme", explique-t-elle. Je commençais à aller au sport, à prendre un peu plus soin de moi et de mon style masculin."

Très vite, le jeune vingtenaire capte l'attention des promoteurs de soirée, de clubs, et travaille dans le milieu de la nuit. "C'était un moyen de m'exprimer de façon hyper punk, d'explorer ma sexualité, médite-t-elle. Puis au fur et à mesure, j'ai commencé à m'éduquer sur l'art du drag et ça m'a passionnée."

"En me mettant en drag, je voulais me réapproprier ces noms d'oiseaux - que je ne vois plus comme des insultes mais des compliments".

Installé à San Francisco - "par amour, grave erreur" -, Nicky Doll signe dans une agence, maquille des vedettes de mode et de la presse, et côtoie le milieu underground dont la papesse américaine de la nuit Suzanne Bartsch. Sur un coup de tête, la drag queen s'inscrit à Ru Paul Drag Race, la version originale de l'émission et phénomène ultime dans la communauté aux Etats-Unis. Et se sent comme "Ariel dans la Petite Sirène": "J'avais envie de dire plein de choses mais je ne pouvais pas forcément à cause de mon niveau d'anglais - cela va très vite, c'est une compétition et on est stressé".

Éliminée à la cinquième semaine, Nicky Doll regrette l'image de la "frenchie" dans laquelle la production et ses concurrentes l'ont enfermée. "Les codes que les Américains ont des Français ne correspondent pas du tout à ceux que nous avons de nous-mêmes. Je ne suis ni Pépé Le Putois, ni Ratatouille, et je ne dis pas 'oui oui baguette', remarque-t-elle. J'étais très frustrée, car je n'ai pas l'habitude de perdre (rires). Mais je ne regrette rien"

"Ne pas lisser le drag"

Nicky Doll le sait: elle est une des pionnières de la nouvelle génération de drag dans l'hexagone. À la tête de la franchise de Drag Race, la présentatrice mesure le devoir et la portée politique de la visibilisation des drag queens sur le service public.

"Le drag, ce ne sont pas que des paillettes, c'est avant tout un acte politique. Une émission de drag queens n'est pas juste là pour divertir les gens extérieurs à la communauté, mais aussi pour la représenter et humaniser celle-ci auprès de gens qui ne la connaissent pas."

Une de ses plus grandes fiertés aura été d'humaniser le parcours des personnes queer. "C'était hyper important de ne pas lisser le drag et de montrer qu'un artiste puise dans ses peines et ses joies pour monter sur scène, note-t-elle. Il y a des vécus de personnes séropositives - Lolita Banana en a témoigné -, des personnes transgenres qui peuvent être heureuses - comme Moon qui s'est ouvert sur son couple -, et des problématiques de grossophobie au sein de la communauté - la Big Bertha a raconté sa vie de personne plus size."

Un rôle qui compte et qu'elle n'entend pas mettre de côté. Peut-être l'incarnera-t-elle autrement, avec la sortie de son premier album. "La musique devient ma priorité, remarque-t-elle. La prochaine étape, ce sera une tournée solo. J'ai plein d'idées et j'ai hâte d'être sur les planches pour chanter ma musique. Seule, cette fois, et sans toute ma famille de drag queens".

En attendant ses concerts - qu'on espère lé-gen-daires -, Nicky Doll se produit sur scène pour la tournée de Drag Race France à Nantes, Lyon, Strasbourg, Montpellier, Bordeaux, Marseille, Toulouse et Genève, avec une date à l'Accor Arena de Paris, le 6 novembre prochain.

Sophie Hienard